Ardavan Amir-Aslani est avocat au Barreau de Paris. Il conseille les entreprises françaises et étrangères dans leurs opérations de fusions-acquisitions transnationales ainsi que les grands fonds d’investissement. Il intervient dans le domaine du droit public international et représente plusieurs Etats à travers le monde.
Il est auteur d’essais dont le dernier : Iran-Israël, Juifs et Perses a été publié chez Nouveau Monde Editions (mars 2013). Il anime un blog et un compte twitter @a_amir_aslani.
La Turquie veut se lancer dans la reconquête économique et idéologique des pays qui ont déjà vécu leur "printemps arabe", et de ceux susceptibles de connaître le même sort. Un enjeu qui dépasse de loin celui de l'adhésion du pays à l'Union européenne.
L'adhésion de la Turquie à l'Union européenne n'est plus la première priorité du pays.
Depuis le « printemps arabe » l’on entend de moins en moins les responsables turcs réitérer avec l’insistance d’autrefois leur demande d’adhésion à l’Union européenne. Non guère que l’Europe ne les intéresse plus, loin s’en faut, mais parce que les nouveaux enjeux du monde arabe dépassent de loin une adhésion qu’ils attendent depuis 1987 et dont la validation n‘est plus vraiment une urgence stratégique. Cette adhésion n’étant plus hypothétique, la Turquie rejoindra l’Europe, mais cette fois-ci, pas avec son poids de pays membre, mais avec son statut d’empire !
C’est que pour la Turquie, l’urgence est aujourd’hui à la conquête économique et idéologique des pays qui ont déjà connu leur « printemps arabe » -la Tunisie, la Libye, l’Egypte, le Yémen et dans une certaine mesure le Maroc- ainsi que des autres pays qui sont susceptibles de connaître le même sort, notamment l’Algérie, la Jordanie et certaines monarchies du Golfe Persique. Plus exactement reconquête, puisqu’à l’exception du Maroc, l’ensemble des pays du monde arabe étaient jusqu’aux années vingt sous la domination de l’Empire Ottoman. Cet intérêt subit et enthousiaste pour les pays du « printemps arabe » n’a pas échappé à la sagacité de certains analystes qui n’hésitent pas à parler d’une ambition impériale néo-ottomane, permettant à la Turquie de devenir un acteur majeur de la scène mondiale, après avoir été longtemps une puissance régionale.
Dans cette nouvelle ambition, que Washington ne voit d’ailleurs pas d’un mauvais œil, la Turquie n’a pas manqué de mettre en avant ses multiples atouts : sa réussite économique, sa république laïque, ses bonnes relations avec Israël, son siège au sein de l’OTAN et surtout sa propriété du brevet de l’islamisme « modéré ». Le régime d’Ankara passe, en effet, pour être la figure emblématique et paradigmatique de l’islamisme « modéré », dont se sont instantanément réclamés les Frères musulmans en Egypte et Ennahda en Tunisie. Mais la question qui se pose, et qui est d’ordre beaucoup plus philosophique que politique, est la suivante : l’islamisme turc est-il « modéré » par essence idéologique ou par pragmatisme politique ? En d’autres termes, est-ce par maturité intellectuelle et révolution théologique que l’AKP est devenu ce bon modèle de l’islamisme « modéré » ? Ou est-ce par dépit et contrariétés sociologique, historique et politique, eu égard à l’ancrage et à l’antériorité de la laïcité par rapport à l’islamisme ?
Cette question est déterminante car, à supposer que l’islamisme turc soit intrinsèquement modéré, les conditions historiques, psychologiques et sociologiques de cette modération n’existent pas en Tunisie - nonobstant l’héritage bourguibien -, ni en Egypte, encore moins en Libye ou au Yémen. L’exception turque n’est pas un fait d’Erdogan mais un forfait de Mustapha Kemal, qui a imposé la laïcité par jacobinisme et qui a aboli le califat en 1924. Cette question est d’autant plus cruciale que la Turquie n’est pas le seul pays à cultiver cette vieille ambition panislamiste. Elle est concurrencée par trois autres modèles : le wahhabisme rigoriste saoudien, le wahhabisme aseptisé qatarien et le pan-chiisme de l’Iran.
C’est précisément entre l’Iran et la Turquie qu’un conflit d’intérêt, d’influence et de leadership pourrait atteindre son paroxysme dans les années et peut-être bien dans les mois qui viennent. Ce conflit est d’ores et déjà en acte en Syrie, par-delà le paravent médiatique qui le dissimule à peine et dont on ne veut laisser apparaitre que l’antagonisme manichéen entre une dictature accusée de tous les péchés et une opposition parée de toutes les vertus. Un tel conflit est possible et même souhaitable pour certaines puissances. La géopolitique n’est intelligible qu’à la lumière de l’histoire : dès sa naissance au tournant du XVIème siècle, la dynastie Safavide a été constamment en conflit avec l’Empire Ottoman. C’était déjà une guerre de leadership entre sunnisme et chiisme, dont profitaient d’ailleurs les empires européens.
http://www.atlantico.fr/decryptage/pourquoi-turquie-ne-pourra-pas-profiter-autant-qu-elle-voudrait-printemps-arabes-pour-ressusciter-empire-ardavan-amir-aslani-697943.html#leOTCk1JwYyyz1Ij.99
buck ofama
Une différence fondamentale
L'empire Ottoman, fondé par une poignée de mercenaires turcs imprudemment engagés par les Byzantins, reposait sur une société multiculturelle, pluriethnique, multiconfessionnelle: un "business model" au départ efficace pour conquérir et détruire les petits états féodaux d'Europe Centrale et des Balkans, parfaitement adapté à la colonisation de l'Afrique du Nord et du Moyen Orient, s'est trouvé voué à l'échec face aux identités nationales. La Turquie des Jeunes Turcs, puis d'Ataturk, a choisi le concept inverse pour ne pas disparaître, et inventé la nation turque, au prix du génocide des Arméniens, de l'expulsion des Grecs, de l'écrasement des Kurdes. Kara Mustafa avait attaqué Vienne à la tête des janissaires, troupe d'élite formée de jeunes Chrétiens convertis de force: on voit mal Erdogan se lancer dans une nouvelle aventure impériale dont l'idéologie serait le nationalisme turc, avec un peuple entré dans le 21°siècle et l'économie de marché.
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