Le président du Kurdistan, Massoud Barzani, a déclaré, quelques semaines avant le référendum sur l’indépendance des Kurdes irakiens, prévu pour le 25 septembre 2017, que toute alternative au référendum, sous forme d’accord entre le Kurdistan et Bagdad, devrait inclure des garanties internationales. Barzani a déclaré qu’une réduction du budget alloué au Kurdistan par le gouvernement irakien « équivaut à une seconde campagne d’Anfal [génocide des Kurdes] » et a démenti la vente de pétrole par le Kurdistan.
Barzani a précisé qu’un Etat kurde ne serait pas un foyer national pour les Kurdes uniquement, mais qu’il accueillerait d’autres religions, nationalités et ethnies, et qu’il n’interviendrait pas dans les affaires des Kurdes ailleurs dans le monde. L’interview a été diffusée sur la chaîne Al-Arabiya le 7 septembre. Extraits :
Massoud Barzani : La décision [de tenir un référendum] est juste et appropriée. C’est le droit légitime des Kurdes. Nous avons essayé d’offrir la possibilité et le temps nécessaire à toutes les parties de créer un véritable partenariat à Bagdad. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à établir un tel partenariat. Par conséquent, nous avons été forcés de prendre cette décision. […] Dans nos réunions avec des représentants [internationaux], personne ne s’est prononcé contre le référendum ou contre le peuple du Kurdistan. Ce qu’ils ont dit, c’est que ce n’était pas le bon moment.
Journaliste : Parce que la guerre contre l’EI n’est pas terminée…
Massoud Barzani : La guerre contre l’EI n’est pas terminée, et un référendum pourrait détourner l’attention de la guerre contre le terrorisme. Mais en aucun cas, nous n’acceptons ces prétextes.
Journaliste : Jusqu’à présent, la position de Bagdad sur le référendum a été négative.
Massoud Barzani : Certes, mais nos frères à Bagdad ne devraient pas nous blâmer. Ils devraient se blâmer eux-mêmes pour ce résultat. […] Nous disons à ceux qui nous demandent de reporter le référendum : proposez-nous une alternative. Quelle proposition devons-nous envisager ? Tout accord entre le Kurdistan et Bagdad doit inclure des garanties internationales. […] Dans les années 1920, nous avons voté pour rejoindre l’Irak, à condition d’être des partenaires. Qu’avons-nous gagné de ce partenariat depuis les années 1920, et jusqu’à 2003 ? 4 500 villages kurdes ont été effacés.
Journaliste : Par qui ?
Massoud Barzani : Par le régime Baath.
Journaliste : Le régime de Saddam ?
Massoud Barzani : Oui. Même avant Saddam, les droits des Kurdes et le principe du partenariat étaient ignorés. Les régimes précédant Saddam ne les respectaient pas non plus. […] Le régime Baath a eliminé 4 500 villages. Ils ont commencé avec les Kurdes Feylis [chiites]. 12 000 Feylis, âgés de 18 à 30 ans, ont été tués. Ils ont disparu. Ils ont tué 8 000 membres de la tribu Barzani.
Journaliste : Votre propre tribu et votre famille.
Massoud Barzani : Oui. Lors de la campagne d’Al-Anfal de 1988, 182 000 citoyens ont diparu, dont 70 % de femmes et d’enfants. Puis est venue l’attaque chimique contre Halabja et tous les villages à la frontière jusqu’à Zakho. Rien qu’à Halabja, il y a eu 5 000 martyrs, dont 85 à 90 % de femmes et d’enfants. […] La réduction de notre budget par le gouvernement irakien équivaut à une deuxième campagne d’Anfal. Comment un Premier ministre peut-il faire une chose pareille ? Sur la base de quelle clause de la constitution ? Qui lui a donné le droit d’agir ainsi ? Même s’il y avait des désaccords entre le Kurdistan et Bagdad, comment pouvait-il se permettre de couper les moyens de subsistance de toute une nation ? Le prétexte qu’ils ont essayé de diffuser n’est pas fondé…
Journaliste : Que vous vendiez du pétrole seuls…
Massoud Barzani : Nous n’avons commencé à vendre du pétrole qu’après les coupes budgétaires. […] Nous avons convenu de créer un État fédéral, démocratique et laïc, mais maintenant, nous vivons dans un Etat religieux et communautariste. […]
Journaliste : Après le renversement du régime de Saddam Hussein en 2003, le Kurdistan est devenu un État pratiquement indépendant. Pourquoi insisterez-vous toujours sur ce référendum ? Le référendum vous apportera-t-il quelque chose que vous n’avez pas déjà ?
