Sans les soupçons d’influence auprès des séparatistes catalans ou les récentes prises de positions tranchantes de Viktor Orbàn, les pratiques de Soros et ses réseaux seraient sans doute demeurées dans l’ombre et la discrétion propices à l’influence.
Le Premier ministre hongrois, pourtant lui-même boursier de la Fondation Soros, plaçait les idées et les actions du financier philanthrope parmi les « cinq menaces » pesant sur la Hongrie de 2017.
Dans un discours très violent (4), il dénonçait « l’empire transnational de George Soros, avec son artillerie lourde et ses énormes sommes d’argent… », pilotant des ONG puissantes chargées de « faire venir des centaines de milliers de migrants en Europe… »
Vingt-cinq ans après avoir contribué à la disparition des gouvernements communistes en Europe et combattu la corruption de leurs élites, Soros, ses investissements, ses fondations, ses ONG et ses réseaux européens se retrouvent à leur tour en accusation.
Le coeur d’action de l’Open Society Foundations (5) s’est réorienté vers l’Afrique et le Moyen Orient, l’Europe ne représentant plus maintenant que 10% de ses activités.
La « Sorosafrique » s’intéresse à la société civile autant qu’aux gouvernements.
Soros entend peser directement sur l’opinion publique par l’intermédiaire des multiples fondations et ONG qu’il pilote.
Il finance un grand nombre de radios locales comme Radio Okapi en République Démocratique du Congo ou Radio Democracy, le Free Media Group et l’Independent Radio Network en Sierra Leone.
Il soutient par ailleurs plusieurs organismes de formation professionnelle pour les journalistes.
Bien sûr, il investit aussi massivement dans les NTIC, la « diffusion virale » étant devenue un levier majeur des stratégies d’influence, plus particulièrement encore dans des pays à population très jeune, boulimique d’internet et de réseaux sociaux.
Soros veut promouvoir une société civile libérale, mais structurée et prête à prendre la parole…
Ses réseaux organisent, financent et animent de nombreux « mouvements citoyens » éloignés des structures et des partis politiques traditionnels.
Un programme d’action, le West Africa Civil Society Institute (6) assure du support, du conseil et de la formation aux animateurs de ces associations chargées de politiser et de faire bouger la société civile.
Les mouvements de jeunes sont tous nés dans la contestation politique et cultivent une nature revendicative.
C’est ce qu’illustrent leurs appellations un peu exotiques : « Y’en a marre » apparu en 2011 au Sénégal, « Le Balai Citoyen » au Burkina Faso, « Lutte pour le changement (Lucha) » en RDC ou « Ça suffit comme ça » au Gabon…
Les groupes de jeunes citoyens, hyperbranchés et facilement mobilisables, sont toujours animés par des équipes professionnelles bien formées et solidement encadrées.
Financés et contrôlés par les réseaux et les ONG Soros, ils sont devenus l’une des principales forces de pression politique dans les pays africains. Une autre forme de pression politique est exercée par les « lanceurs d’alerte ».
Qu’il s’agisse de santé publique, de droits de l’homme, de corruption ou de bonne gouvernance, ces catalyseurs d’opinion sont très écoutés et même redoutés par les autorités publiques.
Dans ce registre d’influence, Soros finance Human Rights Watch (100 millions de dollars sur 10 ans…), Amnesty International, Transparency International, Global Witness, International Crisis Group, Natural Resource Gouvernance Institute et Oxfam (7) …
Les ONG interviennent dans le champ de leurs spécialités. Elles doivent repérer les dysfonctionnements ou les scandales, en assurer la publicité et mettre ainsi sous pression les décideurs publics, avec l’appui encadré des populations.
Des gouvernements sous l’influence des réseaux Soros
Au prétexte d’apporter une assistance et des expertises utiles, la stratégie de Soros consiste à encadrer et surveiller les décideurs publics.
Elle peut prendre la forme soit de moyens financiers, soit de programmes de développement.
S’agissant d’apports financiers, outre les dons, savamment mis en scène, qu’il réserve à des institutions ou des projets qu’il a choisis, Soros est un gros investisseur dans plusieurs pays africains comme la Sierra Leone, le Malawi ou la Guinée.
Dons et investissements lui permettent ensuite de contrôler et d’orienter les opérations, qu’elles soient publiques ou privées.
L’autre forme d’intervention auprès des décideurs consiste à mettre à leur disposition des experts internationaux respectés pour leurs compétences, qui appartiennent tous aux réseaux Soros et partagent son projet libéral et mondialiste.
Ils diffusent et concrétisent dans des projets de transformation sociale, économique ou politique, les grands principes de la « Société ouverte ». Ainsi Soros a-t-il financé des interventions de Jeffrey Sachs au Nigéria, en Guinée et au Ghana, de Paul Collier et de Tony Blair (8) auprès de plusieurs présidents et gouvernements africains.
Ces trois experts appartiennent à son premier cercle dont ils partagent au grand jour la philosophie, les choix politiques et les méthodes.
De plus, la galaxie des réseaux et des ONG sorosiens permet de garder les gouvernements sous contrôle permanent et « non politique ». Proches ou non du système Soros, les décideurs gouvernementaux font l’objet d’une surveillance attentive.
Corruption, gouvernance, droits de l’homme ou conduites antiécologiques, toutes les dérives signalées par les ONG mettent les Etats responsables sous la pression des médias et de l’opinion publique.
L’efficacité d’une politique d’influence : les réseaux Soros et les jeux diplomatiques américains
Stéphanie Erbs, Vincent Barbe et Olivier Laurent, les trois auteurs de l’ouvrage ont choisi d’illustrer l’efficacité du système Soros par deux exemples très connus et bien documentés de turbulences politiques : le renversement du régime Campaoré au Burkina Faso et la mobilisation durable contre le Président Kabila en RDC.
Si les contextes géopolitiques sont très différents, l’un en Afrique de l’Ouest, l’autre en Afrique centrale, les structures et la stratégie mises en oeuvre sont sensiblement les mêmes dans les deux cas.
Le gros des troupes est fourni par les mouvements citoyens (d’opposition, bien sûr) que soutient et souvent finance la galaxie Soros.
La dynamique et la tension des mouvements sont entretenues par la presse et les médias eux-mêmes soutenus par Soros.
Enfin, en arrière-fond des deux opérations, on peut identifier la présence des autorités américaines dont George Soros est toujours très proche.
Par exemple, en 2013, au Burkina Faso, l’opposition au régime de Compaoré ne compte pas moins de 70 partis… Son succès aux législatives confère à Zéphirin Diabré, Président de l’UPC, le statut de chef de file de l’opposition.
Il multiplie les appels à des manifestations contre le pouvoir en place et c’est au cours de l’une d’elles que le mouvement populaire « Le Balai Citoyen » est créé. Le 12 avril 2014, un projet d’amendement constitutionnel met le feu aux poudres.
Commence alors un bras de fer entre, d’un côté, le régime Campaoré et, de l’autre, les deux forces conjuguées d’un parti politique (l’UPC) et d’un mouvement civil (Le Balai Citoyen), tous deux sous influence sorosienne.
Le 30 octobre, plusieurs dizaines de milliers de manifestants incendient l’Assemblée nationale avant de se répandre dans la ville à la poursuite des affidés du régime.
La police ne peut rien contrôler. Pris en étau entre l’UPC et la rue, Campaoré démissionne.
Pour mieux comprendre les coulisses de ce soulèvement, il faut savoir que le leader de l’opposition, Zéphirin Diabré, a travaillé auprès de Jeffrey Sachs avant d’être nommé en 1999 directeur général adjoint du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) par Kofi Annan, lui-même très proche de George Soros…
Quant au « Balai citoyen », il a bénéficié des conseils et de l’aide de son homologue sénégalais, le mouvement « Y’en a marre », soutenu par Soros.
La proximité des médias burkinabés et des ONG du réseau Soros avec le mouvement politique burkinabé ne fait aucun doute.
De même, l’intérêt des États-Unis pour ce type de révolution pacifique ne s’est jamais démenti.
L’ambassadeur américain s’est dit prêt à « accompagner la Commission électorale nationale indépendante parce que des élections libres, justes et transparentes sont la marque d’un processus démocratique » (9) propos qu’aurait pu tenir George Soros lui-même.
Aujourd’hui, le vieux milliardaire philanthrope se fait plus discret dans la vie publique.
Le « président du monde », comme il aimait à se nommer en souriant, a transmis ses convictions intactes et le pilotage de ses affaires à ses cinq enfants.
Pour lui, la relève est assurée, car la conquête de l’Afrique par les réseaux Soros n’est pas encore achevée !
Pour en savoir plus :
- Les réseaux Soros à la conquête de l’Afrique, par Stéphanie Erbs, Vincent Barbe et Olivier Laurent, VA Editions, collection « Guerre de l’information », 2017.
- Soros: The Life and Times of a Messianic Millionnaire, par Michael T. Kaufman, Ed. Alfred A. Knopf, New York, 2002, ainsi que Soros: The World’s Most Inferentiel Investor, par Robert Slater, McGraw-Hill Education, New York, 2009.
1/ Préfacé par Christian Harbulot. (références ci-dessus). Voir aussi l’entretien avec les auteurs sur Médiapart,
2/ L’horizon socio-politique de George Soros, la « société ouverte » est un concept développé par Henri Bergson et repris par Karl Popper (La Société ouverte et ses ennemis -1944).
3/ La crise de la livre sterling, qui obligea l’Angleterre à sortir du SME en 1992, lui rapporta plus de 1 milliard en 24 heures. Sa fortune, estimée par Forbes à 23,5 milliards de dollars (22ème mondiale), est en partie logée dans des paradis fiscaux.
4/ Discours prononcé le 10 février 2017.
5/ L’Open Society Foundations, important réseau d’ONG financé par le milliardaire, est organisé pour promouvoir des sociétés dites « ouvertes ». En 1991, l’OSF a créé à Budapest l’Université d’Europe Centrale pour contribuer à l’émergence d’une élite centre-européenne libérale. Pendant les 30 dernières années, l’OSF a investi dans son réseau plus de 11 milliards de dollars https://www.opensocietyfoundations.org/
6/ Voir le site du WACSI http://www.wacsi.org/
7/ Oxfam est une confédération internationale de 20 organisations qui travaillent à lutter contre la pauvreté dans plus de 90 pays.
8/ Jeffrey Sachs est un économiste américain. Il dirige l’Institut de la Terre de l’université Columbia à New York. Il a été consultant spécial de Kofi Annan puis de Ban Ki-moon. Théoricien de la shock therapy, il a publié en 2005 The End Of Poverty : Economic Possibilities for Our time, Penguin Press. Paul Collier a été Director of the Development Research Group de la Banque Mondiale. Il enseigne au Centre for the Study of African Economies (CSAE) de l’Université d’Oxford. Tony Blair a développé une activité de conseil via sa société Africa Governance Initiative – AVI.
9/ Discours prononcé devant des membres du « Balai Citoyen » par Tulinabo Cushing, ambassadeur des USA, le 17 juillet 2014.
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