lundi 26 décembre 2011

Le Hezbollah affaibli par la révolte syrienne par Georges Malbrunot


Alors que la milice chiite est infiltrée par la CIA et reçoit moins d’argent d’Iran, sa base réprouve le soutien du Parti de Dieu à la répression menée par Damas.

Il y a quelques semaines, Hassan Nasrallah, de méchante humeur, a convoqué un groupe d’épouses de cadres du Hezbollah dans son fief de Dahiyeh au sud de Beyrouth: «Arrêtez de profiter de l’argent du Parti pour jouer les bourgeoises», leur a lancé le charismatique leader de la plus puissante formation politique libanaise. Mais trente ans après la création de la milice chiite, qui devait résister à l’invasion israélienne du pays du Cèdre, le Parti de Dieu traverse l’une des crises les plus délicates de son histoire. Ses ennemis l’ont infiltré. Les 15 000 hommes de sa branche armée n’ont plus d’occupants à bouter hors du Liban. Et la chute probable de son allié syrien – par lequel transitent les armes en provenance d’Iran - plonge le mouvement dans l’embarras. «Le Hezbollah ne peut pas abandonner Bachar el-Assad, constate l’ancien cadre de l’ONU au Liban, Timor Goksel. Mais dans le même temps, il ne sait pas quoi répondre à sa base qui ne comprend pas pourquoi, au nom de la résistance, le parti défend les chiites qui demandent plus de libertés à Bahreïn, mais pas le peuple syrien.»
Face au malaise, le Hezbollah a dû imposer le silence dans ses rangs, ce qui n’empêche pas le débat interne de continuer, en catimini. «Au début de la révolte en Syrie, se souvient un diplomate, on entendait des propos hallucinants de responsables dénonçant la corruption, l’absence de liberté à Damas, tout en avertissant contre le risque que le Hezbollah rate le coche de la démocratie.» Ces dernières semaines, des réunions nocturnes se seraient tenues entre dirigeants du parti, avec une question au centre des discussions: «Faudra-t-il engager des hommes aux côtés de Bachar, si la Syrie était attaquée par une puissance étrangère?» Nasrallah n’y serait pas favorable.
Sur ce point comme sur d’autres liés à la nouvelle donne à Damas, le clivage opposerait des politiques, réalistes, autour du ministre Mohammed Fneich ou du député Ali Fayad, aux responsables de la sécurité, sur une ligne plus radicale, sans que l’on sache où se situe vraiment le secrétaire général du parti, désormais confronté à une multitude de défis.
«Le Hezbollah a moins de cash», observe un homme d’affaires chiite du Liban-Sud. Frappé par les sanctions internationales, l’Iran a réduit d’environ un quart sa contribution annuelle à son allié, estimée désormais à 350 millions de dollars par les services de renseignements français.
À travers le monde, les familles chiites de la diaspora sont, quant à elles, soumises aux pressions du FBI pour ne plus financer le parti, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis. Souvent gérées par des jeunes expatriés de la deuxième génération, les levées de fonds du Hezbollah en Afrique ou en Amérique du Sud sont systématiquement dénoncées aux autorités locales, lorsqu’elles sont mises au jour par les services d’écoutes.
«Jusqu’à 2006, explique l’homme politique Fouad Marzoumi, chaque grande famille chiite expatriée versait une sorte d’impôt révolutionnaire au Hezbollah.» Mais depuis que le Trésor américain a sanctionné, l’an dernier, le clan Tajideen et ses sociétés en Angola ainsi qu’en Gambie, «les familles y regardent à deux fois avant de verser leur dîme», ajoute Fouad Marzoumi. D’autant que les positions publiques de Nasrallah ont entraîné l’expulsion de plusieurs d’entre elles des monarchies du Golfe, où le sentiment antichiite est fort. «Que Nasrallah se taise sur la Syrie, sont venues dire des familles d’expatriés», rapporte l’homme d’affaires chiite.
«Après la reconstruction qui suivit la guerre de 2006 contre Israël, ajoute-t-il, l’argent a pollué le parti autour de Nasrallah.» Le Hezbollah est devenu «le relais financier» entre l’Iran et les groupes radicaux palestiniens (Hamas, Djihad islamique) que Téhéran subventionne à hauteur de 50 millions de dollars chaque année, afin de contrer l’aide que l’Arabie saoudite et ses relais sunnites locaux distribuent dans les camps de réfugiés. «En moins de deux ans, vous avez réussi à introduire la pourriture au sein du Parti», lança lors d’une vidéoconférence Hassan Nasrallah, en référence au scandale qui secoua le parti lorsqu’un de ses financiers, Saleh Ezzedine, dilapida 1,6 milliard de dollars d’économies appartenant à des cadres et de nombreux sympathisants.

Une organisation minée par les taupes

Pour soulager ses problèmes budgétaires, le Hezbollah laisse désormais les grandes familles chiites de la Bekaa relancer leurs productions de drogue, laquelle inonde aujourd’hui Beyrouth et ses banlieues en échange du versement d’une obole au parti et de quelques renseignements livrés sur des opposants syriens, réfugiés dans le secteur frontalier.
Sur injonction syrienne, Nasrallah a fini par laisser, la semaine dernière, le premier ministre Najib Mikati financer le tribunal spécial sur le Liban, chargé de faire la lumière sur l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, pour lequel sont accusés quatre responsables de la sécurité du Hezbollah. «Sa priorité était de garder le gouvernement de son allié Mikati», relève le diplomate.
Le crime contre Hariri constitue une autre ligne de fracture au sein du Hezbollah. «Nasrallah a non seulement découvert que ses quatre proches étaient impliqués à son insu dans cet assassinat, raconte un intellectuel chiite familier de la milice, mais surtout que les quatre hommes s’étaient en fait servis des visites régulières qu’il faisait à Hariri à l’automne 2004 afin d’espionner ce dernier, pour le compte d’officiers supérieurs syriens de mèche avec son ami Imad Mougnieh», le responsable des opérations extérieures du Hezbollah, mystérieusement assassiné en 2008 à Damas.
Nasrallah ne découvrira qu’à la disparition de son «ami de vingt ans» que ce dernier l’avait, en fait, trahi. « Mougnieh a été liquidé parce qu’il avait infiltré la 4e Division syrienne de Maher el-Assad, le frère de Bachar », selon plusieurs sources concordantes à Beyrouth. «Il avait monté son propre groupe à l’intérieur du Hezbollah. Ce sont les Syriens qui l’ont révélé, après sa mort, à Nasrallah », ajoute l’une de ses sources, proche de la milice.
Depuis, le père du légendaire chef militaire serait en colère contre la direction du parti. Fin août, Moustapha, le fils d’Imad Mougnieh, a été lui-même victime d’un obscur attentat dans la zone théoriquement sécurisée par le Hezbollah au sud de Beyrouth. L’héritier fait partie des quelque 110 membres du parti actuellement interrogés, après les aveux de Nasrallah en juin sur une infiltration du Hezbollah par les services de renseignements américains. Le seyyed (descendant du prophète, NDLR) a minimisé l’arrestation de deux taupes par le mouvement. Mais le coup est bel et bien rude pour une formation supposée hermétique aux infiltrations occidentales. Il serait, en fait, une dizaine à avoir livré des informations à la CIA. Certains occupaient des postes sensibles dans l’appareil de sécurité, l’un d’eux connaissait même certaines des caches d’armes au Liban-Sud, ce qui oblige le parti à les modifier actuellement.

Nouveau réseau de télécommunications

Face à la crise syrienne, le Hezbollah a certes, dès le début, dépêché quelques gros bras pour aider Assad à mater la révolte, mais pragmatisme oblige, il a eu également le souci de rapatrier une partie de son arsenal, dissimulé chez son voisin. Pour le replacer dans les galeries souterraines que ses techniciens ont creusées dans le plus grand secret – y compris dans des secteurs chrétiens au nord de Beyrouth. Tunnels qu’ils s’activent actuellement à équiper d’un nouveau réseau de télécommunications clandestin. «Les unités combattantes transmettent maintenant des messages par e-mail ou vidéo, et non plus vocalement par téléphone, comme au sud pendant la guerre de 2006 », explique un ingénieur en télécommunications qui connaît bien le Parti de Dieu. Seulement voilà, lorsqu’il y a quelques semaines, ses techniciens ont voulu planquer leurs fibres sur le réseau existant, les chrétiens de Tarchiche les ont chassés de leur village.
Le Hezbollah et ses 40 000 roquettes ne serait-il plus qu’un tigre de papier? Pas encore, préviennent les experts. Même s’il perd la Syrie, le mouvement conservera la maîtrise du port et de l’aéroport de Beyrouth, où des armes peuvent être acheminées, sans contrôle extérieur à la formation chiite. « Mais il est très dépendant d’alliés, aujourd’hui rétifs, relativise un militaire occidental. Si demain, le gouvernement Mikati tombe, le Hezbollah sera affaibli. Quant au soutien fourni par les chrétiens pro Aoun, leur loyauté n’est pas certaine. Alors bien sûr, les miliciens peuvent toujours user de la force, comme ils l’ont fait en prenant le contrôle de Beyrouth en 2008, mais pour quels objectifs intérieurs? »
Après 2006, le Hezbollah a poussé trop loin son avantage militaire, reconnaissent ses nombreux rivaux. «L’autonomie qu’il a gagnée du fait des rivalités internes entre ses parrains iraniens, le parti l’a dilapidée dans une analyse stratégique défaillante », regrette un riche industriel chiite de la banlieue sud de Beyrouth, qui tient à rester anonyme. «Finalement, prévient le diplomate occidental, sans la Syrie et sans la carte de la résistance contre Israël, le Hezbollah redeviendra une simple milice chiite, or c’est précisément ce dont ses dirigeants ne veulent surtout pas. »

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