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jeudi 16 novembre 2017

Le camouflet infligé au président Macron en Arabie saoudite

La démission du Premier ministre sunnite libanais et son discours télévisé anti-perse n’ont pas provoqué l’affrontement attendu dans son pays. Pis, son adversaire de toujours, le chiite sayyed Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, s’est offert le luxe de prendre sa défense, dévoilant qu’il était prisonnier à Riyad et dénonçant l’ingérence saoudienne dans la vie politique libanaise. 
En quelques heures la communauté religieuse d’Hariri a commencé à s’inquiéter pour son chef. Le président de la République, le chrétien Michel Aoun, a dénoncé un « enlèvement » et refusé de prendre acte de cette démission forcée tant que son Premier ministre ne sera pas venu la lui présenter en personne. Alors que certains leaders du Courant du Futur, le parti de Monsieur Hariri, assuraient qu’il était libre et en bonne santé, les Libanais dans leur ensemble faisaient bloc pour réclamer sa libération. Tous ont compris que le bref voyage de Saad Hariri aux Émirats et ses quelques apparitions publiques n’étaient que de la poudre aux yeux, sa famille étant retenue en otage à l’hôtel Ritz-Carlton de Riyad avec des centaines de personnalités arrêtées. De même, tous ont réalisé qu’en refusant la démission du Premier ministre pour le moment, Michel Aoun agissait en homme d’État et conservait le seul moyen de pression permettant éventuellement d’obtenir sa libération.
La France est l’ancienne puissance coloniale du Liban qu’elle a occupé jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle y a longtemps fait la pluie et le beau temps. Elle l’utilise aujourd’hui à la fois comme une antenne au Levant et comme paradis fiscal. Des personnalités libanaises ont été mêlées à tous les scandales politico-financiers des trente dernières années en France.
Le président Emmanuel Macron, agissant en protecteur du Liban, évoquait la nécessité du retour du Premier ministre dans son pays.
Le hasard du calendrier faisant qu’il se rendait à Abou Dhabi le 9 novembre pour y inaugurer le « Louvre des sables », il ne pouvait pas ne pas prendre d’initiative. Il se trouve que, succédant à « Jacques Chirac l’Arabe », à « Nicolas Sarkozy le Qatari » et à « François Hollande le Saoudien », le président Macron n’avait pas manqué durant sa campagne électorale de dire tout le mal qu’il pensait de Doha et de Riyad. Bien que ne manifestant aucune sympathie pour le Golfe, il s’était trouvé proche des Émiratis par défaut.
Le palais de l’Élysée tentait d’organiser une halte d’Emmanuel Macron à Riyad pour y ramener Saad Hariri. Mais le roi Salmane refusait de recevoir le petit Français.
Du point de vue du Conseil de coopération du Golfe (c’est-à-dire de tous les États arabes de cette région), la France fut durant les sept dernières années un allié sûr contre la Libye et contre la Syrie. Elle participa militairement —publiquement ou en secret— à tous les mauvais coups contre ces deux pays et fournit le parapluie diplomatique et le discours lénifiant nécessaires à ces agressions. Cependant, alors que la Libye est en proie au chaos et que la Syrie est, contre toute attente, en passe de gagner la guerre, la France se trouve de fait désemparée et inerte. Le nouvel hôte de l’Élysée, Emmanuel Macron, ignore tout de cette région du monde et balance entre un jour, une reconnaissance de la République syrienne et, le lendemain, des injures contre son président élu. En outre, l’Arabie saoudite et les Émirats ont très mal pris les déclarations du président Macron appelant à la désescalade avec le Qatar. Pour eux, sachant les efforts qu’ils ont commencé à faire pour rompre avec les jihadistes, il est inacceptable de tolérer le soutien de Doha aux terroristes.
L’inauguration du « Louvre des sables » était l’occasion d’un beau discours sur la culture qui nous unit ; prestation qui était incluse dans le package à 1 milliard de dollars conclu de longue date entre les deux États. Cette formalité accomplie, le président Macron s’enquit auprès de son hôte, cheikh Mohammed Ben Zayed, de ce qui se passait en Arabie saoudite voisine et du sort de Saad Hariri.
À la différence des bédouins d’Arabie saoudite et du Qatar, les Émiratis sont un peuple de pécheurs. Autant les premiers ne vécurent durant des siècles que dans leur désert, autant les seconds parcouraient les mers. En raison de cette particularité, les Émiratis avaient été rattachés durant la colonisation britannique à l’Empire des Indes, ne dépendant pas directement de Londres, mais de Delhi. Aujourd’hui ils ont investis leurs revenus pétroliers en achetant une soixantaine de ports dans vingt-cinq pays (dont Marseille en France, Rotterdam aux Pays-Bas, Londres et Southampton au Royaume-Uni). Ce dispositif permet à leurs services secrets de faire entrer et sortir ce qu’ils souhaitent dans ces pays malgré les contrôles des douanes locales ; un service qu’ils savent vendre à d’autres États. Grâce aux sanctions états-uniennes contre Téhéran, le port de Dubaï est devenu de facto la porte de l’Iran, encaissant des profits faramineux pour violer l’embargo US. C’est pourquoi Abou Dhabi a un intérêt économique vital à encourager la querelle arabo-perse, alors même que les Émirats revendiquent les îles de Tonb et de Bou-Moussa à leurs yeux « occupées » par l’Iran.
Il n’est un secret pour personne que cheikh Mohammed Ben Zayed exerce un fort ascendant sur le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane (« MBS »). Aussi le premier téléphona-t-il devant le président Macron au second pour lui obtenir un rendez-vous.
Le Français (39 ans) fit donc escale à Riyad sur le chemin du retour. Il fut accueilli à l’aéroport par « MBS » (32 ans) et y dîna avec lui.
Dans la nuit du 4 au 5 novembre, « MBS » a mis fin au gouvernement collégial de la dynastie des Saoud et a instauré le pouvoir personnel de son père, le roi Salmane. Pour ce faire, il a fait arrêter ou assassiner tous les leaders des autres clans de la famille royale ainsi que les prédicateurs et imams qui leurs sont dévoués, soit au total environ 2 400 personnalités. Des spin doctors israéliens ont présenté ce coup de Palais comme une opération anti-corruption.
Contrairement à ce qu’il croyait, le président français était venu pour rien. Il ne ramena pas avec lui le toujours Premier ministre libanais, et ne le rencontra même pas. Beaucoup plus grave, se disant conscient de ses lourdes obligations parisiennes, « MBS » le raccompagna à son avion.
Peut-être ne saisissez-vous pas l’injure faite à Emmanuel Macron tant elle paraît incroyablement grossière : le président français n’a pas été reçu par son homologue le roi d’Arabie saoudite bien que celui-ci accorde ces jours-ci quantité d’audiences à des personnalités de second rang.
Cette forme de goujaterie, caractéristique des manières de la diplomatie arabe, n’est pas uniquement imputable à « MBS », mais aussi à cheikh Mohammed Ben Zayed qui savait très bien à quoi s’en tenir en envoyant le jeune Français se faire humilier à Riyad.
Conclusion : en ne s’adaptant pas immédiatement au revirement de l’Arabie saoudite après le discours anti-terroriste de Donald Trump en mai dernier et en maintenant deux fers au feu, la France s’est mise elle-même au ban de la région. Les Émirats apprécient le Louvre et les corvettes de la Marine française, mais ils ne prennent plus les Français au sérieux. Les Saoudiens se souviennent des mots du candidat Macron contre eux et de ceux du président Macron en faveur du Qatar, le parrain actuel des Frères musulmans. Ils lui ont fait comprendre qu’il ne devait pas se mêler ni des problèmes du Golfe, ni de la succession au trône des Saoud, encore moins de la querelle contre l’Iran, et surtout pas des conflits autour du Liban.
La France est devenue étrangère au Moyen-Orient.

