Par N. Mozes *
Ces dernières semaines, une grave tension est apparue entre l’Egypte et l’Arabie saoudite en raison de désaccords sur la crise syrienne. Ces différends, de longue date, se sont récemment accrus et ont éclaté au grand jour, notamment depuis le vote de l’Egypte le 8 octobre 2016 au Conseil de sécurité des Nations unies en faveur d’un projet de résolution russe sur la situation à Alep, projet auquel l’Arabie saoudite s’est opposée.
Le soutien de l’Egypte au projet de résolution russe était une expression flagrante de son conflit avec l’Arabie saoudite sur la crise syrienne et constitue une démarche indépendante égyptienne qui a placé le pays résolument en dehors du camp saoudien. En fait, la position de l’Egypte sur la résolution de la crise syrienne est clairement plus proche de celle de la Russie, alliée de Bachar Al-Assad, que de la position saoudienne.
Au cours des semaines qui ont précédé le vote aux Nations unies, de hauts-représentants égyptiens, menés par le président Abd Al-Fattah Al-Sissi et le ministre des Affaires étrangères Sameh Shukri, ont exprimé publiquement leur position sur la crise syrienne et clarifié les points de désaccord avec l’Arabie saoudite sur ce sujet. Leurs déclarations, ainsi que les articles publiés dans la presse égyptienne, décrivaient l’Arabie saoudite comme en faveur d’une solution militaire en Syrie et soutenant les factions armées, contrairement à l’Egypte, qui défend une solution politique, cherche à mettre fin au bain de sang dans le pays et à préserver son unité et sa stabilité, et à mettre fin à l’expansion du terrorisme depuis la Syrie vers d’autres pays. Ils ont ajouté qu’alors que l’Arabie saoudite insiste sur la mise à l’écart de Bachar Al-Assad comme condition d’une solution en Syrie, l’Egypte ne partage pas ce point de vue. Certains articles ont souligné l’importance de la Syrie pour l’Egypte et les liens sécuritaires et stratégiques entre les deux pays, affirmant que la position de l’Egypte en Syrie provient des intérêts égyptiens qui ont préséance sur les intérêts arabes.
L’Arabie saoudite, de son côté, a été exaspérée par le soutien de l’Egypte au projet de résolution russe. Le représentant saoudien à l’ONU, Abdallah Yahya Al-Mouallimi, a demandé comment il était possible que certains pays non arabes soient plus proches des positions arabes que l’Egypte. En outre, l’ambassadeur saoudien en Egypte, Ahmed Al-Kattan, a été rappelé à Riyad pour concertation.
L’Arabie saoudite a également commencé à prendre des mesures économiques, apparemment en réaction aux divergences significatives entre les positions égyptienne et saoudienne. Ainsi, deux jours après le vote au Conseil de sécurité des Nations unies, il a été signalé que la plus importante compagnie pétrolière saoudienne, Saudi Aramco, a suspendu la fourniture de pétrole à l’Egypte, et que Saudia Airlines, compagnie aérienne nationale saoudienne, n’a pas approuvé les vols d’EgyptAir vers l’Arabie saoudite. Ces décisions ont été considérées en Egypte comme des sanctions économiques de la part de l’Arabie saoudite.
La colère saoudienne contre l’Egypte s’est exprimée dans de nombreux articles de presse saoudiens décrivant le régime d’Al-Sissi comme ingrat, au regard du soutien matériel et politique significatif que l’Arabie saoudite lui a octroyé. Dans le même temps, d’autres articles ont appelé à comprendre le point de vue de l’Egypte, en particulier au vu de sa situation politique complexe.
Notons que les relations égypto-saoudiennes depuis l’accession au pouvoir d’Al-Sissi ont connu des hauts et des bas. Les deux pays ont tenté de préserver un front uni et des relations étroites. L’Arabie saoudite a soutenu Al-Sissi et sa mise hors-la-loi du régime des Frères musulmans (FM) dirigés par Mohamed Morsi. Le soutien saoudien au régime égyptien actuel s’est également manifesté par une aide économique significative à l’Egypte. Le président égyptien Al-Sissi, pour sa part, a déclaré à plusieurs occasions que l’armée égyptienne était en alerte maximale, prête à défendre les pays-frères de l’Egypte dans le Golfe, s’ils étaient directement menacés. En avril 2016, le monarque saoudien Salman a effectué une visite historique en Egypte, au cours de laquelle il a reconnu la souveraineté saoudienne sur les îles de la Mer rouge de Tiran et de Sanafir, qui étaient sous souveraineté égyptienne depuis des années, et accepté de les restituer au Royaume. Une série d’accords économiques ont également été conclus au cours de cette visite.
Toutefois, malgré leurs efforts pour préserver une unité apparente, des désaccords significatifs sont apparus entre les deux pays sur différentes questions – principalement l’ouverture de l’Arabie saoudite envers la Turquie et les FM, que l’Egypte considère comme des ennemis, et dans le sens inverse, des indications d’un possible rapprochement entre l’Egypte et l’Iran, ainsi que la position de l’Egypte sur la Syrie. L’Arabie saoudite est également très déçue par l’étendue limitée de la coopération égyptienne avec elle dans sa guerre contre les Houthis au Yémen, et par l’incapacité de l’Egypte à mettre en œuvre à ce jour l’accord sur le transfert des deux îles.
La colère saoudienne a également été déclenchée par la participation d’une importante délégation égyptienne, dirigée par le mufti égyptien Shawki Allam, le cheikh d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayeb, et le conseiller d’Al-Sissi Ossama Al-Azhari, lors d’une conférence de religieux musulmans à Grozny fin août 2016, sous le titre « Qui sont les sunnites ? ». Les religieux saoudiens n’étaient pas invités à cette conférence, et sa déclaration finale, qui définissait le terme sunnite, ne faisait pas mention du wahhabisme et du salafisme. L’Arabie saoudite a considéré cette conférence comme un complot contre son statut de dirigeant du monde sunnite et adressé de vives critiques à l’Egypte pour sa participation à cet événement.
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