Évaluation nationale
Attaque chimique du 4 avril 2017 (Khan Cheikhoun)
Programme chimique syrien clandestin
Ce document est constitué de renseignements déclassifiés issus des sources propres françaises.
Le 4 avril 2017, des frappes aériennes contre des civils dans la ville de Khan Cheikhoun ont tué plus de 80 personnes. Selon nos experts, les symptômes constatés immédiatement après (myosis, suffocation, lèvres bleues, mousses blanches sur le visage, convulsions), tout comme le nombre élevé de décès et le fait que certains secouristes et membres du personnel médical ont subi des contaminations secondaires, sont caractéristiques de l’emploi d’un agent neurotoxique à forte létalité. Ceci est désormais confirmé de façon scientifique (cf. infra).
Ces frappes s’inscrivent dans un contexte d’emploi continu depuis 2013 d’armes ou d’agents chimiques en Syrie, notamment lors de frappes aériennes, y compris après que le régime syrien s’était engagé à démanteler son arsenal chimique le 25 octobre 2013. La France a, à plusieurs reprises, collecté des prélèvements biomédicaux, environnementaux et des munitions ou morceaux de munitions en Syrie. La France a pu confirmer en plusieurs occasions l’emploi de chlore et de sarin. Un tableau joint à ce document liste les évaluations françaises.
1. – Analyse technique de l’attaque chimique du 4 avril
a) La France a mis en oeuvre les moyens nécessaires pour disposer de ses propres échantillons issus de l’attaque présumée au sarin le 4 avril 2017 dans la province d’Idlib.
b) Les analyses réalisées par les experts français sur des échantillons environnementaux, prélevés à l’un des points d’impact de l’attaque chimique survenue à Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, révèlent la présence de sarin, d’un produit secondaire spécifique (le diisopropylméthylphosphonate - DIMP), formé lors de la synthèse de sarin à partir d’isopropanol et de DF (difluorure de méthylphosphonyle), et d’hexamine. L’analyse des échantillons biomédicaux montre également qu’une victime de Khan Cheikhoun, dont le sang a été prélevé en Syrie le jour même de l’attaque, a été exposée au sarin.
La France confirme donc de façon indépendante et avec certitude que du sarin a été employé le 4 avril. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Turquie et le Directeur général de l’OIAC ont de leur côté établi l’emploi de sarin sur la base d’analyses de prélèvements biomédicaux.
c) Selon les renseignements obtenus par les services français, le procédé de synthèse du sarin, développé par les scientifiques du Centre d’Etudes et de Recherches Scientifiques (CERS) et employé par les forces armées et de sécurité syriennes, implique l’utilisation d’hexamine comme stabilisant. Le DIMP est également connu pour être un produit secondaire généré par ce procédé.
d) Ces renseignements sur le procédé utilisé par le régime et qui signe sa responsabilité dans l’attaque du 4 avril reposent, entre autres, sur l’analyse du contenu d’une grenade non explosée mise en oeuvre de façon certaine par le régime syrien lors de l‘attaque de Saraqeb, le 29 avril 2013. Ce jour-là, en milieu d’après-midi, un hélicoptère, en provenance du Nord-Est, a survolé à haute altitude la ville de Saraqeb. Trois objets non identifiés, diffusant une fumée blanche, ont été largués sur les quartiers situés à l’ouest de la ville, selon une trajectoire nord-sud. Selon la France, seule l’armée syrienne était en possession d’hélicoptères et pouvait donc être à l’origine de ces trois largages. Chronologie du largage de trois objets non identifiés par un hélicoptère. Au premier point d’impact, aucune victime n’était à déplorer. Au point deuxième point d’impact, on dénombrait un décès et une vingtaine de victimes. Parmi les débris, une grenade explosée a été découverte. Les analyses de prélèvements biomédicaux et environnementaux recueillis par les services français ont révélé la présence de composés caractéristiques d’une exposition au sarin. Cette analyse a été confirmée en décembre 2013 par les Nations Unies.
Grenade explosée retrouvée au deuxième point d’impact
Au troisième point d’impact, une grenade non explosée a été retrouvée dans un cratère sur un chemin de terre. Cette munition présentait une importante similitude d’aspect avec celle du deuxième point d’impact.
Cratère au troisième point d’impact où la grenade a été retrouvée
Les services français, s’étant assurés de la traçabilité de cette grenade, ont fait procéder à des expertises.
Munition récupérée au troisième point d’impact et sa radiographie
Les analyses chimiques conduites ont montré qu’elle contenait un mélange solide et liquide d’environ 100 millilitres de sarin à une pureté estimée à 60%. L’hexamine, le DF et un produit secondaire, le DIMP, ont également été identifiés. Des modélisations réalisées à partir des caractéristiques du cratère ont confirmé avec un très haut niveau de confiance un largage par voie aérienne.
e) La présence de composés chimiques communs dans les échantillons environnementaux récupérés lors des attaques de Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, et de Saraqeb le 29 avril 2013, a donc été formellement établie par la France. Le sarin présent dans les munitions utilisées le 4 avril a été produit selon le même procédé de fabrication que celui utilisé lors de l’attaque au sarin perpétré par le régime syrien à Saraqeb. En outre, la présence d’hexamine indique que ce procédé de fabrication est celui développé par le CERS au profit du régime syrien.
2.– Analyse militaire de la situation tactique autour du 4 avril
a) L’attaque du 4 avril est intervenue après que les forces armées et de sécurité syriennes et ses soutiens ont lancé une contre-offensive dans le secteur de Hama, en réaction à la progression des groupes armés et du Hay’at Tahrir al Cham au nord de Hama, depuis le 22 mars.
Le 23 mars, les forces d’élite syriennes, les Qouwat al Nemr, ainsi que le Hezbollah et la force iranienne al Qods, ont été redéployées dans cette zone. L’effort aérien syrien et russe a aussi été porté en majorité sur ce secteur. Le 2 avril, les FASS et leurs soutiens ont repoussé la ligne de front sans que Damas parvienne à reprendre la totalité du territoire conquis par les groupes armés pendant le mois de mars. Depuis lors, le régime a largement repris l’ascendant dans le secteur de Hama et continue de faire pression sur l’opposition : de nouveaux bombardements conventionnels ont été observés dans la région de Hama.
b) Les services français ont connaissance en particulier d’un Sukhoi 22 qui a décollé de la base de Chayrat le 4 avril au matin et a effectué jusqu’à six frappes sur la localité de Khan Cheikhoun.
c) Pour ce qui concerne l’organisation générale de la chaîne de commandement, les services de renseignement français estiment que seuls Bachar al Assad et certains des membres les plus influents de son entourage sont habilités à donner l’ordre d’utiliser des armes chimiques.
3. – Analyse de la présence des groupes armés à Hama et de leurs capacités
a) S’il est confirmé que des attaques chimiques à l’ypérite ont été conduites en Syrie par Daesh depuis 2015, la France estime que la thèse d’une attaque à l’aide d’un agent neurotoxique le 4 avril menée par les groupes armés n’est pas crédible. La France ne dispose d’aucune information permettant de confirmer la détention de sarin par ces groupes.
1. Hay’at Tahrir al Cham (HTS) est né de la fusion de plusieurs factions radicales avec le mouvement qaïdiste Jabhat Fatah al-Sham à la suite de la chute d’Alep. Une coordination pragmatique a été observée entre le HTS et les autres groupes armés présents dans le secteur de Hama fin mars. A la connaissance des services français, aucun de ces groupes ne dispose de la capacité à mettre en oeuvre un agent neurotoxique, ni ne dispose des capacités aériennes nécessaires.
2. L’hypothèse d’une attaque perpétrée par Daech n’est pas plausible non plus, alors que le groupe terroriste n’est pas présent dans le secteur de Hama. Les services de renseignement français n’ont au demeurant pas constaté que Daesh disposait de sarin ni de capacités aériennes.
b) Les services français estiment qu’une mise en scène ou une manipulation par l’opposition n’est pas non plus crédible, en particulier du fait de l’afflux massif de patients en un temps limité vers des hôpitaux sur le territoire syrien et sur le territoire turc, et de la mise en ligne simultanée et massive de vidéos présentant les symptômes de l‘utilisation d’agents neurotoxiques.
4. – Maintien depuis 2013 d’un programme chimique clandestin syrien
a) Dans une précédente synthèse nationale déclassifiée, les services français recensaient, en 2013, leurs connaissances du programme chimique syrien et des attaques chimiques perpétrées par le régime. Ils signalaient notamment que le sarin était majoritairement utilisé sous forme binaire : mélange de difluorure de méthylphosphonyle (DF), précurseur clé dans la fabrication du sarin, et d’isopropanol réalisé juste avant emploi.
La France a signalé à l’OIAC que les explications syriennes sur les quantités de DF déclarées, une vingtaine de tonnes, comme ayant été utilisées lors d’essais ou perdues lors d’accidents, étaient surévaluées. D’autre part, depuis 2014, la France a pu constater des tentatives d’acquisition par la Syrie de quelques dizaines de tonnes d’isopropanol. Aucune preuve de la véracité des déclarations syriennes n’a pu être obtenue par l’équipe d’évaluation de la déclaration initiale syrienne (DAT) du Secrétariat technique de l’OIAC. L’OIAC a elle-même constaté des incohérences majeures dans les explications syriennes au sujet de la présence de dérivés de sarin sur plusieurs sites sur lesquels aucune activité liée à ce toxique n’avait été déclarée.
b) Sur la base des conclusions de la DAT et de ses propres renseignements, la France estime que d’importants doutes subsistent sur l’exactitude, l’exhaustivité et la sincérité du démantèlement de l’arsenal chimique syrien. La France estime en particulier que la Syrie, malgré l’engagement pris de détruire l’ensemble de ses stocks et capacités, a maintenu une capacité de production ou de stockage de sarin. Elle estime enfin que la Syrie n’a pas déclaré de munitions tactiques (grenades et roquettes) telles que celles utilisées, de façon répétée, depuis 2013.
c) Le régime de Damas a continué de faire usage d’agents chimiques contre sa population depuis l’adhésion de la Syrie à la CIAC le 13 octobre 2013. Plus d’une centaine d’allégations d’emploi ont ainsi été recensées, au moyen de chlore mais également de sarin.
Depuis 2014, la mission d’établissement des faits de l’OIAC (Fact Finding Mission, FFM) a rendu publics plusieurs rapports confirmant l’emploi d’armes chimiques en Syrie contre des civils. Le mécanisme d’enquête et d’attribution ONU-OIAC sur les attaques chimiques (Joint Investigation Mechanism, JIM) a enquêté sur neuf allégations d’emploi. Dans ses rapports d’août et d’octobre 2016, le JIM attribue à Damas trois cas d’utilisation de chlore et un cas d’utilisation d’ypérite à Daech.
Sur la base de cette évaluation d’ensemble et en raison des renseignements fiables et concordants recueillis par nos Services, la France estime que les forces armées et de sécurité syriennes ont mené une attaque chimique au sarin contre des civils à Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017.
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