lundi 5 août 2013

La guerre des taupes et des faucons

Le colonel syrien est encore stupéfait. Il dirigeait les opérations au deuxième étage d'un immeuble dans l'est de Damas, quand il a entendu une fusillade: les rebelles venaient de pénétrer par un tunnel dans son quartier général.
"A un étage près, je ne serais pas là pour raconter cette attaque", assure-t-il. Les insurgés ont tué au total 12 soldats au rez-de-chaussée et au premier étage avant de battre en retraite sous le feu adverse.
Le tunnel souterrain faisait 320 mètres de long et reliait Qaboun à Jobar, deux quartiers rebelles de la capitale.
"Il mesurait deux mètres de haut et trois mètres de large. Grâce à l?électricité de la ville, il était éclairé par des néons et aéré avec des ventilateurs", raconte un journaliste qui s'est rendu à l'intérieur.
"C'est la guerre des taupes contres les frelons", explique un homme d'affaires de Damas.
Comme les taupes, les rebelles ont choisi de creuser ces galeries sous la ville pour transporter des armes, mouvoir leurs combattants, préparer leurs explosifs à l'abri des frelons, c'est-à-dire des avions, des hélicoptères et des tanks de l'armée.
A Khaldiyé, quartier rebelle de Homs repris la semaine dernière par l'armée, le lieutenant-colonel Ali avoue aussi avoir évité de peu une attaque.
"En prenant ce quartier, nous avons découvert un tunnel qui aboutissait quasiment sous le bâtiment de commandement. Nous serions arrivés dix jours plus tard, notre sort était scellé", dit-il.
"Nous étions dans un immeuble et nos adversaires dans un autre. Ils construisaient leur tunnel et j'entendais le bruit de leur machine en action. Ils se préparaient à faire exploser une énorme charge sous nos pieds comme ils l'ont fait à Qousseir", une localité proche reprise en juin par le régime.
Le 3 septembre, les rebelles avait détruit de cette manière l'hôpital général de Qousseir aux mains du régime. Une vidéo filmée a montré des rebelles descendant dans une galerie étroite de 200 mètres de long pour y déposer les explosifs.
Une autre vidéo postée en 19 mars a montrait des hommes armés tirant et lançant des bombes incendiaires contre un bâtiment dans le camp de Yarmouk à Damas,après avoir rampé dans un boyau étroit dont le sol était tapissé de couvertures.
Selon un expert militaire occidental, c'est surtout le mouvement chiite libanais Hezbollah, allié du régime devenu expert dans ces tactiques lors de sa guerre contre Israël en 2006, qui est chargé de débusquer les galeries à Damas et à Homs.
Militaires comme militants racontent que les tunnels sont creusées parfois à la main, mais plus généralement grâce à des foreuses. "Il s'agit de petites machines munies de deux forets pouvant excaver plusieurs mètres par jour", explique un officier.
"Il faut ensuite renforcer les galeries, et pour cela ils utilisent des otages en leur promettant la liberté", assure-t-il.
"C'est faux, ce sont nos hommes qui creusent et si un groupe a pu utiliser des prisonniers, ce n'est absolument pas une pratique généralisée", réplique Ahmad al-Khatib, un responsable de la Commission générale de la révolution syrienne, un important groupe de militants anti-régime.
"En tout cas, ces tunnels sont bien pratiques car grâce à eux, nous pouvons éviter les tireurs embusqués et aller où nous voulons. C'est surtout dans les provinces de Homs et de Damas qu'il y a le plus de galeries", ajoute-t-il.
Il existe des tunnels de plus de 700 mètres de long, comme dans la région d'Adra, au nord-est de la capitale, assure ce militant.
A Homs, les rebelles ont également utilisé d'énormes canalisations, installant même un hôpital de campagne dans l'une d'elles.
Selon un responsable au sein des services de sécurité, les insurgés ont appris ces techniques auprès de militants du Hamas, qui avaient eux-mêmes été formés, du temps de la lune de miel entre Damas et le Hamas, par une organisation palestinienne pro-Assad ayant suivi un entraînement en Corée du Nord.
Mais Ahmad al-Khatib balaie ces affirmations d'une plaisanterie: "Le fait de manger des nouilles ne fait pas de moi un Chinois. C'est la nécessité qui stimule la créativité".

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire