En Egypte, les Frères Musulmans au pouvoir assurent vouloir instaurer un Etat islamique moderne. Mais derrière un habillage démocratique, la Constitution portée par les « Frères » est islamiquement bien corsée, puisqu’elle prévoit que « les principes de la charia constituent la principale source de la législation ».
Depuis le 11 septembre 2001, l’idée islamiquement correcte chère aux dirigeants, intellectuels et médias occidentaux, consiste à affirmer que les Frères Musulmans incarnent la version « modérée » de l’islam politique, par opposition aux « méchants » terroristes salafistes. Alors qu’il y a une quinzaine d’années personne n’aurait associé ce terme de « modérés » au plus subversif des courants islamistes du monde, dont le mouvement terroriste palestinien Hamas est une branche officielle, les « Frères » prétendent être aujourd’hui de parfaits « démocrates », comme leurs homologues turcs de l’AKP, au pouvoir à Ankara depuis 2002, ou comme les partis européens centristes « démocrates-chrétiens ».
Il est vrai que les « Frères » ont eu l’intelligence de miser la vague de démocratisation instaurée par le Printemps arabe, et qu’ils s’étaient habilement démarqués, depuis 2001, des dérives d’Al-Qaïda, condamnant hypocritement les attentats du 11 septembre auxquels, de toute façon, ils ne croyaient pas, puisque « œuvre du Mossad » (NDLR : les services secrets israéliens). Mais leur reconversion démocratique a permis aux Occidentaux, qui les ont aidés dans le passé face aux nationalistes arabes et au communisme, de les réhabiliter définitivement. Alors qu’ils n’ont pourtant jamais renié le terrorisme du Hamas ou les fatwas de leur célèbre prédicateur d’Al-Jazira, Youssouf Al-Qardaoui, qui justifie l’assassinat d’homosexuels et l’envoi de kamikazes en Israël ou en Irak, ces « modérés » parrainés par le grand ami des Occidentaux qu’est le Qatar, ont déjà pris le pouvoir en Egypte, au Maroc ou en Tunisie. Les révolutions arabes, initiées par des militants blogueurs laïcs mais qu’ils ont vite récupérées, leur ont permis de prendre leur revanche historique. La prochaine sera la conquête de tous les pays arabes sunnites, travaillés de l’intérieur par leurs prédicateurs depuis la création de la Confrérie en 1928, par Hassan al-Banna. Ce dernier, par ailleurs grand-père de Tarik Ramadan et père spirituel de la plupart des mouvements islamistes arabes, ambitionnait de rétablir par tous les moyens l’Unité de la Oumma, en fait le Califat islamique, aboli en 1924 par « l’apostat » Atätürk, père de la Turquie moderne laïque.
C’est dans cette perspective historique et idéologique qu’il faut comprendre les dérives liberticides du parti tunisien Ennahda – issu des Frères Musulmans – contre les révolutionnaires laïques et les féministes; les déclarations du Premier Ministre tunisien Jebali sur le “VIème Califat” ou encore la stratégie autoritaire du président égyptien Mohamed Morsi, qui, après avoir soumis durant l’été 2012, l’armée égyptienne à son joug, s’est accordé les pleins pouvoirs et a fait adopter, le vendredi 8 décembre 2012, un décret autorisant l’armée à appliquer la loi martiale et à arrêter les manifestants laïcs opposés à l’adoption d’une Constitution basée sur la charia, soumise à référendum le 15 décembre 2012.
L’inquiétude des militants laïcs, qui se sont fait déjà voler leur révolution, est parfaitement exprimée par Mahmoud Salem (alias Sandmonkey), célèbre blogueur égyptien laïque, dont le comte twitter possède des milliers d’abonnés. Celui-ci explique dans sa « Lettre ouverte aux Etats-Unis d’Amérique », que l’Egypte deviendra une république islamique si la nouvelle Constitution est adoptée. Il rappelle que le fait que la majorité des salafistes milite en faveur de cette Constitution est un signe qui ne trompe pas. Les salafistes ont bien compris que, derrière un habillage démocratique, la Constitution des « Frères » est islamiquement bien corsée, puisqu’elle prévoit que « les principes de la charia constituent la principale source de la législation », principes définis dans l’article 219 renvoyant à la « jurisprudence islamique et aux sources crédibles reconnues par la doctrine sunnite » depuis 1400 ans, ce qui inclut les peines de mort pour l’adultère, l’idolâtrie, l’amputation des mains, le fouet ou la lapidation.
Comme le craignent les laïcs, qui défilent depuis des semaines contre le pouvoir et qui savent que le texte risque d’être approuvé par les masses manipulées, l’Egypte pourrait devenir bientôt un nouveau Pakistan. Au cas où certains compagnons de routes des Frères Musulmans – dont bon nombre de faiseurs d’opinion et orientalistes occidentaux – douteraient des intentions islamistes radicales de Mohamed Morsi, écoutons les propos du Guide suprême des Frères Musulmans d’Egypte : Mohamed Badie, qui a expliqué jeudi dernier, dans son message hebdomadaire, que le but de la Confrérie est « l’instauration d’un régime juste et raisonnable », un « Califat islamique juste ». Quant au Guide suprême adjoint des Frères Musulmans, Khairat el-Shater, chargé par le Conseil d’orientation de la Confrérie de revoir la stratégie du mouvement dans l’ère post-Moubarak, il a précisé ce que veut dire un « régime juste et raisonnable », dans son discours du 21 avril 2011 : « Notre mission principale et globale est de renforcer la religion d’Allah sur Terre, de développer la Oumma et sa civilisation sur la base de l’islam, et d’amener le peuple à se soumettre à Allah sur Terre (…) Le rétablissement de l’islam dans sa conception englobante ; l’islamisation de la vie ; le règne de la religion d’Allah ». Mais pour comprendre encore mieux la stratégie « progressive » des « Frères » dans les pays arabes comme en Europe, la suite du discours est précieuse : « La méthode des Frères pour réaliser cette mission globale nous a été enseignée : l’imam Al-Banna (qu’il repose en paix), par sa compréhension de la méthode du Prophète (PSL), a défini un certain nombre d’étapes et d’objectifs secondaires qui, une fois accomplis, aboutiront à la réalisation de cette mission globale. (…) Il faut commencer par construire l’individu musulman, la famille musulmane, la société musulmane, le gouvernement islamique, l’Etat islamique global (Califat) et le statut d’Ustathiya (supériorité ou éminence de la société islamique parmi les nations) de cet Etat. Alors la mission globale sera réalisée, à savoir la toute-puissance de la religion d’Allah. (…) Il s’agit d’un projet global connu sous le nom de Projet islamique » (Source : Khairat al-Shater on « The Nahda Project », cf traduction par le Hudson Institute, 10 avril 2012).
Ces phrases font froid dans le dos de ceux qui croient encore que les « Frères » ont « changé » ou qu’ils sont de simples « conservateurs ». Car leur univers réel est celui, « englobant », du totalitarisme, en tant que système politico-religieux total qui régit toutes les sphères de la vie des hommes et qui ambitionne de dominer politiquement et non pas seulement religieusement l’univers par tous les moyens. Ces moyens comprennent le double discours, l’instrumentalisation des droits de l’Homme ou de la démocratie, etc. car dans le totalitarisme, la fin justifie les moyens. Et comme les deux précédents, le rouge et le brun, le totalitarisme vert des Frères Musulmans fonctionne au carburant de la haine de l’autre et des minorités maléfiques désignées à la vindicte populaire : les Juifs, complices des sionistes israéliens, et ennemis de l’islam ; les « mauvais musulmans », « traîtres à la Oumma », et bien sûr les chrétiens autochtones, « complices des croisés ». Pas de surprise donc à ce que les dignitaires des « Frères » désignent depuis quelques temps les chrétiens coptes comme les boucs émissaires (coupables de diffuser les caricatures anti-islam, etc) et incitent de plus en plus explicitement, à la violence contre eux. C’est ainsi que la chaine des « Frères », Misr25, a accusé l’Eglise copte égyptienne d’avoir organisé les manifestations anti-Morsi, affirmant que les Coptes forment 60% des opposants et que des armes utilisées contre les manifestants provenaient d’un quartier chrétien…
En fait, la différence entre les islamistes-salafistes radicaux et les Frères Musulmans n’est pas une différence de nature mais de degrés. Mais sur le fond, les Frères et les salafistes ont les mêmes objectifs, les mêmes méthodes et les mêmes ennemis bouc-émissaires : ils rêvent tout deux de rétablir un jour le Califat sunnite qui règnera sur l’Univers; ils veulent tout deux renverser les régimes nationalistes-laïcs ou chiites puis appliquer la Charià sunnite orthodoxe, et ils sont obsédés par la lutte contre le “blasphème” et “l’islamophobie”, prétextes à leurs violences et lois liberticides. Ils accusent en permanence les “traîtres” à l’islam, les “apostats” ou les chrétiens arabes d’être de “mauvais citoyens” et d’“insulter l’islam” et ils veulent tous remettre les femmes “à leur place” et les couvrir, etc. En Egypte, ils soutiennent la même Constitution chariatique voulue par Morsi et les « Frères ». Mais il n’y a pas de surprise à cela, puisque, contrairement à une idée reçue, les Frères ne sont pas tant opposés au salafisme, leur idéologie de référence s’appelant… la salafiya (c.a.d, salafisme)…
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Alexandre del Valle. L’article original peut être consulté ici.
