vendredi 3 mars 2017

Les tentatives du Hezbollah de leur imposer des principes religieux suscitent la colère des habitants du Sud-Liban

Ces six derniers mois, des informations de plus en plus nombreuses ont été diffusées dans les médias libanais concernant les actions du Hezbollah pour imposer le respect des normes islamiques dans différentes villes du Sud-Liban. Cette coercition religieuse se reflète dans des annonces publiées par les conseils municipaux et locaux contrôlés par des représentants du Hezbollah, ordonnant la fermeture de magasins de boissons alcoolisées ou interdisant la mixité dans les espaces publics. Ces mesures ont suscité les protestations de différents secteurs au Sud-Liban qui soutiennent le Hezbollah en tant qu’organisation de résistance mais ne sont pas nécessairement d’accord avec sa politique religieuse. Dans de nombreux cas, les protestations ont entraîné l’annulation des ordres en question. Des critiques contre ces mesures ont également été exprimées dans la presse libanaise, y compris dans le quotidien Al-Akhbar, réputé pour son soutien au Hezbollah.
L’interdiction de la mixité dans les lieux et événements publics
En juillet 2016, la presse libanaise a informé que le conseil municipal de la ville de Jebchit, dans le gouvernorat de Nabatiyah au Sud-Liban, a interdit aux femmes de fréquenter les cafés Internet et les lieux de divertissement et a ordonné leur fermeture pendant les heures de prière, afin de « préserver la tranquillité d’esprit des habitants et eu égard aux [normes] de la charia et de la morale ». Les propriétaires de ces commerces ont protesté, affirmant que le conseil municipal n’était pas habilité à émettre une telle interdiction. Un  article dans le quotidien pro-Hezbollah Al-Akhbar soulignait que les habitants de la ville sont religieux mais s’opposent néanmoins à la coercition religieuse. L’un des habitants cités dans le quotidien a même comparé cette injonction aux mesures prises par l’Etat islamique. [1]
Le même mois, on a appris que le maire d’Al-Khiam au Sud-Liban avait annulé la participation des femmes à un marathon tenu dans la région. Ibrahim Haidar, journaliste pour le quotidien Al-Nahar, qui a abordé la question dans son éditorial, a observé que le conseil municipal d’Al-Khiam est contrôlé par le Hezbollah et que la ville abrite une minorité chrétienne.[2] Al-Akhbar a informé par la suite que 13 femmes de la ville avaient participé au marathon en dépit de l’interdiction.[3]
Selon Al-Akhbar, le village d’Aitaroun a interdit aux hommes et aux femmes de se baigner ensemble dans la piscine municipale, suscitant l’opposition de certains habitants, qui pour la plupart évitent traditionnellement la mixité mais s’opposent néanmoins à la coercition religieuse de la part des autorités par principe. Le quotidien a rapporté que suite à la protestation des habitants, la ville a annulé l’interdiction.[4]
En août 2016, Hashem Safi Al-Din, président du comité exécutif du Hezbollah, a abordé les mesures prises à Jebchit, Aitaroun et Al-Khiam en termes évasifs, affirmant : « L’objectif du Hezbollah [dans son activité au sein des conseil]s municipaux est de servir les habitants tout en respectant deux limites : la loi libanaise et le respect de  la culture de la population [locale]. » [5]
Fermer les magasins de boissons alcoolisées
En janvier 2017, Al-Akhbar a rapporté que plusieurs membres du conseil municipal de la ville de Kafr Rumman dans le gouvernorat de Nabatieh, tous membres du mouvement chiite Amal ou du Hezbollah, avaient diffusé une pétition demandant la fermeture des magasins de boissons alcoolisées de la ville, et que 2 500 habitants avaient signé la pétition. En réaction, le président du gouvernorat a autorisé le conseil municipal à « prendre des mesures contre les propriétaires de magasins ». Toutefois, une fois que des membres du conseil municipal du parti communiste et du parti Al-Talia – branche libanaise du parti Baath – ont exprimé leur opposition à cette décision lors d’une séance du conseil municipal, et que des habitants ont protesté contre celle-ci au motif qu’elle contrevenait à la loi libanaise, le conseil a renvoyé l’affaire devant le gouverneur.[6]
Des habitants de Kafr Rumman protestent contre la décision de fermer les magasins de boissons alcoolisées (Al-Akhbar, Liban, 9 janvier 2017)
Interdire la musique dans les lieux publics
Le site web Janoubia, réputé pour son opposition au Hezbollah, a rapporté le 16 janvier 2017 que les organisateurs d’une cérémonie à la mémoire du président cubain Fidel Castro, qui s’est déroulée deux jours auparavant à Beyrouth, avaient retiré du programme deux interludes musicaux de luth, et ceci sur l’insistance des représentants du Hezbollah conviés, parmi lesquels le député Mohammed Raad. La décision a suscité la colère d’autres personnalités assistant à la cérémonie, y compris des partisans de l’Union démocratique de la Jeunesse et le parti communiste, qui ont quitté la cérémonie en signe de protestation.[7]
Un incident similaire a eu lieu début décembre 2016 à l’université du Liban de Beyrouth, lorsque le conseil des étudiants de la faculté d’ingénierie, dont les membres sont des partisans du Hezbollah, a interdit aux étudiants de la faculté de jouer de la musique lors d’une cérémonie à la mémoire d’un étudiant tué dans un accident de voiture. La cérémonie devait avoir lieu au sein du forum universitaire et inclure des chansons de la célèbre chanteuse libanaise Fayrouz que l’étudiant affectionnait. Les membres du Hezbollah de l’université ont affirmé qu’il était interdit d’écouter des chansons en public, car cela porterait atteinte aux sensibilités religieuses de certains étudiants. Ils ont ajouté qu’ils avaient demandé aux organisateurs de la cérémonie de la tenir dans une salle fermée mais que ces derniers avaient refusé. Au bout du compte, les organisateurs ont tenté de tenir la cérémonie comme prévu, mais les étudiants membres du Hezbollah sont arrivés et ont empêché qu’elle aie lieu par la force.[8]
La presse libanaise fustige la coercition religieuse de la part du Hezbollah : c’est une tentative pour changer le mode de vie au Liban
Comme indiqué, la presse libanaise, anti et pro-Hezbollah, a critiqué les mesures de coercition religieuse employées par l’organisation dans le pays. Le journaliste Elie Fawwaz a écrit  sur le site NOW Lebanon, connu pour son opposition au Hezbollah : « Le Liban n’a pas de loi interdisant la mixité dans les courses [de marathon] ou ailleurs. Les hommes et les femmes courent côte à côte au marathon annuel de Beyrouth. Alors sur quel fondement les [conseils] municipaux ont-ils pris cette décision ? N’ont-ils pas enfreint la loi dans ce cas ? Cette décision ne viole-t-elle pas la constitution [libanaise], dont le préambule affirme que ‘le Liban est une République parlementaire démocratique fondée sur le respect des libertés publiques, la liberté d’opinion et la liberté de croyance, la justice sociale et l’égalité des droits et obligations entre citoyens, sans distinction ni privilège’ [?] Ce préambule n’affirme-t-il pas que ‘le peuple est la source du pouvoir et de la souveraineté, qu’il exerce par le biais des institutions constitutionnelles’? [Ces incidents de coercition religieuse du Hezbollah] ne sont pas un problème provisoire mais plutôt une [tentative visant à] modifier le mode de vie au Liban. Ce qui est triste, c’est que l’Etat ne fait rien pour trancher la question, défendre la constitution qui est le fondement de son pouvoir et protéger l’égalité entre les citoyens. [Au contraire], il semble accepter l’existence d’une loi parallèle, tout comme il a accepté l’existence d’un arsenal d’armes parallèle [du Hezbollah], une économie parallèle et l’existence de plusieurs organes de gouvernement [au Liban, à savoir le gouvernement libanais et les autorités du Hezbollah]. Cette désintégration des institutions de l’Etat  conduira indubitablement à une désintégration sociale également, et à une autre crise s’ajoutant à celles qui frappent déjà le Liban. » [9]
Un quotidien pro-Hezbollah : le Hezbollah doit mettre fin aux erreurs commises par certains de ses représentants
Si le quotidien Al-Akhbar est réputé pour soutenir les activités militaires du Hezbollah ainsi que son activité politique au Liban, il ne soutient pas toujours la politique religieuse et sociale de l’organisation et n’hésite pas à la critiquer. Ainsi, un éditorial publié le 26 juillet 2017 par Fiyar Abou Saad soutenait que le Hezbollah est avant tout une organisation de résistance qui défend le Liban, et qu’à ce titre, elle a l’obligation de défendre la diversité culturelle du pays et de promouvoir la tolérance. Et d’ajouter que les décisions comme celle prise récemment par le Hezbollah dans le sud pourrait aliéner certains secteurs du public qui soutiennent le Hezbollah en tant qu’organisation de résistance, mais ne peuvent accepter une telle coercition religieuse.
Abou Saad a écrit : « Les décisions de plusieurs conseils municipaux du Sud-Liban ont relancé, bien que tardivement, le débat ardu sur les limites de l’ouverture sociale et des libertés individuelles… au sein des [secteurs] du public parmi lesquels le Hezbollah jouir d’une forte présence ou influence… » Tout en observant que ces décisions ont été prises par des représentants du Hezbollah dans différentes villes du Sud-Liban, et pas par les échelons les plus élevés de l’organisation, il a exprimé sa préoccupation qu’elles puissent amorcer une tendance qui se répandrait dans d’autres villes et villages, où sont présents de nombreux partisans du Hezbollah, et il a ajouté : « L’organisation [Hezbollah] doit dissiper la confusion et mettre fin à l’extrémisme et aux erreurs politiques commises par certains de ses représentants élus. Le Hezbollah… est à la fois un parti religieux et un parti politique [opérant] au sein d’une société diversifiée. Mais avant toute autre chose, c’est une [organisation] de résistance qui a obtenu des victoires au nom de l’intérêt national [libanais] et panarabe, et qui bénéficie [d’un soutien] transcendant les divisions communautaires et religieuses… [Le Hezbollah] a investi tous ses efforts dans le combat contre Israël et il est ainsi devenu un modèle… pour tous les autres mouvements de libération nationale du tiers-monde. Cet immense succès a des implications nationales et panarabes, dont la plus importante est d’ouvrir une fenêtre sur un avenir où les gens seront tolérants et où la société accueillera [chaque] individu et acceptera également les femmes, et leur réservera une place… Mesdames et Messieurs, le Liban nous appartient dans son intégralité, et le défendre signifie aussi défendre sa culture, ses principes, ses fondements et ses lois nationales qui protègent tout le monde et s’appliquent à chacun, nonobstant le secteur auquel il appartient… » [10]
Un autre article dans Al-Akhbar a émis des critiques similaires contre le Hezbollah après l’incident à l’université du Liban à Beyrouth. Le journaliste Ahmad Muhsin a écrit : « Le dénommé conseil des étudiants pense-t-il [vraiment] que c’est la bonne manière pour défendre la résistance, l’islam et la culture de la Révolution islamique – ou bien est-ce simplement une [démonstration de] force [?] Qu’est-ce qui fait croire au conseil des étudiants qu’il peut interdire [aux gens de faire des choses] et décider quelle musique est appropriée et laquelle ne l’est pas [?]… » Il a ajouté que ce comportement n’était pas représentatif de tous les partisans du Hezbollah au sein de l’université, mais seulement d’un groupe d’extrémistes parmi eux. [11]
Notes :
[1] Al-Akhbar (Liban), 26 juillet 2016.
[2] Al-Nahar (Liban), 24 juillet 2016.
[3] Al-Akhbar (Liban), 26 juillet 2016.
[4] Al-Akhbar (Liban), 26 juillet 2016.
[5] Al-Akhbar (Liban), 11 août 2016.
[6] Al-Akhbar (Liban), 9 janvier, 2017.
[7] Janoubia.com, 16 janvier 2017.
[8] Lebanondebate.com, elnashra.com, 3 décembre 2016; Al-Akhbar (Liban), 5 décembre 2016.
[9] Now.mmedia.me, 27 juillet 2016.
[10] Al-Akhbar (Liban), 26 juillet 2016.
[11] Al-Akhbar (Liban), 5 décembre 2016.

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