Atlantico : Alors que les forces du régime syrien, soutenues par les Russes et le Hezbollah, ont pu reprendre le contrôle de la base aérienne à l'est de Deir ez-Zor, la fin du conflit serait désormais à portée de main. Dans une telle optique, et alors que les États Unis sont confrontés à une décision concernant leur avenir sur le territoire syrien, quels sont les enjeux à prendre en compte de la part de Washington ?
Alain Rodier : Les derniers développements en Syrie ont montré une poussée rapide des forces de Bachar el-Assad vers l’est permettant de lever le siège qui pesait sur Deir ez-Zor depuis trois ans. Elles sont soutenues par l’aviation et des forces spéciales russes ainsi que par différentes milices chiites. La bataille n’est pas terminée et devrait se prolonger le long de l’ouest de l’Euphrate vers la frontière irakienne avec pour objectif final la prise de la ville d’Abou Kamal située à la frontière. A noter que Damas tente de récupérer des tribus sunnites hostiles à Daech pour accompagner le mouvement, une manière de légitimiser les reconquêtes territoriales.
Une unité sunnite, « les Faucons de l’Euphrate » (Suqour al Furat) a par exemple été constituée à partir de membres de la tribu Chaitat. Elle a des comptes à régler avec Daech auquel elle s’était opposée en 2014. En représailles, les salafistes-djihadistes avaient massacré 700 de ses membres.
Parallèlement, les Forces démocratiques syriennes (FDS) composées majoritairement de Kurdes du PYD (Parti de l’union démocratique, le « cousin » syrien du PKK turc) soutenues en direct par les Américains continuent d’assiéger la ville de Raqqa. Ne voulant pas perdre trop de temps, elles l’ont également contourné pour lancer une offensive vers l’est de l’Euphrate.
Paradoxe, les forces légalistes syriennes et russes progressent le long de l’ouest de l’Euphrate et les FDS et les Américains font de même à l’est. C’est une sorte de "course" dont l’objectif final est le contrôle d'une portion de la frontière irakienne. Elles sont à portée de canon les unes des autres et le risque d’incident - particulièrement aérien - est élevé même une coordination semble avoir été établie entre les commandements russe et américain pour éviter toute bavure. Mais la guerre n’est pas une science exacte.
Le problème est que la région située de l’autre côté de la frontière (en Irak) est encore partiellement tenue par Daech. Aucune offensive gouvernementale n’a encore été déclenchée pour libérer la zone. Mais globalement, ce sont les milices chiites irakiennes proches de Téhéran - et pas de l’armée régulière - qui semblent être en mesure de le faire. Si cela est le cas, elles accueilleront avec enthousiasme bien les forces légalistes syriennes mais, en ce qui concerne les FDS, c’est une autre histoire…
Dans le reste de la Syrie, la situation est globalement figée, surtout en raison des zones de « désescalade » qui ont été négociées entre Russes, Américains, Jordaniens et Turcs.
Plus spécifiquement, quels seraient les risques découlant d'un départ des États Unis, qui aurait pour effet de permettre la création d'une ligne Damas-Bagdad-Téhéran unifiée ?
Les intentions des uns et des autres sont assez claires en dehors de celles de Washington.
- Bachar el-Assad veut reconquérir l’ensemble du pays et s’accrocher au pouvoir.
- Les Russes sont là pour rester car la Syrie représente désormais leur base avancée au Proche-Orient et en Méditerranée. Les bases de Tartous et Hmeimim sont louées à Damas pour 49 ans depuis janvier 2017.
- Les Kurdes veulent leur indépendance ou, à défaut, une très large autonomie dans un pays de type « fédéral ».
- Les Turcs sont décidés à empêcher par tous les moyens la constitution d’un Kurdistan unifié (le Rojava) le long de leur frontière donc ils sont présents pour longtemps dans la zone qu'ils ont conquis lors de l'opération "bouclier de l'Euphrate" en août 2016 à l’ouest de l’Euphrate jusqu’au corridor d’Azaz.
- Al-Qaida « canal historique » souhaite contrôler, via la coalition Hayat Tahir al Cham (HTC) qui lui est affiliée secrètement, la province d’Idlib et harceler le régime dans tout l’ouest de la Syrie. Le HTC monte en puissance gagnant de nouvelles recrues qui proviennent d’autres formations rebelles en perdition dont le plus puissant était le Ahrar al-Cham (soutenu par Ankara).
- Téhéran est là pour créer un passage sécurisé qui reliera l’Iran à la Méditerranée via l’Irak et la Syrie. Pour cela, il se sert de nombreuses milices dont le Hezbollah libanais. Pour les encadrer, la force Al-Qods, le « Service Action » des pasdarans, est présente en nombre en Syrie. Globalement, le "croissant chiite" reliant l'Iran au Liban via l'Irak et la Syrie est en train de se réaliser dans les faits.
- Le Hezbollah souhaite acquérir des armes - en particulier des missiles de haute précision - en prévision d’un conflit futur avec Israël quand il se sera retiré de Syrie une fois la guerre terminée. Hassan Nasrallah, son leader, a d'ailleurs proclamé le 11 septembre l'avoir définitivement gagné.
- Israël veut empêcher le transfert d’armes vers le Hezbollah et éviter l’influence de plus en plus prégnante de l’Iran en Syrie. L’Etat hébreu tient aussi à préserver le plateau du Golan en éloignant au maximum les Iraniens et le Hezbollah.
- Les Américains veulent vaincre Daech sur le terrain puis après, personne ne sait vraiment quelles sont leurs intentions. Peut-être même pas le président Trump lui-même !
A l'inverse, alors que le départ des Britanniques a déjà pu être signalé, que les autres puissances régionales se sont également retirées, dans quelle mesure les États-Unis peuvent ils rester isolés sur la zone ? Que peuvent ils réellement espérer de leur présence sur place ?
Il est possible que les Américains restent en Syrie pour assurer la survie du Rojava car personne (Ankara, Damas) n’osera l’attaquer s’ils sont là, même en nombre réduit (on parle de mille hommes des forces spéciales) mais alors, ils y seront pour longtemps comme en Corée du Sud depuis 1953 !
S’ils s’en vont, le Rojava sera soumis à une pression de plus importante de la part de Damas et de la Turquie jusqu’à ce que les Kurdes rentrent dans le rang.
La communauté internationale reste divisée sur la conduite à tenir. L’Arabie saoudite et les pays sunnites qui la suivent exigent le départ de Bachar el-Assad et soutiennent discrètement le HTC dans l’espoir d’affaiblir le régime mais se gardent bien maintenant d’intervenir directement.
L’Europe veut aussi le départ de Bachar, mais aussi que les responsables des massacres gouvernementaux soient traduits devant un tribunal international pour crimes contre l’Humanité.
La Chine et l’Inde se font plus discrètes mais s’apprêtent à participer à la reconstruction du pays quand un certain ordre sera rétabli
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