lundi 23 février 2015

Quel est l’objectif de l’État islamique à travers la diversification de ses contenus communicationnels ?

LE FIGARO – Vidéos très techniques, magazine professionnel, et maintenant une chanson en français, «Tends ta main pour l’allégeance»…. Quel est l’objectif de l’État islamique à travers la diversification de ses contenus communicationnels?
MATHIEU SLAMA* – Ce qu’il faut d’abord dire, c’est que cette diversification témoigne d’une structure extrêmement organisée. L’État islamique s’appuie pour toute sa propagande sur une société de production qu’elle a créée, Al-Furqan Media, qui dirige et coordonne toutes ses actions de communication: vidéos, magazines, communiqués, utilisation des réseaux sociaux… Cette professionnalisation doit d’ailleurs beaucoup à l’arrivée progressive de recrues européennes. Un djihadiste allemand, Abou Talha al-Almani, un ancien rappeur dans son pays, aurait joué un rôle majeur dans cette évolution. Mais d’autres aussi.
Capture d'écran de la chanson «Tends ta main pour l'allégeance», nasheed (poème musical) invitant les musulmans français à quitter leur pays pour réjoindre les terres de l'Etat islamique.
Ce qui est encore plus intéressant, c’est qu’à côté d’Al Furqan, l’État islamique a lancé en mai 2014 une nouvelle société de média, Al-Hayat, dont la propagande est exclusivement destinée au public occidental. Ils ont des branches par pays: une en Allemagne, une en Angleterre… et une en France. La communication venant d’Al-Hayat est faite en anglais ou dans d’autres langues européennes.
On a donc affaire à un groupe qui pense sa communication de façon globale et ciblée et qui a les moyens de la mettre en œuvre à travers une organisation très structurée. En diversifiant les supports et les outils, le but est très clair: maximiser la puissance de frappe de sa communication et des messages qu’il véhicule.
Les vidéos, les magazines ou encore la chanson qui vient d’être diffusée ont l’avantage de transmettre un message contrôlé par l’état-major de l’EI. A côté de cela, les membres de l’EI ont une liberté très grande dans l’usage qu’ils font des réseaux sociaux (sur Twitter, Instagram, mais aussi sur des plateformes comme ask.fm ou encore le réseau social russe VK), malgré des restrictions imposées récemment pour éviter des erreurs stratégiques comme le dévoilement d’informations confidentielles. La grande force de l’État islamique, c’est que chacun de ses membres est un ambassadeur de la cause sur Internet.
Mélange de codes hollywoodiens et de culture arabo-musulmane, de professionnalisme et d’archaïsme…. Comment qualifier la propagande de Daech? Quels en sont les inspirations?
La propagande de Daech utilise en effet les codes occidentaux. On observe depuis le film «Le Choc des épées IV», diffusée en juin 2014, une maîtrise de plus en plus grande du langage cinématographique, avec comme aboutissement un film absolument fondateur pour la mythologie de l’État islamique: Flames of War, sorti en septembre 2014. Ce film de guerre, qui retrace les conquêtes territoriales de l’EI, fait état d’une maîtrise de la mise en scène et du montage saisissante. Ralentis permanents, filtres de caméras, séquences en vision nocturne, effets spéciaux… Il est aussi accompagné d’une voix off (en anglais) qui raconte au passé ce qui se passe à l’écran. J’insiste sur l’utilisation du passé car il s’agit bien, pour l’EI, de construire un grand récit fondateur et ainsi toute une mythologie. On peut comparer cela avec ce que fait, toute chose égale par ailleurs, l’armée américaine qui fournit du matériel et des conseils aux producteurs et réalisateurs de certains films de guerre: ils savent que le medium cinématographique est un vecteur de séduction, d’attraction et d’influence considérable.
L’inspiration est donc très nettement occidentale. Le message est peut-être archaïque, mais la manière de le transmettre est ultra-moderne et contemporain.
Dans les contenus s’adressant à la France, Daech propage un double discours: tantôt un appel à hijra («Émigre vers ta terre», «Tends ta main vers l’allégeance», entend-on dans la chanson), tantôt un appel à imiter Coulibaly en commettant des attaques sur le sol français. Quel est le véritable objectif de la propagande de Daech en France? A quel public s’adresse-t-elle?
Al-Baghdadi l’a dit lui-même dans un communiqué: le premier devoir des musulmans est d’émigrer en terre musulmane, donc au sein de l’État islamique. C’est l’objectif numéro un de l’EI: n’oublions pas qu’il s’agit d’une organisation dont tout le fonctionnement est tourné vers la guerre qui est son état naturel et permanent. Pour faire la guerre, il faut des troupes, et il faut donc recruter.
Le fait que l’État islamique cible tout particulièrement dans sa communication des pays comme la France, l’Allemagne, la Belgique ou encore l’Angleterre n’est pas un hasard. Ils savent qu’il y a dans ces pays un vivier de recrutement extrêmement important. En France par exemple, les messages ciblent très clairement les
Le dernier numéro du magazine de l'Etat islamique cible la France.
musulmans radicalisés de banlieue, même s’ils touchent aussi des régions moins urbaines comme le cas Maxime Hauchard (jeune normand devenu bourreau de Daech) nous l’a montré. Il est d’ailleurs frappant de lire, dans le dernier numéro du magazine français de l’État islamique Dar-al-Islam, une rhétorique violemment antisémite et complotiste, avec un discours sur la décadence de la France qui peut avoir une résonnance particulière dans les banlieues françaises.
L’appel à commettre des attentats est également présent dans la propagande de l’EI, mais je crois qu’il est secondaire. C’est si l’on peut dire la «seconde option», si l’émigration n’est pas possible. Je pense qu’on peut comprendre ce discours dans le contexte plus large de la compétition avec al-Qaida: il y a aussi une notion de concurrence entre les groupes terroristes et les attentats sont un moyen d’affirmer son leadership sur la scène djihadiste internationale. On a vu la manière dont al-Qaida au Yemen s’est empressé de revendiquer l’attentat deCharlie Hebdo.
En Libye comme en Syrie, on retrouve les mêmes codes sur les vidéos de Daech (pyjamas orange, drapeau de l’EI, costumes noirs…). L’État islamique est-il en train de se transformer en «marque» qui se «franchise» dans le monde entier?
L’État islamique a, pour utiliser un langage de la communication et du marketing, une «identité de marque» extrêmement travaillée. Al-Qaida était représenté par la personnalité ultra-charismatique et quasi-mythologique deBen Laden (qui est d’ailleurs également un modèle pour l’Etat islamique), mais n’avait pas de véritable identité de marque. Le logo et les emblèmes étaient peu reconnaissables. L’État islamique se fonde sur des symboles très forts et présents sur tous les supports de communication: le drapeau noir, bien-sûr, ou encore un slogan repris par tous ses partisans sur les réseaux sociaux et dans les vidéos («baqiya», qui veut dire «rester» – autrement dit l’État islamique est là pour toujours). Tout cela est très emblématique et peut produire un effet de fascination.
Il y a aussi une image saisissante qui revient régulièrement dans les vidéos et supports de propagande de l’EI: un soldat qui marche en haut d’une colline, le drapeau de l’EI sur l’épaule, avec en arrière-plan une immense plaine. L’État islamique a compris la puissance de mobilisation des symboles.
Mathieu Slama est communiquant, spécialiste de la communication de crise.
http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/18/01003-20150218ARTFIG00299--l-etat-islamique-a-une-identite-de-marque-extremement-travaillee.php#xtor=AL-155-[Facebook]

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