vendredi 28 juillet 2017

Lors de la libération d’Alep et de la prise de l’état-major saoudien qui s’y trouvait, la journaliste bulgare Dilyana Gaytandzhieva constata la présence d’armes de son pays dans neufs entrepôts abandonnés par les jihadistes. Elle nota soigneusement les indications portées sur les caisses et, de retour dans son pays, enquêta sur la manière dont elles étaient arrivées en Syrie.
Depuis 2009 —à la brève exception de la période allant de mars 2013 à novembre 2014—, la Bulgarie est gouvernée par Boïko Borissov, un personnage haut en couleur, issu de l’une des principales organisations criminelles européennes, la SIC. Rappelons que la Bulgarie est à la fois membre de l’Otan et de l’Union européenne et qu’aucune de ces deux organisations n’a émis la moindre critique contre l’arrivée au pouvoir d’un chef mafieux identifié depuis longtemps par les services internationaux de police.
Si la Bulgarie a été l’un des principaux exportateurs d’armes vers la Syrie, elle a bénéficié de l’aide de l’Azerbaïdjan.
Toutes les opérations que nous allons récapituler ici sont illégales en droit international, y compris celles organisées publiquement par le Pentagone.
On savait déjà que la CIA avait fait appel à la SIC et à Boïko Borissov pour fabriquer en urgence du Captagon à destination des jihadistes en Libye, puis en Syrie. Depuis l’enquête de Maria Petkova publiée dans Balkan Investigative Reporting Network(BIRN), on savait que la CIA et le SOCOM (Special Operations Command du Pentagone) avaient acheté pour 500 millions de dollars d’armes à la Bulgarie, entre 2011 et 2014, pour les jihadistes. Puis que d’autres armes furent payées par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis et transportées par Saudi Arabian Cargo et Etihad Cargo [2].
Fin 2012, la Croatie livrait aux jihadistes syriens 230 tonnes d’armes pour une valeur 6,5 millions de dollars. Le transfert en Turquie était opéré par trois Iliouchine de la compagnie Jordan International Air Cargo, puis les armes étaient parachutées par l’Armée qatarie [3]. Selon Eric Schmitt du New York Times, l’ensemble de ce dispositif avait été imaginé par le général David Petraeus, directeur de la CIA [4].
Lorsqu’en 2012, le Hezbollah tenta de découvrir le trafic de la CIA et du SOCOM, un attentat fut perpétré contre des touristes israéliens à l’aéroport de Burgas, le centre névralgique du trafic.
Selon une source proche du PKK, en mai et juin 2014, les services secrets turcs ont affrété des trains spéciaux pour livrer à Rakka, c’est-à-dire à ce qui s’appelait alors l’Émirat islamique en Irak et en Syrie et qui est connu aujourd’hui comme Daesh, des armes ukrainiennes payées par l’Arabie saoudite et plus d’un millier de Toyota Hilux (pick-up double cabine) spécialement arrangés pour résister aux sables du désert. Selon une source belge, l’achat des véhicules avait été négocié avec le Japonais Toyota par la société saoudienne Abdul Latif Jameel.
le Qatar qui ne voulait pas être en reste a acheté pour les jihadistes à la société d’État ukrainienne UkrOboronProm la version la plus récente de l’Air Missile Defense Complex "Pechora-2D". La livraison a été effectuée par la société chypriote Blessway Ltd [5].
Selon Jeremy Binnie et Neil Gibson de la revue professionnelle de l’armement Jane’s, l’US Navy Military Sealift Command a lancé en 2015 deux appels d’offres pour transporter des armes du port roumain de Constanta vers le port jordanien d’Aqaba. Le contrat a été emporté par Transatlantic Lines [6]. Il a été exécuté juste après la signature du cessez-le-feu par Washington, le 12 février 2016, en violation de son engagement.
Selon Pierre Balanian d’Asia News, ce dispositif s’est poursuivi en mars 2017 avec l’ouverture d’une ligne maritime régulière de la compagnie états-unienne Liberty Global Logistics reliant Livourne (Italie) / Aqaba (Jordanie) / Djeddah (Arabie saoudite) [7]. Selon le géographe Manlio Dinucci, elle était principalement destinée à la livraison de blindés vers la Syrie et le Yémen [8].
Selon les journalistes turcs Yörük Işık et Alper Beler, les derniers contrats de l’ère Obama ont été effectués par Orbital ATK qui a organisé, via Chemring et Danish H. Folmer & Co, une ligne régulière entre Burgas (Bulgarie) et Jeddah (Arabie saoudite). Pour la première fois, on parle ici non seulement d’armes produites par Vazovski Machine Building Factory (VMZ) (Bulgarie), mais aussi par Tatra Defense Industrial Ltd. (Tchéquie) [9].
Le total de ces opérations représente des centaines de tonnes d’armes et de munition, peut-être des milliers, principalement payées par les monarchies absolues du Golfe, prétendument pour soutenir une « révolution démocratique ».
En réalité, les pétro-dictatures ne sont intervenues que pour dispenser l’administration Obama de rendre des compte au Congrès US (Opération Timber Sycamore) et lui faire prendre des vessies pour des lanternes [10]. L’ensemble de ce trafic a été personnellement contrôlé par le général David Petraeus, d’abord depuis la CIA dont il était le directeur, puis depuis la société de placements financiers KKR qu’il a rejointe. Il a profité de l’aide de hauts-fonctionnaires, parfois sous la présidence de Barack Obama, puis massivement sous celle de Donald Trump.

Selon l’ancienne fonctionnaire du FBI et fondatrice de la National Security Whistleblowers Coalition, Sibel Edmonds, de 1997 à 2001, l’Azerbaïdjan du président Heydar Aliyev hébergea à Bakou, à la demande de la CIA, le numéro 2 d’Al-Qaïda, Ayman el-Zawahiri. Bien qu’officiellement recherché par le FBI, celui qui était alors le numéro 2 du réseau jihadiste mondial se déplaçait régulièrement en avion de l’Otan en Afghanistan, en Albanie, en Égypte et en Turquie. Il recevait également des visites fréquentes du prince Bandar ben Sultan d’Arabie saoudite [11].
À ses relations sécuritaires avec Washington et Riyad, l’Azerbaïdjan —dont la population est pourtant principalement chiite— ajoute Ankara la sunnite qui le soutient dans son conflit contre l’Arménie à propos de la sécession de la République d’Artsakh (Haut-Karabagh).
À la mort d’Heydar Aliyev aux États-Unis, en 2003, son fils Ilham Aliyev, lui succède. La Chambre de commerce USA-Azerbaïdjan devient l’arrière-cour de Washington avec à côté du président Aliyev, Richard Armitage, James Baker III, Zbigniew Brzeziński, Dick Cheney, Henry Kissinger, Richard Perle, Brent Scowcroft et John Sununu.
Selon Dilyana Gaytandzhieva, le ministre des Transports, Ziya Mammadov, met en 2015 à disposition de la CIA la compagnie d’État Silk Way Airlines aux frais de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Le ministre des Affaires étrangères, le très peu scrupuleux Elmar Mammadyarov, envoie à plusieurs de ses ambassades des demandes d’homologation de « vols diplomatiques », ce qui interdit leurs fouilles au titre de la Convention de Vienne. En moins de trois ans, plus de 350 vols disposeront de ce privilège extraordinaire.
Bien que, selon les traités internationaux, ni les avions civils, ni les avions diplomatiques ne sont autorisés à transporter des matériels militaires, les demandes de reconnaissance comme « vols diplomatiques » portent mention explicites des chargements transportés. Cependant, à la demande du département d’État US, au moins l’Afghanistan, l’Allemagne, l’Arabie saoudite, la Bulgarie, le Congo, les Émirats arabes unis, la Hongrie, Israël, le Pakistan, la Pologne, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie, la Tchéquie, la Turquie et le Royaume-Uni fermèrent les yeux sur cette violation du droit international comme ils avaient ignoré les vols de la CIA entre leurs prisons secrètes.
En moins de trois ans, la Silk Way Airlines a ainsi transporté pour au moins 1 milliard de dollars d’armes.
De fil en aiguille, la journaliste Dilyana Gaytandzhieva a mis à jour un vaste système qui approvisionne également les jihadistes non seulement en Irak et en Syrie, mais aussi en Afghanistan, au Pakistan et au Congo, toujours aux frais des Saoudiens et des Émiratis. Certaines armes livrées en Arabie furent réexpédiées en Afrique du Sud.
Les armes transportées en Afghanistan seraient parvenues aux Talibans, sous le contrôle des États-Unis qui prétendent les combattre. Celles livrées au Pakistan étaient probablement destinées à commettre des attentats islamistes en Inde. On ignore qui sont les destinataires finaux des armes livrées à la Garde républicaine du président Sassou N’Guesso au Congo et à l’Afrique du Sud du président Jacob Zuma.
Les principaux négociants étaient les firmes états-uniennes Chemring (déjà citée), Culmen International, Orbital ATK (également déjà citée) et Purple Shovel.
Outre les armes de type soviétique produites par la Bulgarie, l’Azerbaïdjan acheta sous la responsabilité du ministre de l’Industrie de défense, Yavar Jamalov, des stocks en Serbie, en Tchéquie et accessoirement dans d’autres États, chaque fois en déclarant être le destinataire final de ces achats. Concernant les matériels de renseignement électronique, Israël mit à disposition la firme Elbit Systems qui prétendit être le destinataire final, l’Azerbaïdjan n’ayant pas le droit d’acheter ce type de matériel. Ces exceptions attestent que le programme azerbaïdjanais, s’il a été requis par les États-Unis et l’Arabie saoudite, était contrôlé de bout en bout depuis Tel-Aviv.
L’État hébreu, qui prétend être resté neutre durant l’ensemble du conflit syrien, a pourtant de nombreuses fois bombardé l’Armée arabe syrienne. Chaque fois où Tel-Aviv a reconnu les faits, il a prétendu avoir détruit des armes destinées au Hezbollah libanais. En réalité, toutes ces opérations, sauf peut-être une, étaient coordonnées avec les jihadistes. On apprend donc aujourd’hui que Tel-Aviv supervisait les livraisons d’armes à ces mêmes jihadistes, de sorte que si Israël s’est contenté d’utiliser son armée de l’Air pour les appuyer, il jouait en réalité un rôle central dans la guerre.
Selon les conventions internationales la falsification des certificats de livraison finale et l’envoi d’armes à des groupes mercenaires, qu’ils renversent des gouvernements légitimes ou détruisent des États reconnus sont des crimes internationaux.
L’opération Timber Sycamore, dans ses différents volets, est la plus importante affaire criminelle de trafic d’armes de l’Histoire. Dans les parties mises à jour, elle implique au moins 17 États et représente plusieurs dizaines de milliers de tonnes d’armes pour plusieurs milliards de dollars.

 [1] “350 diplomatic flights carry weapons for terrorists”, Dilyana Gaytandzhieva, Trud, July 2, 2017.
[2] “War Gains : Bulgarian Arms Add Fuel to Middle East Conflicts”, Maria Petkova, Balkan Investigative Reporting Network, December 21, 2015.
[4] “In Shift, Saudis Are Said to Arm Rebels in Syria” and “Airlift To Rebels In Syria Expands With C.I.A.’S Help”, C. J. Chivers & Eric Schmitt, The New York Times, February 26 and March 25, 2013.
[5] “Qatar and Ukraine come to deliver Pechora-2D to ISIS”, by Andrey Fomin, Oriental Review (Russia), Voltaire Network, 22 November 2015.
[6] “US arms shipment to Syrian rebels detailed”, Jeremy Binnie & Neil Gibson, Jane’s, April 7th, 2016.
[7] “Jordan strengthens military presence on border with Syria and Iraq”, Pierre Balanian, AsiaNews, April 11, 2017.
[8] « De Camp Darby, des armes US pour la guerre contre la Syrie et le Yémen », par Manlio Dinucci, Traduction Marie-Ange Patrizio, Il Manifesto(Italie), Réseau Voltaire, 18 avril 2017.
[10] “U.S. Relies Heavily on Saudi Money to Support Syrian Rebels”, Mark Mazzetti & Matt Apuzzojan, The New York Times, January 23, 2016.
[11Classified Woman. The Sibel Edmonds Story : A Memoir et The Lone Gladio, Sibel Edmonds.

mardi 27 juin 2017

Ajustements au Moyen-Orient

La crise diplomatique autour du Qatar a gelé divers conflits régionaux et a masqué des tentatives de règlements de quelques autres. Il devrait faire apparaître une région profondément transformée.

Après 7 mois de rencontres secrètes,(et suite aux rencontres USA/Iran) un accord a été conclu entre le Gardien des deux mosquées et l’État juif [1]. Celui-ci se concrétisa à travers la participation de Tsahal à la guerre du Yémen [2] et le transfert de bombes atomiques tactiques [3].

Cet accord prévoyait également de faire évoluer l’Arabie saoudite, de sorte que sa société reste salafiste et que ses institutions deviennent laïques. Il prévoyait aussi l’indépendance du Kurdistan irakien (qui tiendra un référendum en septembre) et l’exploitation à la fois des champs gaziers du « quart vide » (qui sont à cheval sur l’Arabie et le Yémen, d’où la guerre actuelle) et de ceux de l’Ogaden (d’où le retrait cette semaine des troupes qataries de la frontière djiboutienne).

L’Égypte a décidé de céder les îles de Tiran et de Sanafir à l’Arabie saoudite, comme elle s’y était engagée il y a un an. Ce faisant, Riyad a reconnu de facto les accords de Camp David. Pourquoi ? 
En raison de la crise du Golfe, les Séoud ont officialisé leur rupture avec les Frères musulmans qui couvait depuis la transmission par le président al-Sissi de documents attestant d’un projet de coup d’État de certains membres de la Confrérie contre eux. Désormais Riyad entend combattre toute la Confrérie ce qui le conduit à revoir sa position à propos de la Syrie.

Téhéran a accueilli la direction politique du Hamas (laquelle est principalement composée de Frères musulmans) à la fois au nom de la solidarité avec la cause palestinienne et parce qu’il partage la même conception de l’islam politique.

La prochaine étape sera l’établissement de relations commerciales publiques entre Riyad et Tel-Aviv ainsi que l’expose The Times du 17 juin (des sociétés israéliennes seraient autorisées en Arabie et la compagnie d’aviation El-Al pourrait utiliser l’espace aérien saoudien) [4], puis la reconnaissance de l’initiative de paix du prince Abdallah (Ligue arabe, 2002) et l’établissement de relations diplomatiques (le prince Walid ben Talal deviendrait ambassadeur) [5].

Ce projet pourrait amener à la paix en Palestine (reconnaissance d’un État palestinien et indemnisation des réfugiés), au Liban (retrait des fermes de Shebaa) et en Syrie (arrêt du soutien aux jihadistes et retrait du Golan).

La question du Golan sera particulièrement difficile car l’administration Netanyahu a affirmé —non sans provocation— son annexion tandis que les États-Unis et la Russie ont violemment réagi à l’expulsion de la Force des Nations unies chargée d’observer le dégagement (FNUOD) et à sa substitution par al-Qaïda [6]. Il n’est cependant pas impossible qu’au cours de la guerre de Syrie, Washington ou Moscou ait pris l’engagement auprès de Tel-Aviv de ne pas modifier le statu quo du Golan.
Ce projet de règlement général reflète la méthode des hommes d’affaire Donald Trump et Jared Kushner : créer une situation économique qui impose un changement politique. Il se heurtera nécessairement à l’opposition des Frères musulmans (Hamas), et du triangle de l’islam politique : l’Iran, le Qatar et la Turquie.
La totalité des acteurs de la région s’accordent à considérer qu’aujourd’hui l’Irak et la Syrie forment un unique champ de bataille. depuis le début de la crise autour du Qatar, la guerre se limite en Irak et en Syrie à (1) la lutte contre Daesh (Mossoul et Rakka) et à (2) celle contre la Turquie (Baachiqa et Al-Bab) [8].
Depuis l’accession au pouvoir à Pékin du président Xi Jinping porteur du projet des deux routes de la soie, Washington a poussé à la création d’un « Sunnistan » à cheval sur l’Irak et la Syrie. Pour ce faire, il a financé, armé et encadré Daesh afin de couper l’axe de communication Beyrouth-Damas-Bagdad-Téhéran-Pékin.
Les armées irakienne et syrienne ont subitement avancé depuis le début de la crise autour du Qatar. Elles ont libéré de Daesh leurs territoires frontaliers et sont aujourd’hui sur le point d’établir leur jonction (c’est-à-dire de rétablir la route de la soie). Les deux armées ne sont plus séparées que par deux cent mètres de terrain contrôlés illégalement par l’armée US [10].
Un cessez-le-feu a été proclamé unilatéralement par Damas à Deraa. En réalité, Moscou et Washington ont donné l’assurance à Tel-Aviv que la Syrie ne laisserait se déployer à sa frontière que des troupes russes et non pas iraniennes, pas plus que celles du Hezbollah libanais.
Si le Pentagone suit les ordres de la Maison-Blanche, le conflit devrait largement cesser. Il ne resterait que l’occupation turque de l’Irak et de la Syrie, sur le modèle de l’occupation turque de Chypre dont l’Union européenne s’est lâchement accommodée.
Les Yéménites pourraient faire les frais de l’évolution actuelle. S’il est clair que l’Arabie saoudite est entrée en guerre pour installer un gouvernement favorable à l’exploitation jointe des champs pétroliers du « Quart vide » et pour la gloire personnelle du prince Mohamed Ben Salman, il semble que l’aide apportée par l’Iran aux Houthis et à l’ancien président Saleh détourne les yeux des pays arabes et de la « communauté internationale » des crimes qui s’y commettent. Il faut en effet choisir son camp et presque tous ont opté pour l’Arabie saoudite contre le Qatar et ses alliés turc et iranien. Ce qui était positif en Palestine, en Irak et en Syrie, s’avère négatif au Yémen.
Depuis le 5 juin et la rupture des relations diplomatiques entre Riyad et Doha, les chancelleries se préparent toutes à une possible guerre, même si seule l’Allemagne l’a évoquée publiquement. Cette situation est d’autant plus surprenante que c’est le Qatar et non l’Arabie saoudite qui est observateur à l’Otan [11].
Quoi qu’il en soit, malgré ses revendications historiques justifiées, il semble impossible que l’Arabie saoudite annexe le Qatar alors qu’elle s’était opposée à l’annexion du Koweït par l’Irak pour les mêmes raisons. Une règle s’est imposée dans le monde depuis la décolonisation britannique : nul n’a le droit de toucher à des frontières conçues par Londres, dans le seul et unique but de maintenir des problèmes insolubles pour les nouveaux États indépendants. De cette manière Londres maintient de facto leur dépendance perpétuelle à son égard. Au demeurant l’arrivée prochaine de 43 000 soldats pakistanais et turcs venus défendre le Qatar devrait renforcer sa position.

[1] « Exclusif : Les projets secrets d’Israël et de l’Arabie saoudite », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 22 juin 2015.
[2] « La Force « arabe » de Défense commune », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 20 avril 2015.
[3] « Le Proche-Orient nucléarisé ! », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 7 mars 2016.
[4] “Saudi trade talks with Israel are historic first”, Michael Binyon & Gregg Carlstrom, The Times, June 17th, 2017.
[5] « Exclusif : L’Arabie saoudite construit une ambassade en Israël », Réseau Voltaire, 29 mai 2016.
[6] « Le Conseil de sécurité s’apprête à enjoindre à Israël de rompre avec al-Qaïda », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 2 juillet 2016.
[7Sous nos Yeux. Du 11-Septembre à Donald Trump, éditions Demi-Lune, 2017.
[8] « Invasion militaire turque de l’Irak », par Ibrahim Al-Jaafari, Réseau Voltaire, 19 octobre 2016.
[9] « Trump : le business contre la guerre », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 14 février 2017.
[10] « Les USA empêcheront-ils la réouverture de la route de la soie ? », Réseau Voltaire, 17 juin 2017.
[11] « Israël et des émirs dans l’Otan », par Manlio Dinucci, Traduction Marie-Ange Patrizio, Il Manifesto (Italie) , Réseau Voltaire, 13 mai 2016.

Extrait article réseau Voltaire


vendredi 16 juin 2017

La liste bahreino-égypto-émirato-saoudienne des terroristes

Individus

1. Khalifa Mohammed Turki al-Subaie - Qatari
2. Abdelmalek Mohammed Yousef Abdel Salam - Jordanien
3. Ashraf Mohammed Yusuf Othman Abdel Salam - Jordanien
4. Ibrahim Eissa Al-Hajji Mohammed Al-Baker - Qatari
5. Abdulaziz bin Khalifa al-Attiyah - Qatari
6. Salem Hassan Khalifa Rashid al-Kuwari - Qatari
7. Abdullah Ghanem Muslim al-Khawar - Qatari
8. Saad bin Saad Mohammed al-Kaabi - Qatari
9. Abdullatif bin Abdullah al-Kuwari - Qatari
10. Mohammed Saeed Bin Helwan al-Sakhtari - Qatari
11. Abdul Rahman bin Omair al-Nuaimi - Qatari
12. Abdul Wahab Mohammed Abdul Rahman al-Hmeikani - Yéménite
13. Khalifa bin Mohammed al-Rabban - Qatari
14. Abdullah Bin Khalid al-Thani - Qatari
15. Abdul Rahim Ahmad al-Haram - Qatari
16. Hajjaj bin Fahad Hajjaj Mohammed al-Ajmi - Koweïtien
17. Mubarak Mohammed al-Ajji - Qatari
18. Jaber bin Nasser al-Marri - Qatari
19. Yusuf Abdullah al-Qaradawi - Egyptien
20. Mohammed Jassim al-Sulaiti - Qatari
21. Ali bin Abdullah al-Suwaidi - Qatari
22. Hashem Saleh Abdullah al-Awadhi - Qatari
23. Ali Mohammed Mohammed al-Salabi - Libyen
24. Abdelhakim Belhadj - Libyen
25. Mahdi Harati - Libyen
26. Ismail Muhammad Mohammed al-Salabi - Libyen
27. Al-Sadiq Abdulrahman Ali al-Ghuraini - Libyen
28. Hamad Abdullah Al-Futtais al-Marri - Qatari
29. Mohamed Ahmed Shawky Islambouli - Egyptien
30. Tariq Abdelmagoud Ibrahim al-Zomor - Egyptien
31. Mohamed Abdelmaksoud Mohamed Afifi - Egyptien
32. Mohamed el-Saghir Abdel Rahim Mohamed - Egyptien
33. Wajdi Abdelhamid Mohamed Ghoneim - Egyptien
34. Hassan Ahmed Hassan Mohammed Al Dokki Al Houti - Emirati
35. Hakem al-Humaidi al-Mutairi - Saudi / Koweïtien
36. Abdullah Mohammed Sulaiman al-Moheiseni - Saoudien
37. Hamed Abdullah Ahmed al-Ali - Koweïtien
38. Ayman Ahmed Abdel Ghani Hassanein - Egyptien
39. Assem Abdel-Maged Mohamed Madi - Egyptien
40. Yahya Aqil Salman Aqeel - Egyptien
41. Mohamed Hamada el-Sayed Ibrahim - Egyptien
42. Abdel Rahman Mohamed Shokry Abdel Rahman - Egyptien
43. Hussein Mohamed Reza Ibrahim Youssef - Egyptien
44. Ahmed Abdelhafif Mahmoud Abdelhady - Egyptien
45. Muslim Fouad Tafran - Egyptien
46. Ayman Mahmoud Sadeq Rifat - Egyptien
47. Mohamed Saad Abdel-Naim Ahmed - Egyptien
48. Mohamed Saad Abdel Muttalib Abdo Al-Razaki - Egyptien
49. Ahmed Fouad Ahmed Gad Beltagy - Egyptien
50. Ahmed Ragab Ragab Soliman - Egyptien
51. Karim Mohamed Mohamed Abdel Aziz - Egyptien
52. Ali Zaki Mohammed Ali - Egyptien
53. Naji Ibrahim Ezzouli - Egyptien
54. Shehata Fathi Hafez Mohammed Suleiman - Egyptien
55. Muhammad Muharram Fahmi Abu Zeid - Egyptien
56. Amr Abdel Nasser Abdelhak Abdel-Barry - Egyptien
57. Ali Hassan Ibrahim Abdel-Zaher - Egyptien
58. Murtada Majeed al-Sindi - Bahraini
59. Ahmed Al-Hassan al-Daski - Bahraini

Organisations

1. Qatar Volunteer Center - Qatar
2. Doha Apple Company (Internet and Technology Support Company) - Qatar
3. Qatar Charity - Qatar
4. Cheikh Eid al-Thani Charity Foundation (Eid Charity) - Qatar
5. Cheikh Thani Bin Abdullah Foundation for Humanitarian Services - Qatar
6. Saraya Defend Benghazi - Libyie
7. Saraya al-Ashtar - Bahrain
8. February 14 Coalition - Bahrain
9. The Resistance Brigades - Bahrain
10. Hezbollah Bahrain - Bahrain
11. Saraya al-Mukhtar - Bahrain
12. Harakat Ahrar Bahrain - Bahrain Movement

vendredi 9 juin 2017

Les Frères musulmans quittent Tripoli

Les leaders des Frères musulmans et de leurs organisations armées (Al-Qaïda, Daesh, etc.) quittent Tripoli depuis la rupture des relations diplomatiques saoudo-qatari.
Ils se regroupent en Turquie.
On devrait donc assister prochainement à une relative clarification en Libye où l’un des trois gouvernements actuels devrait être dissout.
Une totale réorganisation des alliances est en cours au Moyen-Orient.

Qui actionne l’émir de Qatar ?

Lundi 5 juin 2017, l’émir Tamim ben Hamad Al Thani du Qatar est apparu à la télévision nationale, Al-Jazeera, pour prononcer un discours devant un parterre d’officiels et à la Nation.
Cette intervention était très attendue dans le contexte de la crise diplomatique régionale qui isole l’émirat. Les transports terrestres vers et depuis le Qatar ont été interrompus, et de nombreuses lignes maritimes et aériennes également. Il n’y a plus de produit frais sur place.
L’émir est un souverain absolu qui n’a de compte à rendre à personne. Il est au pouvoir depuis l’abdication forcée de son père, en juin 2013. Pourtant, de nombreuses sources assurent que les membres de son gouvernement ne sont pas autorisés à faire de la politique et que toutes les décisions sont prises depuis une ambassade alliée.
Prenant la parole à la télévision, l’émir a déclaré : « Le Qatar n’a jamais manqué de jouer son rôle arabe et islamique et de défendre les enjeux de nos pays arabes et islamiques ». Sur ce, à la 19ème seconde, le programme a été censuré. La présentatrice d’Al-Jazeera, interloquée, a repris l’antenne en bafouillant.
On ne saura jamais ce que souhaitait dire ou faire l’émir Tamim. La presse locale du mardi 6 juin fait l’impasse sur le sujet. Personne ne sait qui a autorité pour couper un message de l’émir, ni qui se cache derrière ce fantoche.

Le Parlement turc autorise le déploiement de troupes au Qatar

La Grande assemblée nationale turque a voté le 7 juin 2017 l’autorisation de déploiement de troupes au Qatar.
En vertu d’un accord signé en 2014, la Turquie a construit une base militaire au Qatar permettant de recevoir 3 000 hommes. Cependant, il n’a jamais été expliqué pourquoi la Turquie envisageait un tel déploiement dans le Golfe, c’est-à-dire au-delà de sa zone actuelle d’influence.
Le Qatar abrite par ailleurs la plus importante base militaire US du Moyen-Orient élargi, celle d’Udeid, qui héberge 10 000 hommes et le quartier général du CentCom. Elle forme le pilier de la doctrine Carter selon laquelle les Etats-Unis considèrent leur approvisionnement en hydrocarbure du Golfe persique comme une question de sécurité nationale. Toutefois, depuis plusieurs années, les États-Unis n’ont plus besoin du pétrole et du gaz du Golfe car ils ont augmenté leur production et se sont emparés des réserves du Golfe du Mexique.
Depuis le début de la semaine, 10 États ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar.
Le 1er juin 2017 (c’est-à-dire après le discours de Donald Trump à Riyad, mais avant la crise diplomatique), Dennis Ross (l’ancien envoyé spécial au Moyen-Orient des présidents Bush Sr. et Clinton), avait assuré sur Sky News qu’« il ne serait pas surpris » si l’administration Trump montrait au Qatar qu’elle se préparait à quitter la base d’Al-Udeid. Interrogé par Al-Jazeera, le Pentagone avait commenté que d’« un point de vue militaire », un tel retrait n’était pas envisagé.
Une totale réorganisation des alliances est en cours au Moyen-Orient.

mardi 6 juin 2017

Affrontement au Bilderberg 2017 par Thierry Meyssan

Le Groupe de Bilderberg vient de tenir son meeting 2017, du 1er au 4 juin, aux États-Unis. Contrairement à l’habitude, les 130 participants n’ont pas tous défendu le même projet. Au contraire, suite aux interventions de Donald Trump au sommet arabo-islamo-US et à l’Otan [5], la CIA et le MI6 ont organisé le premier jour un débat opposant les partisans de la lutte contre l’islamisme à ses soutiens. Il s’agissait bien entendu soit de trouver un compromis entre les deux camps, soit de prendre acte des dissensions et de ne pas les laisser détruire l’objectif initial de l’Alliance : la lutte contre la Russie [6].
Côté anti-islamisme (c’est-à-dire opposé non pas à la religion musulmane, mais à l’islam politique façon Sayyid Qutb), on relevait la présence du général H. R. McMaster (conseiller national de sécurité du président Trump) et de son experte Nadia Schadlow. McMaster est un stratège reconnu dont les théories ont été vérifiées sur le champ de bataille. Schadlow a surtout travaillé sur la manière de transformer les victoires militaires en réussites politiques. Elle s’est beaucoup intéressée à la restructuration des mouvements politiques dans les pays vaincus. Elle devrait prochainement publier un nouveau livre sur la lutte contre le radicalisme islamique.
Côtés pro-islamisme, on notait pour les États-Unis la présence de John Brenan (ancien directeur de la CIA) et de ses ex-subordonnés Avril Haines et David Cohen (financement du terrorisme). Pour le Royaume-Uni, Sir John Sawers (ancien directeur du MI6 et protecteur de longue date de la Confrérie) et le général Nicholas Houghton (ancien chef d’état-major qui prépara le plan d’invasion terrestre de la Syrie). Pour la France, le général Benoît Puga (ancien chef de l’état-major de l’Élysée et commandant des Forces spéciales en Syrie) et Bruno Tertrais (stratège néo-conservateur du ministère de la Défense). Enfin, pour le secteur privé, Henry Kravis (directeur du fonds de placement KKR et trésorier officieux de Daesh) et le général David Petraeus (co-fondateur de Daesh).
Et comme si ce déséquilibre n’était pas suffisant, les organisateurs avaient prévu la présence d’experts capables de justifier l’injustifiable comme celle du professeur Niell Fergusson (historien du colonialisme britannique).

Le possible renversement des alliances

Il faudra un peu de temps avant de savoir ce qui s’est dit au cours de cette réunion et pour comprendre les conclusions que les uns et les autres en auront tirées. Cependant nous pouvons d’ores et déjà constater que Londres pousse à un changement de paradigme au Moyen-Orient. Si le modèle du « printemps arabe » (reproduction de la « révolte arabe de 1916 » organisée par Lawrence d’Arabie pour remplacer l’empire ottoman par l’empire britannique) est abandonné, le MI6 espère créer une nouvelle entente sur la base de l’islamisme politique.
De fait, alors que Washington a renouvelé son alliance avec l’Arabie saoudite et l’a convaincue de rompre avec la Confrérie en échange de 110 milliards de dollars d’armement [7], Londres pousse à une entente entre l’Iran, le Qatar, la Turquie et les Frères musulmans. Si ce projet devait être poursuivi, on assisterait à l’abandon du conflit sunnite/chiite et à la création d’un « croissant de l’islam politique » allant de Téhéran, à Doha, Ankara, Idleb, Beyrouth et Gaza. Cette nouvelle donne permettrait au Royaume-Uni de maintenir son influence dans la région.
La seule chose qui semble faire consensus entre les Alliés est la nécessité d’abandonner le principe d’un État jihadiste. Tous admettent qu’il faut faire rentrer le diable dans sa boîte. C’est-à-dire d’en finir avec Daesh, quitte à ce que certains continuent avec Al-Qaïda. C’est pourquoi, inquiet pour sa survie, le Calife auto-proclamé a fait secrètement parvenir un ultimatum à Downing Street et à l’Élysée.

Choisir son camp

On verra dans les prochains mois si le retournement de l’Arabie saoudite est bien réel. Ce serait une bonne nouvelle pour les Syriens, mais une mauvaise pour les Yéménites (que le monde occidental ignorerait alors). Il offre la possibilité au roi Salman de faire évoluer le wahhabisme d’une secte fanatique en une religion normale. D’ores et déjà le soudain conflit qui oppose Riyad à Doha à propos de l’Iran se double d’une polémique sur la possible parenté entre le fondateur de la secte, Mohammed ben Abdelwahhab, et la dynastie qatarie des Al-Thani ; une prétention qui a enragé les Séoud.
Le projet de l’« islam politique » consiste à unir les Frères musulmans aux Khomeinistes. Il implique que l’Iran, voire le Hezbollah, substitue cette problématique à la lutte anti-impérialiste. S’il devait voir le jour, il conduirait certainement l’Iran à se retirer de Syrie. La Maison-Blanche le prend très au sérieux et s’y prépare avec effroi. Donald Trump a déjà désigné Téhéran comme son nouvel ennemi dans son discours de Riyad et il vient de nommer Michaël D’Andrea (qui organisa l’assassinat d’Imad Mougniyeh à Damas, en 2008) comme responsable de la section iranienne de la CIA [8].
La Russie s’était préparée à une éventuelle nouvelle donne au Moyen-Orient. Elle a ainsi poursuivi son ambition d’accéder aux « eaux chaudes » en soutenant la Syrie et de pouvoir circuler à travers les détroits des Dardanelles et du Bosphore (indispensables pour entrer en Méditerranée) en se rapprochant de son adversaire héréditaire, la Turquie. Toutefois, à terme, l’islam politique ne pourra que lui causer des problèmes dans le Caucase.
Comme toujours lorsque les joueurs battent leurs cartes, chacun doit se positionner. Le Royaume-Uni défend son Empire, la France sa classe dirigeante et les États-Unis son peuple. Au Moyen-Orient certains se battront pour leur communauté, d’autres pour leurs idées. Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples. Ainsi, l’Iran pourrait suivre l’idéal de l’imam Khomeiny en confondant la fin et les moyens. Ce qui était au départ une révolution anti-impérialiste menée avec la force de l’islam pourrait se muer en une simple affirmation de l’usage politique de cette religion.

Les conséquences dans le reste du monde

Le MI6 et la CIA ont pris un grand risque en invitant un non-atlantiste à la réunion du Bilderberg 2017. L’ambassadeur de Chine, Cui Tiankai, qui ne devait intervenir que le quatrième jour du séminaire, a donc pu évaluer dès le premier jour les positions de chaque membre de l’Otan.
D’un côté Pékin mise sur la collaboration de Donald Trump, l’ouverture des États-Unis à sa Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), et le développement de toutes ses routes commerciales. De l’autre, il espère que le Brexit se traduira par une alliance économique et financière avec Londres [9].
L’ambassadeur Cui, qui fut le directeur du Centre de recherche politique du ministère chinois des Affaires étrangères, pourrait donc apparemment se satisfaire d’une simple destruction de Daesh. Mais il n’est pas sans ignorer que ceux qui ont organisé le Califat pour couper la « route de la soie » en Irak et en Syrie, puis la guerre en Ukraine pour couper la « nouvelle route de la soie », se préparent préventivement à ouvrir un troisième front aux Philippines et un quatrième au Venezuela pour couper d’autres projets de communication..
De ce point de vue, la Chine, qui comme la Russie a intérêt à soutenir Donald Trump ne serait-ce que pour prévenir le terrorisme dans son propre pays, s’interrogera sur les possibles conséquences à long terme d’une hégémonie britannique dans le « croissant de l’islam politique ».

L'article a été rédigé le 4 juin 2017. Il ne mentionne donc pas l’actuelle crise diplomatique au Moyen-Orient même si celle-ci en confirme les hypothèses. Deux camps commencent à se former : d’un côté le Qatar et le Royaume-Uni, déjà officiellement soutenus par l’Iran, la Turquie et le Hamas ; de l’autre l’Arabie saoudite et les États-Unis déjà soutenus par le Bahreïn, l’Égypte, les Émirats arabes unis, Israël, la Libye (gouvernement de Baïda), les Maldives, Maurice et le Yémen (gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi).