Lors de la libération d’Alep et de la prise de l’état-major saoudien qui s’y trouvait, la journaliste bulgare Dilyana Gaytandzhieva constata la présence d’armes de son pays dans neufs entrepôts abandonnés par les jihadistes. Elle nota soigneusement les indications portées sur les caisses et, de retour dans son pays, enquêta sur la manière dont elles étaient arrivées en Syrie.
Depuis 2009 —à la brève exception de la période allant de mars 2013 à novembre 2014—, la Bulgarie est gouvernée par Boïko Borissov, un personnage haut en couleur, issu de l’une des principales organisations criminelles européennes, la SIC. Rappelons que la Bulgarie est à la fois membre de l’Otan et de l’Union européenne et qu’aucune de ces deux organisations n’a émis la moindre critique contre l’arrivée au pouvoir d’un chef mafieux identifié depuis longtemps par les services internationaux de police.
C’est donc clairement en mettant leur vie en jeu que Dilyana Gaytandzhieva a remonté la filière et que la rédaction du quotidien de Sofia, Trud, a publié son dossier [1]. Si la Bulgarie a été l’un des principaux exportateurs d’armes vers la Syrie, elle a bénéficié de l’aide de l’Azerbaïdjan.
Le gigantesque trafic d’armes de la CIA contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie et l’Inde
Depuis le début des printemps arabes, un gigantesque trafic d’armes a été organisé par la CIA et le Pentagone en violation de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu. Toutes les opérations que nous allons récapituler ici sont illégales en droit international, y compris celles organisées publiquement par le Pentagone.
En matière de trafic d’armes, même lorsque des individus ou des sociétés privées servent de paravent, il est impossible d’exporter des matériels sensibles sans l’assentiment des gouvernements concernés.
Toutes les armes dont nous allons parler, sauf les systèmes de renseignement électronique, sont de type soviétique. Par définition, même si l’on prétend que des armées dotées d’armes de type Otan sont les destinataires finales de ces livraisons, c’est impossible. Ces armées servent juste à couvrir le trafic.
On savait déjà que la CIA avait fait appel à la SIC et à Boïko Borissov pour fabriquer en urgence du Captagon à destination des jihadistes en Libye, puis en Syrie. Depuis l’enquête de Maria Petkova publiée dans Balkan Investigative Reporting Network(BIRN), on savait que la CIA et le SOCOM (Special Operations Command du Pentagone) avaient acheté pour 500 millions de dollars d’armes à la Bulgarie, entre 2011 et 2014, pour les jihadistes. Puis que d’autres armes furent payées par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis et transportées par Saudi Arabian Cargo et Etihad Cargo [2].
Selon Krešimir Žabec du quotidien de Zagreb Jutarnji list, fin 2012, la Croatie livrait aux jihadistes syriens 230 tonnes d’armes pour une valeur 6,5 millions de dollars. Le transfert en Turquie était opéré par trois Iliouchine de la compagnie Jordan International Air Cargo, puis les armes étaient parachutées par l’Armée qatarie [3]. Selon Eric Schmitt du New York Times, l’ensemble de ce dispositif avait été imaginé par le général David Petraeus, directeur de la CIA [4].
Lorsqu’en 2012, le Hezbollah tenta de découvrir le trafic de la CIA et du SOCOM, un attentat fut perpétré contre des touristes israéliens à l’aéroport de Burgas, le centre névralgique du trafic. Contre l’enquête de la police bulgare et les constatations du médecin légiste, le gouvernement Borissov attribua ce crime au Hezbollah et l’Union européenne classa la Résistance libanaise comme « organisation terroriste » (sic). Il fallut attendre la chute provisoire de Borissov pour que le ministre des Affaires étrangères, Kristian Vigenine, souligne que cette accusation est sans aucun fondement.
Selon une source proche du PKK, en mai et juin 2014, les services secrets turcs ont affrété des trains spéciaux pour livrer à Rakka, c’est-à-dire à ce qui s’appelait alors l’Émirat islamique en Irak et en Syrie et qui est connu aujourd’hui comme Daesh, des armes ukrainiennes payées par l’Arabie saoudite et plus d’un millier de Toyota Hilux (pick-up double cabine) spécialement arrangés pour résister aux sables du désert. Selon une source belge, l’achat des véhicules avait été négocié avec le Japonais Toyota par la société saoudienne Abdul Latif Jameel.
Selon Andrey Fomin de l’Oriental Review, le Qatar qui ne voulait pas être en reste a acheté pour les jihadistes à la société d’État ukrainienne UkrOboronProm la version la plus récente de l’Air Missile Defense Complex "Pechora-2D". La livraison a été effectuée par la société chypriote Blessway Ltd [5].
Selon Jeremy Binnie et Neil Gibson de la revue professionnelle de l’armement Jane’s, l’US Navy Military Sealift Command a lancé en 2015 deux appels d’offres pour transporter des armes du port roumain de Constanta vers le port jordanien d’Aqaba. Le contrat a été emporté par Transatlantic Lines [6]. Il a été exécuté juste après la signature du cessez-le-feu par Washington, le 12 février 2016, en violation de son engagement.
Selon Pierre Balanian d’Asia News, ce dispositif s’est poursuivi en mars 2017 avec l’ouverture d’une ligne maritime régulière de la compagnie états-unienne Liberty Global Logistics reliant Livourne (Italie) / Aqaba (Jordanie) / Djeddah (Arabie saoudite) [7]. Selon le géographe Manlio Dinucci, elle était principalement destinée à la livraison de blindés vers la Syrie et le Yémen [8].
Selon les journalistes turcs Yörük Işık et Alper Beler, les derniers contrats de l’ère Obama ont été effectués par Orbital ATK qui a organisé, via Chemring et Danish H. Folmer & Co, une ligne régulière entre Burgas (Bulgarie) et Jeddah (Arabie saoudite). Pour la première fois, on parle ici non seulement d’armes produites par Vazovski Machine Building Factory (VMZ) (Bulgarie), mais aussi par Tatra Defense Industrial Ltd. (Tchéquie) [9].
Bien d’autres opérations ont eu lieu secrètement comme l’attestent par exemple les affaires du cargo Lutfallah II, arraisonné par la marine libanaise le 27 avril 2012, ou du cargo togolais, le Trader, arraisonné par la Grèce, le 1er mars 2016.
Le total de ces opérations représente des centaines de tonnes d’armes et de munition, peut-être des milliers, principalement payées par les monarchies absolues du Golfe, prétendument pour soutenir une « révolution démocratique ». En réalité, les pétro-dictatures ne sont intervenues que pour dispenser l’administration Obama de rendre des compte au Congrès US (Opération Timber Sycamore) et lui faire prendre des vessies pour des lanternes [10]. L’ensemble de ce trafic a été personnellement contrôlé par le général David Petraeus, d’abord depuis la CIA dont il était le directeur, puis depuis la société de placements financiers KKR qu’il a rejointe. Il a profité de l’aide de hauts-fonctionnaires, parfois sous la présidence de Barack Obama, puis massivement sous celle de Donald Trump.
- L’opération Timber Sycamore (Bois de sycomore) est la plus importante affaire de trafic d’armes de l’Histoire.
Le rôle jusqu’ici secret de l’Azerbaïdjan
Selon l’ancienne fonctionnaire du FBI et fondatrice de la National Security Whistleblowers Coalition, Sibel Edmonds, de 1997 à 2001, l’Azerbaïdjan du président Heydar Aliyev hébergea à Bakou, à la demande de la CIA, le numéro 2 d’Al-Qaïda, Ayman el-Zawahiri. Bien qu’officiellement recherché par le FBI, celui qui était alors le numéro 2 du réseau jihadiste mondial se déplaçait régulièrement en avion de l’Otan en Afghanistan, en Albanie, en Égypte et en Turquie. Il recevait également des visites fréquentes du prince Bandar ben Sultan d’Arabie saoudite [11].
À ses relations sécuritaires avec Washington et Riyad, l’Azerbaïdjan —dont la population est pourtant principalement chiite— ajoute Ankara la sunnite qui le soutient dans son conflit contre l’Arménie à propos de la sécession de la République d’Artsakh (Haut-Karabagh).
À la mort d’Heydar Aliyev aux États-Unis, en 2003, son fils Ilham Aliyev, lui succède. La Chambre de commerce USA-Azerbaïdjan devient l’arrière-cour de Washington avec à côté du président Aliyev, Richard Armitage, James Baker III, Zbigniew Brzeziński, Dick Cheney, Henry Kissinger, Richard Perle, Brent Scowcroft et John Sununu.
Selon Dilyana Gaytandzhieva, le ministre des Transports, Ziya Mammadov, met en 2015 à disposition de la CIA la compagnie d’État Silk Way Airlines aux frais de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Le ministre des Affaires étrangères, le très peu scrupuleux Elmar Mammadyarov, envoie à plusieurs de ses ambassades des demandes d’homologation de « vols diplomatiques », ce qui interdit leurs fouilles au titre de la Convention de Vienne. En moins de trois ans, plus de 350 vols disposeront de ce privilège extraordinaire.
Bien que, selon les traités internationaux, ni les avions civils, ni les avions diplomatiques ne sont autorisés à transporter des matériels militaires, les demandes de reconnaissance comme « vols diplomatiques » portent mention explicites des chargements transportés. Cependant, à la demande du département d’État US, au moins l’Afghanistan, l’Allemagne, l’Arabie saoudite, la Bulgarie, le Congo, les Émirats arabes unis, la Hongrie, Israël, le Pakistan, la Pologne, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie, la Tchéquie, la Turquie et le Royaume-Uni fermèrent les yeux sur cette violation du droit international comme ils avaient ignoré les vols de la CIA entre leurs prisons secrètes.
En moins de trois ans, la Silk Way Airlines a ainsi transporté pour au moins 1 milliard de dollars d’armes.
De fil en aiguille, la journaliste Dilyana Gaytandzhieva a mis à jour un vaste système qui approvisionne également les jihadistes non seulement en Irak et en Syrie, mais aussi en Afghanistan, au Pakistan et au Congo, toujours aux frais des Saoudiens et des Émiratis. Certaines armes livrées en Arabie furent réexpédiées en Afrique du Sud.
Les armes transportées en Afghanistan seraient parvenues aux Talibans, sous le contrôle des États-Unis qui prétendent les combattre. Celles livrées au Pakistan étaient probablement destinées à commettre des attentats islamistes en Inde. On ignore qui sont les destinataires finaux des armes livrées à la Garde républicaine du président Sassou N’Guesso au Congo et à l’Afrique du Sud du président Jacob Zuma.
Les principaux négociants étaient les firmes états-uniennes Chemring (déjà citée), Culmen International, Orbital ATK (également déjà citée) et Purple Shovel.
Outre les armes de type soviétique produites par la Bulgarie, l’Azerbaïdjan acheta sous la responsabilité du ministre de l’Industrie de défense, Yavar Jamalov, des stocks en Serbie, en Tchéquie et accessoirement dans d’autres États, chaque fois en déclarant être le destinataire final de ces achats. Concernant les matériels de renseignement électronique, Israël mit à disposition la firme Elbit Systems qui prétendit être le destinataire final, l’Azerbaïdjan n’ayant pas le droit d’acheter ce type de matériel. Ces exceptions attestent que le programme azerbaïdjanais, s’il a été requis par les États-Unis et l’Arabie saoudite, était contrôlé de bout en bout depuis Tel-Aviv.
L’État hébreu, qui prétend être resté neutre durant l’ensemble du conflit syrien, a pourtant de nombreuses fois bombardé l’Armée arabe syrienne. Chaque fois où Tel-Aviv a reconnu les faits, il a prétendu avoir détruit des armes destinées au Hezbollah libanais. En réalité, toutes ces opérations, sauf peut-être une, étaient coordonnées avec les jihadistes. On apprend donc aujourd’hui que Tel-Aviv supervisait les livraisons d’armes à ces mêmes jihadistes, de sorte que si Israël s’est contenté d’utiliser son armée de l’Air pour les appuyer, il jouait en réalité un rôle central dans la guerre.
Selon les conventions internationales la falsification des certificats de livraison finale et l’envoi d’armes à des groupes mercenaires, qu’ils renversent des gouvernements légitimes ou détruisent des États reconnus sont des crimes internationaux.
L’opération Timber Sycamore, dans ses différents volets, est la plus importante affaire criminelle de trafic d’armes de l’Histoire. Dans les parties mises à jour, elle implique au moins 17 États et représente plusieurs dizaines de milliers de tonnes d’armes pour plusieurs milliards de dollars.
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