Depuis le 11 septembre 2001, l’idée islamiquement correcte chère aux dirigeants, intellectuels et médias occidentaux, consiste à affirmer que les Frères Musulmans incarnent la version « modérée » de l’islam politique, par opposition aux « méchants » terroristes salafistes. Alors qu’il y a une quinzaine d’années personne n’aurait associé ce terme de « modérés » au plus subversif des courants islamistes du monde, dont le mouvement terroriste palestinien Hamas est une branche officielle, les « Frères » prétendent être aujourd’hui de parfaits « démocrates », comme leurs homologues turcs de l’AKP, au pouvoir à Ankara depuis 2002, ou comme les partis européens centristes « démocrates-chrétiens ».
Il est vrai que les « Frères » ont eu l’intelligence de miser la vague de démocratisation instaurée par le Printemps arabe, et qu’ils s’étaient habilement démarqués, depuis 2001, des dérives d’Al-Qaïda, condamnant hypocritement les attentats du 11 septembre auxquels, de toute façon, ils ne croyaient pas, puisque « œuvre du Mossad » (NDLR : les services secrets israéliens). Mais leur reconversion démocratique a permis aux Occidentaux, qui les ont aidés dans le passé face aux nationalistes arabes et au communisme, de les réhabiliter définitivement. Alors qu’ils n’ont pourtant jamais renié le terrorisme du Hamas ou les fatwas de leur célèbre prédicateur d’Al-Jazira, Youssouf Al-Qardaoui, qui justifie l’assassinat d’homosexuels et l’envoi de kamikazes en Israël ou en Irak, ces « modérés » parrainés par le grand ami des Occidentaux qu’est le Qatar, ont déjà pris le pouvoir en Egypte, au Maroc ou en Tunisie. Les révolutions arabes, initiées par des militants blogueurs laïcs mais qu’ils ont vite récupérées, leur ont permis de prendre leur revanche historique. La prochaine sera la conquête de tous les pays arabes sunnites, travaillés de l’intérieur par leurs prédicateurs depuis la création de la Confrérie en 1928, par Hassan al-Banna. Ce dernier, par ailleurs grand-père de Tarik Ramadan et père spirituel de la plupart des mouvements islamistes arabes, ambitionnait de rétablir par tous les moyens l’Unité de la Oumma, en fait le Califat islamique, aboli en 1924 par « l’apostat » Atätürk, père de la Turquie moderne laïque.
C’est dans cette perspective historique et idéologique qu’il faut comprendre les dérives liberticides du parti tunisien Ennahda – issu des Frères Musulmans – contre les révolutionnaires laïques et les féministes; les déclarations du Premier Ministre tunisien Jebali sur le “VIème Califat” ou encore la stratégie autoritaire du président égyptien Mohamed Morsi, qui, après avoir soumis durant l’été 2012, l’armée égyptienne à son joug, s’est accordé les pleins pouvoirs et a fait adopter, le vendredi 8 décembre 2012, un décret autorisant l’armée à appliquer la loi martiale et à arrêter les manifestants laïcs opposés à l’adoption d’une Constitution basée sur la charia, soumise à référendum le 15 décembre 2012.
L’inquiétude des militants laïcs, qui se sont fait déjà voler leur révolution, est parfaitement exprimée par Mahmoud Salem (alias Sandmonkey), célèbre blogueur égyptien laïque, dont le comte twitter possède des milliers d’abonnés. Celui-ci explique dans sa « Lettre ouverte aux Etats-Unis d’Amérique », que l’Egypte deviendra une république islamique si la nouvelle Constitution est adoptée. Il rappelle que le fait que la majorité des salafistes milite en faveur de cette Constitution est un signe qui ne trompe pas. Les salafistes ont bien compris que, derrière un habillage démocratique, la Constitution des « Frères » est islamiquement bien corsée, puisqu’elle prévoit que « les principes de la charia constituent la principale source de la législation », principes définis dans l’article 219 renvoyant à la « jurisprudence islamique et aux sources crédibles reconnues par la doctrine sunnite » depuis 1400 ans, ce qui inclut les peines de mort pour l’adultère, l’idolâtrie, l’amputation des mains, le fouet ou la lapidation.
Comme le craignent les laïcs, qui défilent depuis des semaines contre le pouvoir et qui savent que le texte risque d’être approuvé par les masses manipulées, l’Egypte pourrait devenir bientôt un nouveau Pakistan. Au cas où certains compagnons de routes des Frères Musulmans – dont bon nombre de faiseurs d’opinion et orientalistes occidentaux – douteraient des intentions islamistes radicales de Mohamed Morsi, écoutons les propos du Guide suprême des Frères Musulmans d’Egypte : Mohamed Badie, qui a expliqué jeudi dernier, dans son message hebdomadaire, que le but de la Confrérie est « l’instauration d’un régime juste et raisonnable », un « Califat islamique juste ». Quant au Guide suprême adjoint des Frères Musulmans, Khairat el-Shater, chargé par le Conseil d’orientation de la Confrérie de revoir la stratégie du mouvement dans l’ère post-Moubarak, il a précisé ce que veut dire un « régime juste et raisonnable », dans son discours du 21 avril 2011 : « Notre mission principale et globale est de renforcer la religion d’Allah sur Terre, de développer la Oumma et sa civilisation sur la base de l’islam, et d’amener le peuple à se soumettre à Allah sur Terre (…) Le rétablissement de l’islam dans sa conception englobante ; l’islamisation de la vie ; le règne de la religion d’Allah ». Mais pour comprendre encore mieux la stratégie « progressive » des « Frères » dans les pays arabes comme en Europe, la suite du discours est précieuse : « La méthode des Frères pour réaliser cette mission globale nous a été enseignée : l’imam Al-Banna (qu’il repose en paix), par sa compréhension de la méthode du Prophète (PSL), a défini un certain nombre d’étapes et d’objectifs secondaires qui, une fois accomplis, aboutiront à la réalisation de cette mission globale. (…) Il faut commencer par construire l’individu musulman, la famille musulmane, la société musulmane, le gouvernement islamique, l’Etat islamique global (Califat) et le statut d’Ustathiya (supériorité ou éminence de la société islamique parmi les nations) de cet Etat. Alors la mission globale sera réalisée, à savoir la toute-puissance de la religion d’Allah. (…) Il s’agit d’un projet global connu sous le nom de Projet islamique » (Source : Khairat al-Shater on « The Nahda Project », cf traduction par le Hudson Institute, 10 avril 2012).
Ces phrases font froid dans le dos de ceux qui croient encore que les « Frères » ont « changé » ou qu’ils sont de simples « conservateurs ». Car leur univers réel est celui, « englobant », du totalitarisme, en tant que système politico-religieux total qui régit toutes les sphères de la vie des hommes et qui ambitionne de dominer politiquement et non pas seulement religieusement l’univers par tous les moyens. Ces moyens comprennent le double discours, l’instrumentalisation des droits de l’Homme ou de la démocratie, etc. car dans le totalitarisme, la fin justifie les moyens. Et comme les deux précédents, le rouge et le brun, le totalitarisme vert des Frères Musulmans fonctionne au carburant de la haine de l’autre et des minorités maléfiques désignées à la vindicte populaire : les Juifs, complices des sionistes israéliens, et ennemis de l’islam ; les « mauvais musulmans », « traîtres à la Oumma », et bien sûr les chrétiens autochtones, « complices des croisés ». Pas de surprise donc à ce que les dignitaires des « Frères » désignent depuis quelques temps les chrétiens coptes comme les boucs émissaires (coupables de diffuser les caricatures anti-islam, etc) et incitent de plus en plus explicitement, à la violence contre eux. C’est ainsi que la chaine des « Frères », Misr25, a accusé l’Eglise copte égyptienne d’avoir organisé les manifestations anti-Morsi, affirmant que les Coptes forment 60% des opposants et que des armes utilisées contre les manifestants provenaient d’un quartier chrétien…
En fait, la différence entre les islamistes-salafistes radicaux et les Frères Musulmans n’est pas une différence de nature mais de degrés. Mais sur le fond, les Frères et les salafistes ont les mêmes objectifs, les mêmes méthodes et les mêmes ennemis bouc-émissaires : ils rêvent tout deux de rétablir un jour le Califat sunnite qui règnera sur l’Univers; ils veulent tout deux renverser les régimes nationalistes-laïcs ou chiites puis appliquer la Charià sunnite orthodoxe, et ils sont obsédés par la lutte contre le “blasphème” et “l’islamophobie”, prétextes à leurs violences et lois liberticides. Ils accusent en permanence les “traîtres” à l’islam, les “apostats” ou les chrétiens arabes d’être de “mauvais citoyens” et d’“insulter l’islam” et ils veulent tous remettre les femmes “à leur place” et les couvrir, etc. En Egypte, ils soutiennent la même Constitution chariatique voulue par Morsi et les « Frères ». Mais il n’y a pas de surprise à cela, puisque, contrairement à une idée reçue, les Frères ne sont pas tant opposés au salafisme, leur idéologie de référence s’appelant… la salafiya (c.a.d, salafisme)…
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Alexandre del Valle. L’article original peut être consulté ici.
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