lundi 25 septembre 2017

Moyen Orient constantes géopolitiques et défis à venir

Du Machrek au Pakistan, et de la mer Noire à la mer Rouge, l'« Orient compliqué », est devenu le Moyen-Orient qui, dérivé de l’anglais Middle East, reflète une vision plus extensible – jusqu’aux projets de remodelage du « Grand Moyen-Orient » (Greater Middle East) forgé par l’administration américaine pour accompagner et justifier la guerre en Irak en 2003.

Le Moyen-Orient est une exception dans le monde contemporain, marqué par les dynamiques régionales d’intégration.
Le Conseil de coopération du Golfe ne regroupe que les Etats de la péninsule arabique, et connaît depuis peu une crise sans précédent, sur fond de rivalité entre le royaume saoudien et le Qatar 
Des facteurs naturels, géographiques, et culturels, historiques et humains, font de la région une « mosaïque », non seulement de peuples, de religions et d’Etats aux intérêts fortement antagonistes, mais également de familles, de tribus et d’ethnies fonctionnant comme un système d’« identités gigognes ».
L’espace du Moyen-Orient subit d’abord « le poids du désert et de l’histoire », ainsi que le rappelle Pierre Royer dans la revue Conflits : « Le désert façonne l’espace et les cultures moyen-orientaux. Il tient une place importante, quoique inégale, dans les monothéismes qui sont tous nés dans cette région, ce qui n’est pas un hasard puisque historiquement les trois religions révélées s’appuient l’une sur l’autre » – et se concurrencent d’autant plus violemment.
Si le désert fonctionne comme un océan, « avec ses ports (les villes d’où partent les traversées), ses îles (les oasis), ses routes et ses flux (les caravanes) », il tend à mettre en valeur les espaces « autres », où se concentre la population : vallées fluviales, villes (souvent situées dans ces mêmes vallées) et montagnes (refuges d’autant plus naturels qu’ils sont plus arrosés, donc plus fertiles).
« Historiquement, ce sont les zones de ‘non-désert’ qui sont les régions dominantes, et celles d’où viennent les conquérants : de Sumer à l’Egypte pharaonique, des Babyloniens aux Assyriens, le ‘croissant fertile’, ce concept reliant les deux vallées fluviales majeures (d’une part le Nil, d’autre part la Mésopotamie, où coulent le Tigre et l’Euphrate) par les riches plaines littorales de l’Est méditerranéen, a vu se succéder des foyers majeurs de civilisation depuis la Préhistoire. »
Aujourd’hui encore, les trois principales et réelles puissances géopolitiques de la région sont l’Egypte, la Turquie et l’Iran, enserrant des Etats majoritairement arabes, plus petits et donc généralement plus faibles . « La steppe syro-irakienne, dont l’axe structurant est la vallée de l’Euphrate, et les montagnes arméno-kurdes ont été les principaux espaces convoités du Moyen-Orient », rappelle l’islamologue Olivier Hanne.
Qui souligne l’influence, dans la structuration de l’espace régional, des frontières (souvent mouvantes et tardives, en particulier dans les déserts arabiques) et des « seuils » (sites et villes enjeux de tensions internationales ou de focalisation des opinions publiques : Gaza, Jérusalem, Damas, Alep, Mossoul, Bassorah, etc.).
Pour Olivier Hanne, il est possible de distinguer des équilibres géopolitiques récurrents. En premier lieu, autour d’une séparation Est-Ouest traduite au cours de l’histoire dans l’opposition entre Rome et les Parthes, Byzance et les terres d’Islam, les Ottomans et les Safavides iraniens : « La ligne de faille de ces partages méridiens suit immanquablement la vallée de l’Euphrate, le piémont des Zagros [à la frontière Irak-Iran] ou la ligne Ezurum-Nisibe [en pays kurde] ».
L’autre équilibre oppose les puissances du Nord à celles du Sud de la Région (autrefois l’Egypte face aux Hittites, les populations sémites face aux Indo-européens) : « Le partage latitudinal suit alors les monts Taurus, les lignes Antioche-Nisibe [Mossoul] et Damas-Bassorah. »
