Atlantico : La Chine est désormais le pays qui compte le plus de chercheurs au monde, devant l'Europe et les États-Unis. 19,7 % du total mondial en 2007. Les statistiques chinoises évoquent 1,592 millions de chercheurs en 2008. Quelle force de frappe scientifique cela confère-t-il au pays ?
Jean-Paul Baquiast : Les statistiques sont difficiles à interpréter, à supposer qu’elles soient exactes. Quelle est la qualification des chercheurs qu’elles désignent ? Voyez le classement de Shanghai des universités qui met la France à un niveau sans doute trop bas. Ceci dit, il est exact que la Chine ambitionne de devenir 1e au monde en recherche-développement, et qu'elle met en priorité de ses objectifs, dans un premier temps, le facteur humain. D'où un effort au moins quantitatif bien supérieur au nôtre. Cela lui confère, depuis déjà quelques années, une force de frappe en devenir qui est sans égale.
La Chine est-elle la puissance scientifique de demain ? A quelles conditions pourra-t-elle le devenir ?
Tout dépendra évidemment de ce que pourra ou voudra faire le reste du monde. Pour les USA, l'enjeu de rester les premiers est présenté – et généralement admis – comme vital. L'Europe en général et la France en particulier, semblent indifférentes – y compris dans le domaine de l'espionnage scientifique abondamment pratiqué chez nous par les Américains. La Russie et les autres pays du BRICS, hors la Chine, ne sont plus encore, ou pas encore, dans la course. Mais ils essaieront, contrairement à l'Europe, d'améliorer leurs performances.
Selon la BBC, la Chine dispose de l'ordinateur le plus puissant du monde : le Tianhe-2 (les n°2 et 3 sont aux Etats-Unis), dont la capacité de calcul est de 54.900 trillions d'opérations par seconde. Quels sont les moteurs, les domaines où la Chine a marqué des progrès déterminants, voire pris une certaine avance ?
La puissance n'est pas tout, mais aussi la capacité de travailler en réseau, sur des données recueillies à très grande échelle. A cet égard on a découvert récemment que les USA avaient accumulé, par divers procédés, des données en masse (big data) dans la plupart des domaines de la R/D, leur conférant un avantage énorme, que n'ont pas les Chinois. Ils ne les partagent pas, contrairement à ce qui se faisait traditionnellement dans le champ de la recherche scientifique. La Chine n'a pas cette capacité de recueillir des données en masse. Par contre elle n'hésite pas à s'informer, y compris par un espionnage « humint » mais aussi de plus en plus technologique.
On remarque qu'en Europe, les dépenses consacrées aux budgets de recherche et aux universités ne croissent plus d'une année sur l'autre, et ceci depuis des décennies. Par contre, selon l'OECE, les dépenses de la Chine évaluées en termes de Recherche et Développement ont crû de 1995 à 2006 de 18 % par an. Comment expliquer cette rapidité du rythme de croissance des recherches scientifiques chinoises ? Quel est le budget des dépenses ?
Le désintérêt de l'Europe signe évidemment sa volonté de suicide dans tous les domaines. Les dépenses de R/D chinoises marquent au contraire une forte volonté politique, partagée par les quelques 300 millions de chinois influents, à venir au premier rang. D'où un rythme accéléré de croissance de l'enseignement supérieur et de la recherche. Sur 20 ans sinon avant, ils y arriveront sans doute. Ceci il est vrai (mais qu'importe à leur yeux) se paye par le maintien dans le sous-développement de quelques 500 millions de chinois ruraux et suburbains.Je n'ai pas d'informations sur les budgets chinois exacts. Vous savez qu'en ce domaine, on raconte un peu ce qui arrange le mieux.
Le nombre des étudiants chinois est passé de 5 millions à 25 millions ces dernières années. La Chine dispose maintenant de 1 700 établissements d'enseignement supérieur. Quel rôle a été conféré à l'enseignement supérieur dans ce processus de développement scientifique ?
Un rôle important, mais difficile à évaluer. Il ne faut pas oublier les grands programmes publics, dont le plus emblématique est la course à l'espace, les dépenses d'infrastructures (notamment dans les technologies de communication) et surtout les budgets militaires covert, qui ne sont étudiés ici que par de rares spécialistes.
On parle beaucoup de "Circulation des cerveaux". La diaspora scientifique chinoise, dont le retour est encouragé par Pékin, a-t-elle joué un rôle fondamental dans la progression scientifique chinoise ?
Un rôle qui a été essentiel au début, et qui demeure très important. On a estimé que 40 % des chercheurs américains sont chinois ou apparentés, avec l'espionnage intellectuel qui en découle. Beaucoup d'entre eux semble-t-il seraient prêts à retourner en Chine si des conditions favorables leur étaient offertes. Ceci mettrait momentanément à mal une partie de la science américaine, notamment celle localisé sur la côte W.
En France, les universitaires avertis vous diront que la plupart des stagiaires chinois passent essentiellement leur temps à s'initier aux recherches en cours, sans rien apporter de précis. Ce qui n'est pas le cas aux US.
L'ouverture des frontières (programmes de coopération avec d'autres pays, collaboration avec des chercheurs étrangers) a-t-elle été garante de ce succès ?
Certainement pas. L'Empire du Milieu reste un des plus secrets du monde. On le comprend d'ailleurs, quand on découvre l'ampleur de l'espionnage américain (dit plus gentiment cyberware) sur les partenaires, à coté duquel l'espionnage chinois est semble-t-il peu de chose.
Quelle attitude les pays développés peuvent-ils adopter face à ce développement rapide ? Doivent-ils favoriser les échanges de scientifiques et les actions communes, au risque de se laisser déborder par des partenaires plus dynamiques ?
La première réaction devrait, notamment en Europe, d'investir beaucoup plus en interne dans les grands programmes, universitaires mais aussi industriels. Voyez que tandis que la Chine est en train de gagner la course à la Lune puis à Mars (ou Phobos) l'Europe est est encore à positionner son 3e satellite de géolocalisation Galiléo.
Les médias et derrière eux les politiques n'ont qu'un thème favori, le science bashing. Et cela marche bien, car le public est incapable de prévoir ce qui lui pend au nez, si vous me permettez l'expression. Un Hollande, un Montebourg, se préoccupent de tea shirts mais ignorent les enjeux de l'ordinateur quantique, dont on parle ces jours-ci. Il en est de même d'un Copé ou d'un Bayrou.
Sur une telle base d'ignorance et de naïveté, comment voulez vous, en France tout au moins, soutenir des coopérations scientifiques, notamment avec la Chine, qui n'intéresseraient que des collectivités locales à la recherche d'un peu d'activité ?
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