Mal-en-point, le Royaume Saoudite essaye la tactique du chantage. Il demande à la Russie de renoncer à Assad en promettant en échange une hausse considérable du prix du baril.
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Moscou refuse en arguant, primo, l'incapacité de Riyad à fixer les prix sur le pétrole, secundo, le fait qu'il ne soit pas dans les habitudes d'une grande puissance de laisser tomber des alliés, surtout des alliés de très longue date. Entre-temps, écartelés entre leurs mésaventures ukrainiennes et leur perte de contrôle sur le Levant, les USA dédiabolisent (provisoirement?) le Président syrien en encourageant les opérations menées par la coalition anti-Daesh.
On pourrait derechef se demander comment il se fait qu'une coalition si riche en hommes et en armements ne parvienne toujours pas à neutraliser une nébuleuse hétéroclite de salafistes dont la force réside plus dans leur fanatisme que dans leur capacité offensive réelle vu la piètre qualité de leur équipement et malgré le fait qu'ils soient encadrés par des professionnels. Ce dernier facteur ne suffit pas à expliquer le contrôle de 35% du territoire irakien et de 20% du terriroire syrien.
On pourrait aussi se demander jusqu'à quand les intérêts washingtoniens entreront en contradiction avec les intérêts saoudiens ? S'agira-t-il de démanteler entièrement l'EI, ce Frankenstein des USA? Mais l'axe atlantiste sera alors privé de son plus grand moyen de pression sur la région du Levant. Alors ce désintérêt manifeste pour Assad, voire cette relative complaisance que feint éprouver la Maison-Blanche à son égard, ferait-elle partie d'un immense jeu incluant une guéguerre tout aussi relative contre les fous furieux de Daesh.
Bassam Tahhan est islamologue et géostratège. Voici la quintessence de son analyse.
Radio Sputnik. Quelle est votre interprétation du chantage saoudien vis-à-vis de la Russie qui devrait abandonner Assad en échange d'une hausse immédiate des prix sur le baril? Pourquoi maintenant?
Bassam Tahhan. Revenons dans le passé cette propostion que vous mentionnez étant du réchauffé. Il y a de cela deux ans, le prince Bandar avait proposé à Poutine d'acheter des armes pour 15 milliards de dollars en essayant de facto, selon ses propres termes, de redorer le blason de la Russie dans le monde arabo-musulman. En contrepartie, la Russie devait lâcher Assad. Poutine avait alors répondu on ne peut plus clairement: on n'achète pas un grand pays avec de l'argent, d'une part, d'autre part, il est des principes à ne pas transgresser. Pourquoi est-ce que cette proposition revient aujourd'hui mais sous une autre forme selon la conjoncture actuelle? Cette fois-ci, la Russie a dit non car ce n'est pas le Royaume Saoudite qui fixe le prix du pétrole sur le marché mondial. C'est donc un marché de dupes sachant en plus que Riyad est enclin à faire des promesses qu'il ne tient pas. Il s'agit donc d'une tentative désespérée d'un pays qui est aux abois le décès du roi Abdallah et surtout le limogage de son entourage ayant crée un immense malaise social.
Pourquoi cette idée obsessionnelle de se débarrasser d'Assad?
De plus en plus, le Royaume Saoudite se rend compte de son inefficacité dans la crise syrienne. De plus en plus, l'Axe de Résistance ou le croissant chiite au sens politique du terme est en train de devenir pleine lune et de se refermer sur le Royaume Saoudite et ses alliés. Les ennuis viennent d'Assad, du Hezbollah, des Houthis du Yémen qui aujourd'hui forment une force menaçante vu les vastes revendications territoriales existantes entre Riyad et Sanaa et qui sont en passe de revenir à un pouvoir chiite contrebalançant toute la poussée des pays sunnites du Golfe pour créer un Yémen artificiel. Ajoutez à ces facteurs l'Irak à majorité chiite, les problèmes que connaît l'Arabie Saoudite à l'intérieur avec le leader de l'opposition chiite et au surplus le Bahreïn qui fait partie de cet Axe de Résistance n'en déplaise à son roi. Il s'avère donc que le Royaume Saoudite se trouve plus que jamais à la dérive. Additionnons à ce « danger » chiite-anti-américain l'émergence de cet EI qui lui est sunnite et qui met en cause les rois du Royaume Saoudite ainsi que beaucoup d'autres groupes, entre autres Al-Nosra et Al-Qaïda qui se trouvent en opposition.
Si les Américains traînent à liquider Daesh — or, ils ont la capacité de le faire en 48 heures — c'est pour exercer une pression sur les Pays du Golfe, sur le Royaume Saoudite et sur l'Iran. Enfin, les Américains se plaisent à voir les musulmans s'entretuer. Le Royaume Saoudite est donc plus que jamais menacé de l'extérieur comme d'une implosion. Il conçoit tout à fait que la rue arabe, la rue musulmane ne peut accepter que soi-disant le gardien des lieux sacrés continue cette politique de destruction, que ce soit en Syrie ou ailleurs. Cette montée générale de l'islamisme déplaît à la majorité des musulmans dans le monde, surtout après l'exécution horrible de ce pilote jordanien. La Jordanie qui a 50% s'opposait à ce qu'on détruise Daesh est aujourd'hui pour sa destruction. On sent donc ce malaise dans tous ces pays qui veulent régler leurs comptes avec l'Iran mais qui ne savent plus comment faire. Voyant que les USA se désengagent progressivement du Moyen-Orient, ils chechent par tous les moyens à se rapprocher de la Russie mais le canal de l'argent n'est pas le bon moyen.
Radio Sputnik. D'après Thierry Meyssan, les USA ne voudraient plus de Daesh dans leur zone d'influence, à tel point qu'ils espéreraient la victoire de la Syrie d'Assad. Faudrait-il en conclure que les intérêts du Royaume Saoudien sont en rupture avec ceux des USA?
Bassam Tahhan. Selon les dernières déclarations du porte-parole de la Maison-Blanche, on apprend que les Américains vont détruire Daesh et puis renverser Assad. Ceci dit, je crois que leur jeu consiste sur le moment à arrêter cette campagne qui visait à diaboliser le Président syrien, cela en attendant que les évènements évoluent. S'ils s'attaquaient à Assad, les composantes essentielles de la population syrienne seraient éliminées soit par les groupes et groupuscules islamistes, soit par les frappes de l'alliance occidentale. Je viens d'écouter François Hollande. Il maintient son soutien à ce qu'il appelle les forces démocratiques de la Syrie alors que tout le monde sait que le nouveau Président élu de la coalition, M. Khoja, est un Frère Musulman qui a été emprisonné à 18 ans pour son appartenance à une organisation à mon sens terroriste. Je crois donc qu'il faut mettre plus qu'un bémol aux déclarations de Thierry Meyssan. S'il les fait, je crois que c'est dans l'optique d'une guerre médiatique. De toute façon, les USA n'ont pas dit leur dernier mot par rapport à Assad. Ceci dit, tel que je connaîs le Président syrien, je ne pense pas qu'il cherche à rester Président toute sa vie. C'est un homme qui respecte le principe de légitimité. Le jour où il terminera son mandat, n'importe qui, selon les lois de la Constitution syrienne, peut se représenter. En somme, c'est un peu soutenir le jeu de la propagande occidentale anti-Assad que de parler constamment d'Assad! La Syrie existe comme Etat, n'en déplaise au Président de la République française, qui disait qu'il n'y a pas d'Etat. Il y a un Etat et c'est juste les faux amis de la Syrie qui ne parlent pas d'Etat mais de régime ».
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