Ces fragiles équilibres géopolitiques sont régulièrement bouleversés par des facteurs externes : invasions mongoles des XIIIe-XIVe siècles, guerre de 1914-1918…
L’héritage du chaos provoqué par les multiples interventions « occidentales » ne peut être sous-estimé.
Il pèse plus que jamais dans le devenir de la région, selon l’ancien ministre des finances de la République libanaise et enseignant à l’université Saint-Jospeh de Beyrouth, Georges Corm (La Nouvelle Question d’Orient, La Découverte, mars 2017).
Dans l’entretien qu’il livre à Conflits, il estime que la Question d’Orient est en fait une « Question d’Occident », théâtre des rivalités entre puissances européennes, « aujourd’hui à la traîne des Etats-Unis qui ont repris le ‘flambeau’ impérialiste de l’Europe des nations », en particulier s’agissant de la volonté d’empêcher la Russie d’atteindre les « mers chaudes » (Méditerranée et océan Indien).
De même, « l’instrumentalisation des trois religions monothéistes, comme des différentes minorités religieuses et ethniques, dans le cadre des questions géopolitiques, est une constante qui a refait surface depuis la dernière époque de la guerre froide » (cf. notes CLES n°183 « Géopolitique des islamismes » du 31/03/2016 et n°199 « Géopolitique des chrétiens d’Orient » du 15/12/2016).
Reste pour George Corm le facteur essentiel pour comprendre l’instabilité de la région : « la malédiction du pétrole et les conséquences calamiteuses de l’économie de rente ».
La question du pétrole est relativement bien connue.
C’est notamment elle qui explique l’importance prise progressivement par les pétromonarchies, malgré des facteurs géopolitiques initiaux défavorables, ainsi que la première Guerre du golfe de 1990-1991 (davantage que celle de 2003, aux motivations plus larges).
C’est dans le « corridor des hydrocarbures », reliant le nord de l’Irak et l’est de la Syrie à Oman, en passant par le golfe Persique et donc à la fois les Etats de la péninsule arabique et l’Iran, que se concentrent les plus fortes tensions.
Les enjeux sont en effet colossaux : la région dispose de 47,3 % des réserves mondiales de pétrole et assure 32,4 % de la production mondiale d’hydrocarbures (chiffres à fin 2015, www.connaissancedesenergies.org).
Près de 30 % du pétrole mondial et 2 400 pétroliers transitent chaque année par le détroit d’Ormuz (www.lesclesdumoyenorient.com).
Pour contrôler les richesses et les flux, la stratégie américaine suppose de privilégier ses alliés traditionnels (Arabie saoudite en tête), de lutter contre les combattants islamistes (facteurs d’instabilité) et de contenir la Russie et l’Iran.
Le pétrole n’explique cependant pas tout de la situation régionale.
Il y a le nucléaire, bien sûr, mais aussi des ressources plus élémentaires : l’eau et l’alimentation. « La prochaine guerre dans notre région concernera l’eau » avait déclaré Boutros-Ghali.
Le Moyen-Orient regroupe plus de 6 % de la population mondiale mais ne bénéfice que de moins de 1 % des ressources hydriques de la planète. L’ONU y recense la plupart des 300 conflits de l’eau.
« Les tensions existent au niveau de trois ensembles hydrographiques : les bassins du Nil, du Jourdain et enfin du Tigre et de l’Euphrate », relève le professeur de géopolitique Pierre Bertholot dans Conflits, rappelant notamment que « 80 % des eaux prélevées dans l’ensemble Israël-Cisjordanie viennent de ce dernier territoire et 80 % sont utilisés dans le premier ».
Sébastien Abis, de l’IRIS, appelle pour sa part à « ne pas sous-estimer la variable alimentaire », qui en découle pour une grande part, avec la faible disponibilité des sols arables.
« Entre l’augmentation de la population et l’évolution des régimes alimentaires, cette région du monde est l’une des plus dépendantes des approvisionnements internationaux pour couvrir ses besoins » – une vulnérabilité alimentaire qui apparaît comme un défi autant qu’un paradoxe supplémentaire pour l’antique croissant fertile !
http://notes-geopolitiques.com/le-moyen-orient-en-ebullition/#more-5757



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire