lundi 24 juillet 2017

Vents de révolte contre la « mondialisation libérale »

Malgré des prévisions alarmistes, les mouvements et candidats dits « populistes » ont échoué ces derniers mois à conquérir le pouvoir législatif ou exécutif dans un pays européen, qu’il s’agisse de l’Autriche (décembre 2016), des Pays-Bas (mars 2017) ou bien sûr de la France (mai-juin 2017).
Mais la question reste pendante.
La livraison estivale de la Revue internationale et stratégique (RIS) s’interroge : « Dérives autoritaires en Hongrie ou en Pologne, ‘Brexit’, élection de Donald Trump, progression des partis d’extrême droite…
Que recoupent ces contestations démocratiques et comment influent-elles sur les politiques étrangères des États ? Alors que la forme démocratique a rarement été aussi répandue parmi les communautés humaines, elle se trouve aujourd’hui contestée.
Or l’une des caractéristiques des relations internationales actuelles est le poids de ces mouvements intérieurs sur le plan extérieur, et l’imprévisibilité qui lui est attachée.
Les bouleversements démocratiques contemporains sont-ils annonciateurs d’un nouveau désordre mondial ? »
Tour d’horizon d’une contestation polymorphe des institutions participant à la « mondialisation libérale ».
Qu’est-ce que le « populisme » ? Les politologues en débattent encore.
Le terme désigne une modalité d’invocation d’une légitimité issue d’un peuple plus ou moins imaginaire, mais sert aussi comme disqualification d’options politiques à contrecourant d’une forme d’orthodoxie politique, d’inspiration libérale et mondialiste.
Ne se caractérisant ni par une idéologie ni même un style communs, le populisme regroupe en fait des formes diverses de contestation qui, par un recours au peuple et à la démocratie « véritable », débarrassée de ses instances et autres élites représentatives, entendent répondre à « une formidable crise de confiance [qui] touche à la fois les hommes, les institutions et les médias », selon Alain de Benoist (Le moment populiste, 2017).
Lequel estime que la résurgence récente du populisme en Europe tient à la défiance d’une partie des électeurs à l’égard de politiques qui affectent directement leur vie quotidienne, et pour lesquelles ils estiment ne pas avoir été consultés : immigration, intégration européenne, mondialisation.
Soit des sujets de relation internationale, de rapport au monde et à l’Autre.
Ce que confirme le journaliste britannique David Goodhart (The Road to Somewhere : The Populist Revolt and the Future, 2017), qui y décèle une distinction croissante entre les anywhere et les somewhere – « nomades » et « enracinés », « monde ouvert » et « monde fermé ».
Aux origines du populisme contemporain
Le populisme naît de manière pratiquement symétrique, à la fin du XIXsiècle, dans les campagnes russes et américaines.
Dans l’empire des tsars, il désigne à la fois une idéologie et un mouvement politique (narodnitchestvo, de narod, peuple) qui se développent dès les années 1860, pour préconiser une voie spécifique vers le socialisme.
Ils auront pour héritiers les socialistes révolutionnaires, balayés par les bolcheviques en 1917. Lénine retiendra cependant, et après lui Mao Zedong, la nécessité de mobiliser les paysans pauvres.
Car le monde rural constitue le terreau de ce populisme originel, qui émerge également aux Etats-Unis avec la création du Parti du Peuple (People’s Party) en 1891.
Cette origine rurale lui vaut une réputation de mouvement d’arrière-garde, provincial, voire « réactionnaire ».
D’autant que le populisme des Farmers américains, comme le rappelle Pascal Gauchon dans la revue de géopolitique Conflits, qui consacre un dossier à cette question, s’inspire de Thomas Jefferson, « défenseur des ‘droits humains’ contre le progrès capitaliste et incarnation de la méfiance envers Washington et le pouvoir central ».
Après la Première Guerre mondiale, c’est l’Amérique latine qui devient la terre de prédilection du populisme, prenant des formes de gauche (le Mexique de Cardenas) ou de droite (le Brésil de Vargas, qui s’inspire de l’Italie de Mussoloni).
L’Argentine voit apparaître le péronisme, à partir du mouvement des « sans-chemises » (descamisados).
Le général Peron, élu président de la République en 1945, « se réclame d’une troisième voie entre communisme et capitalisme libéral, le justicialisme ; il adopte de nombreuses mesures sociales, pratique le patriotisme économique et entretient des relations houleuses avec les ‘yankees’ ».
L’échec économique sanctionnera cette expérience, et il sera renversé par un coup d’Etat en 1955. Mais plus généralement, c’est la guerre froide qui va mettre fin à ce deuxième mouvement populiste.
Ainsi Fidel Castro, qui pouvait être assimilé aux populistes lors de son accession au pouvoir, va se placer sous protection du bloc soviétique et évoluer vers le communisme.
Tandis que, « par anticommunisme, les militaires latino-américains qui avaient constitué la colonne vertébrale des régimes populistes mettent en place des dictatures pro-américaines, souvent ralliées au libéralisme économique (Chili), que l’on ne saurait qualifier de populistes », explique encore Pascal Gauchon.
Après avoir pratiquement disparu dans les années 1960 à 1990, le populisme actuel s’inscrit dans cette généalogie.
Le président philippin Rodrigo Duterte l’illustre, ainsi bien sûr que le phénomène Trump aux Etats-Unis.
Mais c’est surtout en Europe que cette résurgence peut s’observer dans toute sa complexité.
Le réveil des mouvements populistes en Europe
