jeudi 12 décembre 2013

Afghanistan : Hamid Karzai, le collaborateur qui résiste…

Journaliste, écrivain.
Nicolas Gauthier est auteur avec Philippe Randa des Acteurs de la comédie politique. 29 € À commander en ligne surfrancephi.com.
Du même auteur
Ce qu’il y a de fascinant, dans la diplomatie américaine, c’est ce mélange de cynisme roué et d’angélisme béat. Et aussi cette propension à s’auto-intoxiquer par sa propre propagande. Ainsi, après les attentats du 11 septembre 2001, les USA sont-ils partis en « guerre contre le terrorisme », concept qui fait se gondoler chancelleries et services spéciaux.
Cynisme ? Faire croire à leurs alliés occidentaux, plus ou moins consentants, que le salut du monde libre se jouait dans ces zones tribales afghano-pakistanaises, alors qu’il s’agit seulement pour les USA de reprendre pied en Afghanistan, pays stratégique de la région, là où tous les grands empires se sont cassé les dents. Et qui se trouve au cœur des réseaux d’approvisionnement énergétique de demain.
Angélisme ? Croire – auto-intoxication, toujours – que les Afghans sous régime taliban étaient assimilables aux Européens de l’Est sous joug soviétique, erreur déjà commise en Irak, lors de la seconde guerre du Golfe, en 2003. Imaginer que la politique de la canonnière ramènera ces braves gardiens de chèvres dans ce système que la galaxie entière nous envie : la démocratie à l’américaine, avec éléphants d’un côté et ânes de l’autre…
Aujourd’hui ? Hamid Karzai, le président afghan installé par la force des baïonnettes américaines – son péché originel, un peu comme un Louis XVIII revenu dans les fourgons anglais –, rechigne à signer cet accord américano-afghan au terme duquel les troupes américaines pourraient continuer à camper dans son pays après échéance de 2014. Pourquoi ? Il s’en explique dansLe Monde de ce 10 décembre : « Les Américains agissent en puissance coloniale. » Principal reproche, la manière dont cette armée se conduit là-bas, bombardant des villages entiers parce qu’une trentaine d’hommes tirent des coups de fusil en l’air ; alors qu’il ne s’agit que de la coutume lors d’un mariage, détail sociologique dont les GI ignorent tout à l’évidence, au contraire d’une armée française forte de son ancestrale culture coloniale…
Hamid Karzai, donc, surnommé le « maire de Kaboul », parce que ne régnant guère au-delà de son bureau présidentiel, est donc à fois, pour la Maison-Blanche, le problème – son frère est l’un des principaux narcotrafiquants locaux – mais encore la seule solution, même si détestable. Pis, alors qu’il ne peut, constitutionnellement parlant, briguer un troisième mandat, il ne reste plus que lui pour négocier une transition « démocratique » en douceur. En admettant toutefois qu’il puisse exister une démocratie possible en une nation farouche, composée d’ethnies se détestant plus ou moins cordialement, et divisées, qui plus est, en de multiples clans familiaux, eux-mêmes traversés par des sensibilités religieuses différentes.
Dans ce bourbier, Hamid Karzai est donc interlocuteur désormais indispensable. Ce qu’il exige ? La fin des opérations des forces spéciales américaines et un « rôle positif » de ces mêmes Américains dans le processus de paix. En filigrane, on comprend aussi dans cet entretien accordé au Mondeque Karzai, malgré son indéniable faiblesse, demeure le seul à avoir autorité pour faire l’intermédiaire entre les USA et les talibans – en douce, les négociations ont commencé depuis longtemps, malgré les discours incantatoires sur « la guerre au terrorisme » –, tout en ménageant le puissant voisin pakistanais.
D’où cet avertissement en forme de menace à peine voilée : « Les Afghans ne s’inclineront pas. Ils ont déjà battu les colonisateurs. Ils n’acceptent pas cela. Ils sont un peuple honorable… » Si le message n’était pas passé, Hamid Karzai, nous révèle L’Orient-Le Jour, sera reçu ce dimanche à Téhéran. En effet, l’Iran voit d’un fort mauvais œil la présence de troupes chez son voisin afghan.« Nous pensons que cela aura un impact négatif sur les développements régionaux et nous espérons que la décision finale sera en ligne avec les intérêts à long terme de la nation afghane », a déclaré le porte-parole de la diplomatie afghane, Marzieh Afkham. Ou de l’art, éminemment pachtoune, de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Tout le paradoxe d’Hamid Karzai est ici résumé. En cette terre lointaine, il faut savoir collaborer avec l’occupant pour mieux lui résister ensuite. Cela fonctionne depuis Alexandre le Grand. Il n’y a pas de raisons fondamentales que cela ait changé depuis.

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