Jean-Vincent Brisset
Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est directeur de recherche à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.
Atlantico : La Marine Chinoise est intervenue au mois de mars dernier pour libérer un cargo panaméen qui a subi une attaque de pirates somaliens. N'est il pas tout à fait inhabituel de voir la Chine intervenir militairement aussi loin de son territoire ? Plus largement, faut il voir une volonté chinoise d'aller au delà de simples investissements économiques dans cette région ?
Jean-Vincent Brisset : On avait déjà eu connaissance d’actions violentes -mais discrètes- de la part d’agents chinois en dehors de leur territoire national, mais il s’agissait d’opérations de services « secrets » destinées à récupérer des dissidents ou des « criminels » en fuite. L’évolution des déploiements de moyens militaires hors du territoire national -ou de ce qui est considéré comme tel par Pékin- est beaucoup plus récente. Les Chinois se sont longtemps contentés de mettre à la disposition des Nations Unies des observateurs ou des troupes non combattantes.
La participation de la Chine à la lutte contre la piraterie dans le Golfe d’Aden a été annoncée le 18 décembre 2008 et s’est concrétisée moins de trois semaines plus tard par l’arrivée de deux bâtiments (Frégate Xuzhou de 4000 tonnes) de combat et d’un bâtiment de soutien. La mission affichée était la protection des intérêts chinois. Elle était aussi destinée à contribuer à l’image de grande puissance responsable que veut donner la Chine. Elle permettait enfin à l’Armée Populaire de découvrir les déploiements navals de longue durée. En marge de cette opération dans le golfe d’Aden, la première opération « lourde » loin de l’Empire a permis d’évacuer, en 2011, 36.000 ressortissants chinois travaillant en Libye. Elle mettait principalement en œuvre des ferries grecs affrétés, mais aussi des moyens militaires. On a ainsi vu, ce qui était une première, un des bâtiments de la force anti piraterie entrer en Méditerranée pour la circonstance et des avions de transport militaires chinois se poser en Libye. En Mars 2015, la Chine a aussi procédé, en parallèle avec la Marine Indienne, à des évacuations de ressortissants au Yemen.
Le nombre d’actes de piraterie avait diminué dans les dernières années et il n’y avait pas eu d’attaque sur de gros navires depuis 2012 jusqu’à celle sur un tanker panaméen à la mi-mars, qui avait conduit à une intervention chinoise. Elle a été suivie d’une action au profit d’un vraquier immatriculé au Tuvalu le 8 avril dernier. Cette dernière, menée en coopération avec des moyens de la marine indienne, a aussi vu la première action létale revendiquée par la Chine, qui aurait tué deux pirates. Comme pour l’évacuation au Yemen, la Chine n’a pas fait état de sa coopération avec l’Inde, qui semble relever avant tout du pragmatisme des militaires directement au contact.
La Chine continue de justifier sa présence et son action par son sens des responsabilités et par ses intérêts économiques. L’argument ne peut être négligé, sachant qu’il passe dans la zone environ 1500 bâtiments de commerce chinois par an et que les bâtiments chinois ont aussi escorté de nombreux bâtiments d’autres pavillons. La volonté d’acquérir une expérience opérationnelle ne peut cependant être niée. L’amélioration des capacités chinoises dans ce domaine est d’ailleurs observée de très près. Plus globalement, cette présence est la marque de la stratégie, clairement affichée par le Président Xi et en continuation de ses prédécesseurs, de développement de la « Route de la Soie Maritime ». Dans la région, cette politique s’est traduite par la mise en place des joyaux du « Collier de Perles », série de points d’appui s’étendant depuis les côtes chinoises jusqu’à l’entrée de la Mer Rouge.
Au delà des actions anti piratries, l'implantation d'une base militaire chinoise à Djibouti, en 2016 est elle le premier signe d'un développement plus large de la chine en dehors de sa zone d'influence ?
La Chine justifie l’implantation d’une base militaire à Djibouti par la nécessité de disposer d’un point d’appui logistique, alors qu’elle dispose déjà de telles facilités dans le port de Gwadar, au Pakistan.
Mais Gwadar est surtout un port marchand, appartenant à une société chinoise, comme celui du Pirée d’ailleurs (Toutefois, les sociétés chinoises propriétaires de ces ports sont des entreprises d’état). La base militaire chinoise de Djibouti est quelque chose de très nouveau, dans la mesure où il s’agit de la première implantation clairement affichée en dehors du territoire national ou revendiqué comme tel. A ce jour, on ne voit pas où la Chine pourrait (ou voudrait) implanter d’autres bases militaires. Elle ne l’a pas fait dans les pays africains où elle est solidement implantée, pas plus qu’elle ne l’a fait au Venezuela. Pékin n’a même pas créé de « vitrine » de son industrie d’armement dans certains états africains qui auraient sans doute été heureux de l’accepter.
Les capacités de projection de l’APL demeurent limitées. Toutefois, le besoin, en particulier en Mer de Chine du Sud, est crucial. La participation à des opérations dans le Golfe d’Aden apporte ainsi une précieuse expérience de la tenue à la mer. La possibilité d’effectuer de petits déploiements à longue distance en direction de Djibouti apporterait aussi de précieux enseignements.
Comment interpréter ces signes vis à vis des autres nations présentes sur ces territoires, notamment la présence des français et des américains à Djibouti ?
L’implantation chinoise sur Djibouti se fera de manière progressive et il sera possible de l’analyser au fur et à mesure de ce déploiement. Les moyens matériels et humains qui seront mis en place seront très révélateurs des vraies intentions chinoises. La logistique peut se résumer à des moyens d’avitaillement et de réparation, mais elle peut aussi comprendre des munitions. Outre la logistique, la Chine déploiera aussi certainement des moyens de communication et des unités de protection. L’éventail des possibilités est très large. Dans le domaine des communications, on peut aller du plus simple jusqu’à des moyens d’écoute sophistiqués. La protection de la base chinoise peut aussi se décliner depuis la simple sentinelle jusqu’à des troupes capables d’actions d’une certaine envergure. Et, comme indiqué plus haut, d’éventuels déploiements temporaires pourraient être observés.
Il sera aussi intéressant de voir comment les personnels chinois, tant civils que militaires, mis en place à Djibouti interféreront avec les différents acteurs de la vie locale, tant autorités djiboutiennes que françaises ou américaines.
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