Massoud Barzani : Nous avons eu une expérience amère, et nous ne voulons pas réitérer cet échec. C’est le contraire qui est vrai : nous étions un Etat quasiment indépendant, et après l’effondrement du régime Baath, notre peuple et notre parlement ont volontairement choisi de rejoindre l’union avec Bagdad. Nous avons renoncé à notre indépendance, et ce fut peut-être une erreur. Nous avons commis une erreur.
Journaliste : Donc avant 2003, vous étiez plus indépendants qu’aujourd’hui ?
Massoud Barzani : Bien sûr. Nous avons choisi de rejoindre l’union avec Bagdad, car nous y voyions l’occasion de construire un nouvel Irak démocratique et fédéral. Malheureusement, nous nous sommes heurtés à de la procrastination et à une dérobade inattendue. Au bout du compte, nous avons compris que nous avions affaire à la même vieille culture du refus de l’autre. […]
Journaliste : Quels sont les scénarios post-référendum possibles ? Déclarerez-vous un Etat indépendant le lendemain ?
Massoud Barzani : Non. Nous nous engagerons dans de sérieuses négociations avec Bagdad sur toutes les questions.
Journaliste : Mais vous êtes déjà engagés dans de sérieuses négociations…
Massoud Barzani : Avant et après le référendum, les négociations se poursuivront. Nous rejetons catégoriquement la violence et poursuivrons les négociations avec Bagdad sur tous les sujets.
Journaliste : Alors, en quoi le référendum influera-t-il sur les négociations ? Vous négociez avant le référendum et négocierez après ; qu’est-ce qui va changer ?
Massoud Barzani : Les Kurdes auront leur mot à dire et détermineront leur avenir par eux-mêmes. Ils transmettront le message suivant à la région et au monde : « Nous voulons l’indépendance, et les négociations porteront désormais sur l’indépendance, et non sur les avantages ou les emplois ministériels. […] Je crois que la création d’un Etat kurde – ou d’un Etat « du Kurdistan », pour être précis – contribuera à renforcer la sécurité et la stabilité dans la région.
Journaliste : Quelle est la différence entre un Etat kurde et un Etat « du Kurdistan » ?
Massoud Barzani : Un Etat kurde serait l’État national des Kurdes, tandis qu’un Etat « du Kurdistan » incluerait chrétiens, Assyriens, Chaldéens, Turkmènes, Arabes… Ce ne sera pas un Etat-nation purement kurde. […]
Journaliste : Cet Etat constituera-t-il un centre pour tous les Kurdes du monde ? Sera-t-il semblable à l’Etat d’Israël, qui a rassemblé tous les Juifs du monde sur ce que les Juifs considèrent comme étant la « Terre promise » ? Rassemblerez-vous les Kurdes de Turquie, de Syrie, d’Iran, d’Irak et d’autres pays ?
Massoud Barzani : Je garantis qu’il n’y aura pas d’ingérence dans les affaires des Kurdes qui se trouvent ailleurs dans le monde. Nous les encourageons à utiliser des moyens pacifiques et démocratiques pour parvenir à des accords avec les pays dans lesquels ils vivent, mais nous n’adopterons pas de feuille de route pour eux et n’interviendrons pas dans leurs affaires. […]
Journaliste : Vous avez dit qu’il y aurait des élections présidentielles en novembre, après le référendum. Serez-vous candidat ?
Massoud Barzani : Non.
Journaliste : Vous n’y participerez pas ?
Massoud Barzani : Absolument pas.
Journaliste : Après le référendum, vous vous départirez de votre rôle politique de président ?
Massoud Barzani : Mon objectif principal, depuis que j’ai pris les armes quand j’étais jeune homme, en 1962, a été d’obtenir l’indépendance pour mon peuple. Quand ce but sera atteint – et nous en sommes tout près – ma mission sera accomplie.