Le 25 mars, l’Arabie Saoudite a lancé sa grande campagne militaire : 150 000 soldats et 100 avions de combat annoncés sur le terrain par le plus grand royaume du Golfe, qui a entraîné dans son sillage pas moins de neuf pays du monde sunnite. Quel est le déclencheur d’un tel déploiement ?
Ryad prendrait-il enfin à sa juste valeur la menace de Daech dans la région ?
Non.
Dans la ligne de mire de cette coalition sans précédent, la rébellion houthiste au Yémen. Leur tort ? Être de confession chiite et donc, selon la géopolitique régionale, dans le giron du grand rival iranien qui ne cesse, depuis les grands bouleversements de 2011 au Moyen-Orient, de gagner en puissance et en influence.
Du Liban par le biais du Hezbollah, en passant par son soutien inconditionnel à Bachar al-Assad jusqu’à la lutte contre l’État islamique en Irak, l’Iran fait de l’ombre aux Saoudiens qui entendent bien préserver leur leadership. L’offensive de la rébellion houthiste vers Sanaa et la fuite du président Mansour Hatib, allié de la monarchie, le 24 mars a décidé Ryad à intervenir dans ce qu’elle considère être son pré-carré yéménite. La coalition formée par le Royaume, qui dispose en outre d’un soutien américain, témoigne de sa capacité de mobilisation. Pour la plupart, ces pays alliés n’ont aucun intérêt à défendre au Yémen, ils ne sont que des vassaux désireux de bien se faire voir par Ryad.
Ryad vs Téhéran
L’objectif de cette intervention militaire a le mérite d’être affiché et assumé, l’Arabie Saoudite nous épargne les justifications morales de mise pour les puissances occidentales lorsqu’elles s’en vont bombarder des contrées étrangères. Le Royaume ne s’embarrasse pas de telles considérations, il est au Yémen pour contrer l’influence iranienne, rien de plus. Leur première cible fut d’ailleurs un camps de réfugiés le 30 mars, bilan, une quarantaine de morts… Cette intervention aurait le mérite de clarifier une situation presque indéchiffrable : les guerres qui font rage actuellement dans le Monde arabe sous toutes les sous-catégories d’un conflit plus global entre les deux principales composantes du monde islamique, sunnite et chiite, elles-même incarnées par les principales puissances de la région que sont l’Iran et l’Arabie Saoudite. La plupart des conflits armés qui morcellent le Moyen-Orient se regrouperaientt finalement dans une sorte de « super-guerre » entre deux impérialismes concurrents.
Cette vision binaire et sectaire est du moins le fruit des politiques menées par les parrains saoudiens et iraniens, étouffant au passage tous les mouvements révolutionnaires issus du Printemps arabe, renforçant les dictateurs de la région et oeuvrant pour des doctrines réactionnaires voir moyen-âgeuses. Rien de bien réjouissant à l’horizon pour les populations moyen-orientales qui ne peuvent guère compter sur les puissances occidentales coupables d’une véritable schizophrénie diplomatique.
Un Occident bien accommodant
Les relations entre l’Arabie Saoudite et les puissances occidentales sont à ce point remarquables qu’elles remettraient en cause le vieux dicton « l’argent n’a pas d’odeur ». À Ryad, l’argent à l’odeur du mazout, et les États-Unis ou l’Europe y sont attirés comme des mouches sur le miel. Il n’y avait qu’à voir l’essaim de dirigeants tourbillonné autour de la dépouille encore fumante du roi Abdallah à son enterrement le 23 janvier. François Hollande, Barack Obama, Angela Merkel, David Cameron… tout ce beau monde s’est précipité au chevet de l’Arabie Saoudite, endeuillée pour saluer la mémoire « d’un grand défenseur de la cause des femmes », dixit l’imminente Christine Lagarde. Au lendemain des attentats parisiens alors que l’Occident s’est à nouveau proclamé en guerre contre l’islamisme radical, comment un tel régime, qui n’a pas beaucoup à envier aux pratiques de Daech (voir à ce sujet cette infographie édifiante) peut-elle se prévaloir d’une telle solidarité ?
11,5 milliards de barils de pétrole par jour peut-être…
Pour les pays riches en crise, en quête désespérée de marché extérieur pour appuyer des croissances en berne, l’Arabie Saoudite est littéralement un Eldorado où l’or sort à la moindre caresse. Exit les droits de l’Homme, exit la lutte contre le terrorisme : ces richesses incommensurables aveuglent toutes les chancelleries étrangères qui se font très accommodantes à l’égard de ce pays. Le 11 septembre 2001 en est un exemple révélateur : sur les dix-neuf pirates de l’air, quinze étaient ressortissants de la monarchie.
En réaction, la destruction de l’Afghanistan et de l’Irak, ainsi que le renforcement de la coopération avec Ryad tient d’une logique toute « bushéène ». Les multiples financements saoudiens aux islamistes radicaux à travers le monde ne sont plus à prouver : du front al-Nosra en Syrie en passant par l’État islamique au Levant, ancêtre de Daech, jusqu’à Al Qaeda au Yémen, le Royaume a contribué sur tous les fronts, à l’émergence et au renforcement de ces groupes, devenus ennemis mortels de l’Occident… qui n’y voit aucun inconvénient et continue à signer des contrats juteux avec l’Arabie Saoudite, comme récemment en novembre 2014 où la France lui à vendu pour trois milliards de dollars d’armement.
La Cour bien garnie du Royaume
Alors que les États-Unis renouent avec Téhéran par le biais de négociations qui prendront bientôt fin, l’Arabie Saoudite cherche à montrer que sa puissance est sans pareille dans la région. Une démonstration de force d’autant plus impressionnante par la capacité du Royaume d’entraîner derrière-lui une cohorte d’États. La coalition officialisée lors du dernier sommet de la Ligue arabe le 29 mars, consacre l’hégémonie du Royaume sur ses vassaux et la confrontation de deux blocs porteurs d’idéologie tout aussi totalitaire, dont les affrontements par guerres interposées n’ont pas fini de faire des ravages. Les Yéménites n’en sont que la dernière victime.
Dans tous les cas, l’ouverture d’un nouveau front dans ces guerres régionales, plonge un peu plus le Moyen-Orient dans le chaos et cette rivalité impérialiste risque d’avaler les fragiles revendications de protagonistes plus estimables dans la région. Des brigades de l’Armée syrienne libre en passant par les Peshmergas irakiens ou les YPG kurdes, ces groupes sont porteurs de projets politiques en continuité avec les revendications des manifestants du Printemps arabe et en opposition totale avec les sombres desseins promis par Daech, l’Arabie Saoudite ou l’Iran.
Si Ryad ne comptait dans sa Cour que les dictateurs et monarques absolus de la région… de Paris à Washington, on se bat pour attirer les faveurs du Royaume et les mannes financières qui vont avec. Le résultat est une politique régionale incohérente, où l’Occident se fait à la fois Champion des droits de l’homme et marchand de canon. Stratégie contradictoire qui ne sert bien évidemment pas les populations du Moyen-Orient mais qui a au moins le mérite de rapporter de gros sous. La diplomatie économique de Sa Majesté l’Arabie-Saoudite lui permet de tout se permettre et elle ne s’en prive pas.
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