Elle commence en farce et finit
en tragi-comédie. La farce, c’est cette « romance « entre un général couvert de
médailles et blanchi sous le harnois et une dame de la bonne société américaine
de province.
La tragi-comédie, c’est sa démission
peu glorieuse de son poste, névralgique, de directeur de la CIA et les
répercussions bien fâcheuses de cette sombre histoire sur l’establishment
militaire américain. Quelle merveilleuse comédie de boulevard Feydeau en aurait
tiré !
Les acteurs sont désormais bien
connus. Petraeus est, ou plus exactement était, un héros militaire comme les
Américains aiment à s’en doter : svelte, élégant, visage en lame couteau, un
vrai général d’Hollywood. Bien que n’ayant jamais commandé de troupes au feu, il
a volé de postes prestigieux en commandements stratégiques, Irak, Afghanistan,
OTAN avant d’être porté à la tête de la plus grande agence d’espionnage au
monde, la fameuse CIA (que l’on retrouve dans tous les mauvais coups depuis 50
ans, Baie de Cochons comprise). En fait, à y regarder de plus près, il
semblerait bien qu’il ait été avant tout un général « mondain », fort soucieux
de se ménager les relations utiles à sa carrière.
Elle, mariée s’il vous plait, avec deux enfants, est une-femme-de-lettres en herbe, ambitieuse, ayant bénéficié d’une formation militaire à West Point (mais elle avait sans doute, séché les cours d’éthique) puis civile à Harvard. Installée avec son radiologue de mari (il faut bien vivre) à Charlotteville, North Carolina, petite ville provinciale, elle devait s’y ennuyer ferme. Son CV ne comporte pas moins de 6 lignes, depuis « féministe », « surfer », « skieuse », « retraitée de l’armée » pour terminer sur une note attendrissante « Maman ». Il ne lui a manqué que d’avoir été interne à la Maison Blanche, comme Monica Lewinsky. En bref, une héroïne de la série « Desperate Housewives », une de ces innombrables américaines sans emploi dans la société américaine d’aujourd’hui qui débordent d’énergie de frustrations, d’ambitions non réalisées mais qui se croient tout permis. L’analyse de son ordinateur a quand même révélé nombre d’informations relatives aux déplacements et activités du haut commandement militaire américain, sans compter ceux du général Petraeus bien entendu. Là, une ligne rouge a été franchie et l’on sort de la frivolité mondaine.
Le tableau de famille ne serait pas
complet sans Jill Kelley, (3 enfants, bien sûr) celle par qui le scandale est
arrivé. C’est une sorte de Madame Bovary à l’américaine. Ici on a affaire à une
« socialite » comme on dit aux USA, une dame du beau monde de Tampa, Floride,
qui reçoit énormément, de personnalités plus ou moins connues, dans le domaine
militaire tout au moins. On songe ici naturellement au « Great Gastby », le
héros du beau roman de Scott Fitzgerald. C’est elle qui a eu l’idée lumineuse
d’alerter le FBI, s’il vous plait, après avoir reçu une série de mails jugés
menaçants. On croirait assister à un épisode de la saga Treiweiler contre
Ségolène Royal.
En fait, ce ménage de haut vol, vu
de plus près, apparaît sous des traits moins sympathiques. Sa Fondation contre
le cancer semble avoir moins financé la recherche que des dîners de grand
standing, des réceptions de haut niveau, de luxueux voyages à l’étranger, sans
compter de de généreuses dépenses de fonctionnement. (Cela rappelle
étrangement quelque chose de familier chez nous. Mais quoi ?) Mais là où le cas
semble s’aggraver, est que ce couple qui recevait tant et si bien du beau monde
en uniforme, était endetté jusqu’au cou.
Mais l’affaire se corse avec la mise
en cause du général John Allen, ancien responsable en second du haut
commandement central américain à Tampa et qui avait remplacé le général Petraeus
en Afghanistan. Les services secrets ont identifié pas moins de de 20 000 à 30
000 mails échangés entre Kelley et ledit général. Apparemment le haut
commandement militaire américain dispose de pas mal de loisirs pour l’écriture
sentimentale. Du coup, sa nomination, imminente, comme commandant en chef à
l’OTAN parait fortement compromis. Quand on vous dit que la femme est la
perdition de l’homme.
Mieux encore, l’agent spécial du FBI
chargé de l’enquête à ses débuts, l’honorable Frederick Humphries II, a tout
fait pour étouffer l’affaire. C’est qu’il avait, lui aussi, une relation
spéciale avec Jill Kelly. Décidément, ces quadragénaires américaines sont
irrésistibles. O tempora, o mores.
On nage en plein
vaudeville.
Là où cela devient moins amusant est la
démission surprise de Petraeus. Il était évident qu’il ne pouvait rester à ce
poste de haute responsabilité, mais de vulnérabilité non moins grande, exposé
au quotidien à des risque de chantage qui n’auraient naturellement pas manqué
de se produire. Mais, du coup , le malheureux président OBAMA se trouve privé de
militaires d’expérience au moment où il en aurait le plus besoin, avec une
actualité géopolitique qui commence à se charger sérieusement un peu partout
dans le monde, en Syrie, en Libye, avec le retrait programmé d’Afghanistan, les
menaces au Liban, à Gaza, avec l’Iran. Sans compter le remplacement d’Hillary
Clinton au Secrétariat d’État et l’imprévisible Chine.
Mais cette triste affaire jette
aussi une lueur un peu trouble sur la capacité d’OBAMA de bien choisir ses
proches collaborateurs. Et aussi sur les mœurs, valeurs, comportements de
certains militaires américains de haut rang, qui semblent plus portés à goûter
aux joies de la Dolce Vita de Fellini que de partager sur le terrain la vie
rugueuse de leurs soldats engagés en Afghanistan et en Irak. Trop de confort
sans doute et manque d’éthique sans nul doute. Ce personnel semble
malheureusement faire preuve à l’occasion d’une certaine fragilité
psychologique joint à une certaine naïveté. On a l’impression d’avoir affaire à
des teenagers, des ados immature tirés d’American Graffiti. Que le directeur de
la CIA se livre à une débauche de mails compromettants sans prendre la
précaution élémentaire de les encoder peut aussi surprendre. De vrais gamins. Au
surplus, ne dit-on pas en français « jamais dans le diocèse » (en allemand :
niemals in der Kompanie »).
Ceci, étant, il n’en demeure pas
moins que l’establishment militaire américain ne sort pas grandi de cet épisode
quelque peu sordide, d’autant plus que bien des questions non résolues se posent
encore. Une affaire à suivre donc.
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