Dans Populism (1981), la politiste anglaise Margaret Canovan avait déjà souligné l’extrême diversité des « populismes politiques ».
Elle distinguait quatre grandes catégories :
  • les dictatures populistes de type césaro-bonapartiste (autrefois très présentes en Amérique latine) ;
  • les démocraties populistes comme la Suisse (accordant une place centrale à la pratique référendaire) ;
  • le populisme réactionnaire d’un Enoch Powell dénonçant l’immigration dans le Royaume-Uni des années 1960 ou d’un George C. Wallace s’en prenant à l’establishment étasunien à la même époque ;
  • le « populisme des politiciens » enfin, « dans lequel elle regroupe l’ensemble de ceux qui en appellent au peuple en prétendant surmonter les clivages politiques traditionnels » (Florian Louis in Conflits).
Ce qui peut concerner beaucoup d’hommes politiques… Pour l’Europe actuelle, une approche plus géopolitique permet de distinguer plusieurs cas de figure, selon les pays concernés.
« En Pologne, en Grèce ou en Hongrie, c’est-à-dire aux périphéries de l’Union européenne, les populistes sont arrivés au pouvoir », observe Hadrien Desuin dans Conflits.
On pourrait y associer les autres pays du groupe de Visegrad (République tchèque et Slovaquie) compte tenu de leur positionnement anti-immigration, ainsi que les pays où des populistes sont ou ont été plus ou moins directement associés au pouvoir : Norvège, Finlande, Danemark…
Ces « nationaux-populistes » ou « populistes conservateurs », également influents au Royaume-Uni, se distinguent nettement de ceux de l’Europe du Sud (Lega Nord italienne exceptée), où prédominent des partis issus de la gauche anti-mondialiste (Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, Bloco de Esquerda au Portugal).
Ces derniers diffèrent par ailleurs des « sociaux populistes » d’Europe orientale ou balkanique, anciens communistes ayant évolué vers le nationalisme, particulièrement présents en Serbie, en Roumanie et en Bulgarie (où ils participent au gouvernement).
Au coeur de l’Europe, les partis populistes sont électoralement puissants mais restent aux portes du pouvoir national, comme en Autriche (FPÖ), aux Pays-Bas (PVV), en Belgique (Vlams Belang) et même désormais en Allemagne (AfD).
L’Italie est un cas particulier, avec l’inclassable Beppe Grillo (Mouvement cinq étoiles, M5S), ainsi que la France, où s’affrontent un populisme de gauche (FI) et un autre « de droite » (FN).
Matrice, limites et prolongements des populismes
Il ressort de cette rapide radiographie des populismes en Europe toute l’ambiguïté du phénomène. Notamment au regard du clivage droite/gauche : « C’est au nom de l’antilibéralisme que la plupart des courants dits populistes s’opposent aux organisations internationales (Union européenne, Fonds monétaire international) considérées comme favorisant la financiarisation et la dérégulation de l’économie, relève le politologue Guillaume Bernard dans Conflits.
Mais les motivations peuvent être fort différentes et même contradictoires : l’internationalisme socialiste ou, à l’inverse, une forme de nationalisme.
L’euroscepticisme et le souverainisme des uns et des autres n’ont donc pas la même signification ni le même objectif : déconstruire pour mettre en oeuvre un autre processus d’internationalisation pour les uns, réenraciner les institutions et les flux économiques pour les autres
. »
Reste une matrice commune : la valorisation de ce qui vient du peuple et lui permet d’exister politiquement.
« Il existe donc, dans le vote populiste, un double aspect patrimonial portant sur le niveau de vie (aspect matériel) mais surtout sur le mode de vie (aspect culturel).
Le vote populiste, c’est la révolte des classes populaires oubliées et des classes moyennes qui se paupérisent contre les métropoles mondialisées et multiculturelles
. »
La faiblesse intrinsèque des populismes tient à leur relation ambiguë avec la notion d’élite.
« Les populistes considèrent que des élites immorales, corrompues et parasitaires viennent constamment s’opposer à un peuple envisagé comme homogène et moralement pur » (Jan-Werner Müller, Qu’est-ce que le populisme ?, 2016).
Ceux qui réussissent remplacent les anciennes élites par de nouvelles.
Ceux qui se cantonnent à la dénonciation des élites en place se condamnent à l’échec – comme toutes les jacqueries et autres « émotions » populaires qui ont émaillé la France d’Ancien régime.
En accédant au pouvoir, les populistes sont-ils en mesure de modifier la politique étrangère de leur pays et les grands équilibres géopolitiques ?
Les premiers pas de Donald Trump sur la scène internationale ne semblent pas l’indiquer.
Mais l’exemple du Brexit atteste de leur capacité à remettre en cause les équilibres politiques internes de l’Europe.
Reste une ambiguité plus fondamentale : celle du rapport aux puissances qui pèsent aujourd’hui dans le monde.
C’est ce que relève Guillaume Bernard : « Le populisme, c’est l’auberge espagnole ! Y voisinent ‘poutinisme‘ et ‘trumpisme’ dont les ambitions impériales ne peuvent pourtant que s’entrechoquer même en admettant qu’ils trouvent un ennemi commun. »
Pour aller plus loin :
  • « Contestations démocratiques, désordre international ? », Olivier de France et Marc Verzeroli (dir.), RIS n°106, IRIS, 168 p., 20 € ;
  • « Les populismes : flux ou reflux ? », dossier de la revue Conflits, n°14, été 2017, 82 p., 9,90 € (en kiosque).
http://notes-geopolitiques.com

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