Répondant à la demande instante d’un gouvernement et d’un État en péril de mort, cautionnée par l’Organisation des Nations Unies, accueillie avec transport par l’immense majorité de la population, l’intervention de notre armée au Mali, en janvier dernier, pleinement justifiée par l’urgence, irréprochable au regard du droit international, a bénéficié sur le moment, chose rare, de l’approbation unanime des Français.
L’opération Serval a de surcroît été couronnée par le succès. Elle atrès vite réalisé ses objectifs essentiels : stopper le déferlement des milices islamistes sur Bamako, refouler l’adversairevers le Nord du pays, détruire ses capacités opérationnelles. C’est sur cette base qu’ont pu être organisées et se dérouler sans obstacle les élections présidentielles puis législatives qui ont rétabli une légalité et une légitimité démocratique au Mali.
Cela étant dit, qu’il ne faut ni nier ni sous-estimer, il est clair que ce pays demeure institutionnellement et politiquement fragile. Qu’à tout moment, les têtes de l’hydre djihadiste peuvent y repousser. Que nos forces, avec leurs effectifs limités, sont en mesure de faire échec à toute nouvelle offensive islamiste mais ne sont pas à même de quadriller un territoire grand comme deux fois la France et d’y rétablir une paix durable. Et qu’enfin, le départ de nos troupes, initialement prévu en juillet, risque d’être indéfiniment retardé, comme c’est déjà le cas au Tchad, en Côte d’Ivoire ou au Niger, si l’on veut éviter le retour des désordres qui sont à l’origine de leur envoi sur place.
C’est aujourd’hui au Centrafrique que sonne l’alarme. L’État n’est plus qu’un nom, une pure fiction dans un pays où le seul règne est celui du chaos. Réduit à ses seules forces, le gouvernement mis en place par une alliance anarchique de militaires putschistes, de combattants islamistes, de bandits transfrontaliers et de voyous attirés par la soif de l’or et l’odeur du sang, est totalement incapable, en eût-il la volonté de rétablir même un semblant d’ordre et de mettre fin aux viols, aux pillages, aux massacres et à la guerre civile sans merci qui s’étend de jour en jour comme un feu de brousse. La simple humanité justifie une intervention qui se traduira là aussi, dans un premier temps, par la déroute et la dispersion de ces Grandes compagnies qui ressuscitent sur le continent noir, en plein XXIe siècle, les horreurs de notre Moyen Âge.
Mais après, mais plus tard ? Si notre supériorité technique et le professionnalisme de nos soldats nous mettent à l’abri d’une défaite, pouvons-nous nous payer le luxe financier et prendre le risque politique de maintenir indéfiniment des troupes étrangères sur le sol d’États souverains qui n’ont trop souvent secoué le joug colonial que pour tomber sous la coupe de dictateurs ou de gouvernements corrompus, mais dont la population n’est pas moins jalouse d’une indépendance qu’elle n’entend pas voir remise en cause ? Le comble serait que l’on en vienne à soupçonner nos intentions et à nous reprocher des interventions qui sont pourtant exemptes de tout désir de rétablissement d’un ordre ancien, même si elles ne sont pas toujours pures de toute arrière-pensée économique.
La Côte d’Ivoire il y a deux ans, le Mali au début de cette année, à présent le Centrafrique nous posent en définitive une question simple et capitale : sommes-nous prêts à assumer, avec toutes ses conséquences, militaires et politiques, le rôle de gendarme de l’Afrique francophone ? Si la réponse est affirmative, il nous faut accepter l’idée que cette responsabilité nous engage pour très longtemps et admettre que le poids de cet engagement est incompatible avec l’affaiblissement programmé de notre défense nationale.
Nos capacités de « projection », proches de leurs limites, réduisent nos interventions à des effectifs de plus en plus dérisoires, alors même que François Hollande, sur les théâtres extérieurs, développe un interventionnisme inattendu. Après l’envoi de 3.000 hommes au Mali, nous ne disposons que de 1.000 hommes pour le Centrafrique. Et si demain le feu se propageait au Cameroun, en Guinée, au Congo, que sais-je, est-ce avec une escouade de hussards, un peloton de dragons ou une patrouille de parachutistes que nous volerions au secours des États et des gouvernements concernés ? Peut-on faire de plus en plus avec de moins en moins ? Avons-nous toujours les moyens d’une grande politique ? Il y a des offensives qui ressemblent à des fuites en avant.
Dominique Jamet
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