lundi 9 juillet 2012

Hassen Chalghoumi. L’imam des lumières


PORTRAIT Ses positions modérées et sa volonté de dialogue avec les juifs valent au chef de la mosquée de Drancy d’être menacé.

Par ANNETTE LÉVY-WILLARD 

On n’évite pas le flash-back. Impossible de quitter la ville sans qu’il vous emmène voir les barres de HLM où, il y a soixante-dix ans, ont été enfermés 100 000 hommes, femmes et enfants juifs avant leur déportation. La cité n’a pas changé, elle ressemble aux photos noir et blanc de l’époque. Les barbelés ont disparu, les gens aussi. L’imam de Drancy fait visiter le lieu, accompagné des deux policiers en civil chargés de sa protection depuis qu’il est menacé par les islamistes.
Pourquoi Hassen Chalghoumi se sent-il si concerné par la mémoire de la Shoah ? C’est lié au lieu, d’abord. Drancy est toujours le symbole de la déportation des juifs de France. «Cheikh Hassen», comme l’appellent ses fidèles, est devenu par hasard imam de la nouvelle mosquée de Drancy, mais il y a vu un «destin». Un devoir de rappeler cette «tache noire de l’humanité».Cela renvoie aussi à son histoire. Elevé dans une Tunisie laïque et tolérante, au sein d’une famille religieuse mais libérale, il est le seul des quatre enfants d’un père vétérinaire à avoir choisi d’aller dans une école coranique, à la recherche d’un «islam magique». Recherche qui le conduira, après le bac, à un long périple dans les pays musulmans : de la Syrie à l’Algérie et la Turquie, il a voyagé en Iran, en Inde, au Pakistan… Un parcours qui aurait pu fabriquer un extrémiste fondamentaliste. Mais Hassen Chalghoumi a été séduit par l’Inde et son«islam avec l’esprit de Gandhi» et par la Turquie, «où les minorités sont protégées» et «l’Etat séparé de la religion». Il revendique un attachement à l’islam mystique, au soufisme.
Le «destin», donc, le conduit à débarquer en Seine-Saint-Denis à 24 ans, un soir de Noël 1996, pour rejoindre son frère aîné marié à une Française. Il est tout de suite surpris et touché qu’on lui souhaite de«joyeuses fêtes». Il croit déjà au dialogue et à l’ouverture. Avec enthousiasme et naïveté. Aussi décide-t-il, pendant la fête de l’Aïd, d’aller offrir des pâtisseries orientales à l’église voisine, à la synagogue et…au commissariat. Etonnement des policiers du 93, pas vraiment habitués à recevoir des gâteaux de la part des jeunes arabes.
Chalghoumi habite chez son frère à Bobigny, prêche dans un foyer de travailleurs émigrés, gagne sa vie en travaillant à la RATP comme«grand frère», chargé de résoudre les conflits, ce qui lui convient, lui qui croit à la discussion et au respect. Plus tard, il gère une pizzeria et en fait un lieu de rencontres et de discussions. Enfin, il se lance avec l’association culturelle musulmane de Drancy dans le projet de construction d’une mosquée. Grâce au soutien du député-maire centriste, Jean-Christophe Lagarde, la mosquée s’élève au bout du parking du nouveau centre commercial géant Drancy-Avenir.
C’est en 2006 que les ennuis ont commencé pour le jeune cheikh, quand il participe à la cérémonie anniversaire de la déportation. Il rentre chez lui avec sa femme et trouve la maison saccagée. Convaincu de la justesse de son combat pour un «islam des lumières, pas un islam de l’obscurité», ce cheikh à l’allure sportive et occidentale, sans barbe, plutôt cadre sup que chef spirituel, ne se décourage pas. Au contraire. Il invite dans sa mosquée toute neuve des «frères ennemis» - et ils viennent - des ambassades du Soudan, d’Algérie, de Palestine, mais aussi des Etats-Unis, ainsi que l’évêque de Saint-Denis et le grand rabbin de Paris.
Il agace encore les islamistes quand il soutient la loi contre la burqa.«Ce n’est pas une obligation religieuse», explique-t-il. Dans son livre,Pour l’islam de France, il défend non seulement le dialogue avec les juifs, mais se dit féministe, dénonce la situation des femmes «victimes de la barbarie» au nom de l’islam, réclame l’interdiction de la polygamie… On est surpris de découvrir que sa femme, française d’origine tunisienne, épousée un an après son arrivée en Seine-Saint-Denis, est voilée. Elle porte le foulard traditionnel, pas la burqa. «Elle était voilée quand je l’ai rencontrée, dit Chalghoumi, mais ma mère, mes sœurs, ma fille de 14 ans, ne sont pas voilées. C’est leur choix. Dans l’islam, l’apparence ne compte pas pour Dieu.» Le couple a cinq enfants qui vont dans une école catholique, «pour avoir une meilleure éducation que dans les collèges publics du 93».
Mais c’est Israël et les juifs qui déchaînent la hargne des groupuscules islamistes. Premier voyage en 2009 de l’imam avec le père Mathieu et le rabbin Sarfati. Les religieux vont à Sdérot, en Israël, et à Gaza, passant d’un côté à l’autre du conflit israélo-arabe. Le cheikh devient alors «l’imam des juifs». Les islamistes assiègent sa mosquée, manifestant à l’appel du collectif Cheikh Yassine (du nom d’un chef du Hamas assassiné). En 2010, un commando tente même de prendre le pouvoir et de virer «l’agent des sionistes».
Aujourd’hui, des affichettes collées sur le mur proclament : «Ce n’est pas une mosquée, c’est une synagogue.»Au mois de juin, l’Internet intégriste s’est enflammé. Une pétition circule, exigeant la démission de l’imam. Et les menaces de mort déferlent parce que Chalghoumi vient de retourner en Israël, invité par l’ambassade de France pour un colloque sur «religion et laïcité». Ses dénonciateurs oublient de dire que l’imam de la mosquée Al-Aqsa et le grand mufti de Jérusalem l’ont accueilli en grande pompe, et que le ministre palestinien des Affaires religieuses l’a reçu à Ramallah, où il est «venu apporter au peuple palestinien le soutien de la communauté musulmane de Drancy et de la Conférence des imams de France» (qu’il a créée). Emu, Hassen Chalghoumi nous dit que les Palestiniens ont compris sa lutte contre l’extrémisme : «J’essaie de faire un pont entre les peuples.»
Ses ouailles - qui autofinancent leur mosquée et l’imam - ne le suivent pas tout à fait. Le maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, constate que si les 4 000 fidèles se sentent proches de cet islam modéré, certains trouvent que leur imam «en fait trop» «Ils viennent pour prier dans une mosquée, ils ne veulent pas d’une telle politisation et, surtout, de médiatisation. Hassen, lui, ne résiste pas aux caméras.»Le cheikh est-il conscient de cet isolement ? Désormais Français, il a voté et pense que la gauche va le soutenir, «parce qu’il défend ses valeurs». Déterminé mais inquiet pour lui et sa famille, malgré la garde policière : «Je suis un homme de foi français, un citoyen qui veut changer les choses, et on me traite de collabo, de traître.»
Seul ? Don Quichotte de l’islam ? Malgré la violence des sites radicaux, la voix de Hassen Chalghoumi se fait entendre, il a même été interviewé par Al-Arabiya, la chaîne saoudienne où il a pu exposer aux sept millions de téléspectateurs arabes sa conception optimiste du vivre ensemble en France.

http://www.liberation.fr/politiques/2012/07/05/hassen-chalghoumi-l-imam-des-lumieres_831420



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