samedi 17 septembre 2016

Ils infligent des défaites à Boko Haram, mais représentent-ils la prochaine menace pour la sécurité du Nigéria ?

Boko Haram est en fuite, et le mérite en revient en grande partie aux groupes d’autodéfense qui se sont constitués pour protéger leurs communautés contre les djihadistes dans le nord-est du Nigéria. Mais l’inquiétude grandit de voir ces groupes devenir une nouvelle menace pour la sécurité.
Abba Aji Khalli est un auditeur employé par le gouvernement de l’Etat de Borno à Maiduguri, où Boko Haram a été formé.
En juin 2013, il a été l’un des premiers à s’engager dans la « Force opérationnelle interarmées civile (CJTF) », un groupe d’autodéfense dont les membres se sont armés de machettes et de vieux fusils de chasse à un coup pour protéger la ville, alors que l’armée semblait dépassée par la situation.
Un an plus tard, quand la milice a chassé Boko Haram de Maiduguri, M. Khalli était le chef et dirigeait, selon ses dires, une unité forte de 8 000 hommes.
« Ce sont des enfants dans le besoin, car ils ont été formés pour combattre les insurgés », a dit cet homme de 52 ans à propos de ses troupes.
La clé des succès du groupe d’autodéfense réside dans le fait qu’ils savent qui sont les habitants de leurs quartiers qui soutiennent Boko Haram. Au début, les insurgés bénéficiaient d’un certain soutien au sein des communautés qui les considéraient comme « nos garçons », notamment quand la stratégie défaillante de l’armée était réduite à des arrestations arbitraires et des châtiments collectifs.
Mais les membres de Boko Haram se montraient encore plus violents. Tous ceux qui ne les soutenaient pas étaient des cibles potentielles, même les musulmans les plus fervents. Ils tuaient en toute impunité et leur discours vindicatif a fini par retourner la communauté, et notamment la classe moyenne de Maiduguri, contre le groupe.

Tout est dans le nom

Le nom de la milice, Force opérationnelle interarmées civile (CJTF), est admis comme une reconnaissance implicite de son allégeance aux forces de sécurité, alors connues sous le nom de Force opérationnelle interarmées ou JTF (Joint Task Force). Les unités d’autodéfense étaient les yeux et les oreilles de l’armée, mais elles menaient aussi des actions directes et se faisaient impitoyables envers les cellules présumées de Boko Haram au sein des communautés.
« Alors, je demande ‘Qu’en est-il des jeunes qui ont sacrifié leur vie pour protéger l’intégrité du Nigéria ?’ »
Des groupes de défense des droits de l’homme ont recensé les actes de violence grave exercés par la milice, comme l’exécution sommaire de personnes identifiées comme appartenant à Boko Haram, ainsi que leur participation à des exécutions extra-judiciaires commises par les militaires.
La lutte pour le contrôle de la zone était si violente que Boko Haram s’est fait un point d’honneur de donner l’exemple dans les villes où la Force opérationnelle interarmées civile était présente. Ainsi, la ville deBama a été détruite après la déroute de l’armée et de la milice d’autodéfense.
Le gouvernement de l’Etat de Borno n’a pas tardé à soutenir la milice, officiellement connue sous le nom d’Association des jeunes de Borno pour la paix et la justice (Borno Youth Association for Peace and Justice). Il a formé un petit groupe de volontaires, fourni des véhicules et versé un petit salaire à certains d’entre eux. Il s’est en revanche abstenu de fournir des armes de manière systématique, car il semblait inquiet à l’idée de ne pas être capable d’en suivre la trace.

Et maintenant ?

La guerre touche à sa fin et les autorités sont conscientes que les groupes d’autodéfense qui ont été les premiers à défendre leurs communautés représentent un nouveau défi. Officiellement, le gouvernement de l’Etat de Borno a recensé 3 000 jeunes hommes, mais la milice compterait en réalité quelque 30 000 membres – et tous ne sont pas des héros locaux.
Outre les meurtres, la Force opérationnelle interarmées civile est accusée d’avoir commis des actes de violence et d’exploitation sexuelles, en particulier dans les camps installés pour héberger les personnes déplacées par les combats. En raison de ses liens avec les forces de sécurité, elle a parfois agi comme si elle était « au-dessus de la loi ».
M. Khalli a retrouvé la sécurité de son emploi d’auditeur du gouvernement. Mais un grand pourcentage de ses hommes étaient au chômage, travaillaient dans la rue ou vivaient d’escroqueries avant de rejoindre la Force opérationnelle interarmées civile – ils étaient issus des mêmes rangs que les membres de Boko Haram.

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Ils attendent une récompense pour les services qu’ils ont rendus, et dans un pays où les jeunes, mécontents et sans emploi, vendent leurs services de voyous aux représentants politiques – et à quiconque est prêt à les payer –, ils constituent une réelle menace pour la stabilité.
Obi Anyadike/IRIN
Barrage tenu par les milices de la Force opérationnelle interarmées civile à Maiduguri
Au mois de décembre dernier, le gouverneur de l’Etat de Borno, Kashim Shettima, a fait cette déclaration sans concession : « Si nous ne faisons pas des efforts réfléchis pour résoudre les problèmes du chômage, de l’analphabétisme, de la faim et de l’extrême pauvreté, le CJTF deviendra le monstre de Frankenstein qui pourrait nous dévorer ».
Des efforts ont été entrepris pour tuer le problème dans l’œuf. L’année dernière, les législateurs de l’Etat de Borno ont adopté le projet Youth Vigilante Empowerment Scheme (habilitation des jeunes des groupes d’autodéfense). A l’heure actuelle, 1 850 membres des CJTF ont été enregistrés en tant que bénéficiaires de l’aide médicale gratuite et reçoivent une allocation mensuelle de 75 dollars.
Récemment, l’armée a enrôlé 250 anciens membres de la milice et le département d’Etat de la sécurité en a embauché 30 autres, mais ces chiffres sont minuscules.
Depuis longtemps déjà, des voix s’élèvent pour que les membres restants de la milice soient engagés dans un service de police d’Etat, mais cette proposition a créé la controverse au Nigéria. La police fédérale, qui est en sous-effectif, a été incapable de maintenir l’ordre et la loi, mais certains craignent que les représentants politiques locaux et les entrepreneurs ne les exploitent à leur avantage.
Cependant, l’armée continue de reprendre du terrain à Boko Haram, et les appels en faveur de la création d’une police d’Etat afin de combler le vide sécuritaire et protéger les déplacés qui rentrent chez eux se multiplient.

Deux poids, deux mesures

Fati Abubakar, un journaliste basé à Maiduguri, pense quant à lui que la CJTF devrait être en première ligne de la défense de la communauté. « Ils pourraient devenir les protecteurs de la communauté après le départ de l’armée », a-t-il dit à IRIN. « Il est impératif que le gouvernement accroisse la participation des jeunes à des activités productives. L’oisiveté est dangereuse ».
M. Khalli, le chef du groupe d’autodéfense, partage ce point de vue, mais il soutient que le gouvernement fédéral doit participer à l’effort et qu’il devrait être poursuivi en justice s’il ne le fait pas.
« Le gouvernement de l’Etat a de nombreuses responsabilités et il ne peut pas tout faire tout seul …. Il faut s’engager maintenant car, connaissant le Nigéria, une fois que la guerre aura pris fin, tout le monde sera oublié ».
Christiana Wakawa, qui travaille au Centre pour l’entreprenariat et le développement de l’université de Maiduguri, a un autre sujet de préoccupation. « Le gouvernement doit leur [membres des groupes d’autodéfense] faire suivre une thérapie pour commencer », a-t-elle dit à IRIN. « Ils ont été les témoins de tellement de choses pendant la guerre qu’il leur faut développer de nouvelles compétences ou alors ils continueront à utiliser leurs compétences de guerrier ».
Les populations du Nord-Est estiment qu’il y a deux poids, deux mesures quant à lagestion des violences commises dans le delta du Niger, une région du Nigéria riche en pétrole, et réclament des conditions aussi généreuses.
En 2009, le gouvernement a accordé l’amnistie à environ 10 000 jeunes hommes qui avaient pris les armes pour réclamer une répartition plus juste des revenus pétroliers de la région. Il a mis en place des programmes de démobilisation et de formation, et a versé de l’argent.
M. Khalli se demande pourquoi les militants du delta du Niger – qui ont tué des soldats nigérians et ont saboté des sites pétroliers au péril de l’économie – ont été amadoués, alors que ses hommes risquent d’être abandonnés à leur sort.
« Je demande au gouvernement fédéral : ‘entre les militants du delta du Niger et mes hommes, qui sont les plus responsables ? De qui devrait-on s’occuper ?’ », a-t-il dit à IRIN.
« Le gouvernement leur a donné des bourses scolaires, du travail et des milliards de dollars. Alors, je demande ‘Qu’en est-il des jeunes qui ont sacrifié leur vie pour protéger l’intégrité du Nigéria ?’ ».
IRIN


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