Pierre Hillard
Outre les tensions multiples au Proche-Orient, l’aggravation économique en Europe, le développement d’une bulle financière aux États-Unis, sans oublier le décalage complet entre le casino de Wall Street et l’économie réelle doublée d’une prolifération cancéreuse du« quantitative easing » (appelé aussi « planche à billets »), la situation très tendue entre la Chine et le Japon est minorée dans les médias français. Et pourtant, l’étude de ces événements est de première importance car, dans les affaires de ce bas monde, tout est lié.
L’opposition violente entre ces deux pays concerne un enjeu territorial : le contrôle des îles Senkaku (appelées « Diaoyu »par les Chinois) en mer de Chine orientale. Composé de cinq îles et de trois rochers inhabités, cet archipel de 7 km² est revenu au Japon après la défaite de la Chine en 1895. Occupé par les États-Unis en 1945, il est restitué au pays du Soleil-Levant en 1971 suite à un accord qui, selon les volontés américaines, ne mentionne pas explicitement le nom de ces îles.
Cet accord est immédiatement dénoncé par Pékin. Il l’est d’autant plus que la Chine s’est lancée dans une vaste campagne de modernisation de sa marine militaire, classée désormais troisième derrière celle des États-Unis et de la Russie. L’objectif des autorités pékinoises consiste à établir un contrôle complet, à plus ou moins long terme, sur toutes les îles parsemant sa façade maritime comme Taïwan, les îles Paracels, l’archipel des Spratleys ou encore les îles Pratas, marchepied pour un meilleur contrôle des voies de communication, en particulier l’énergie. D’une certaine manière, une « Mare Nostrum » chinoise doit s’imposer dans la région.
Afin de parer à cette extension, les États-Unis utilisent une tenaille géographique capable de contenir cette politique : l’Inde et le Japon. Entre ces deux piliers de la politique américaine, une série de pays enserrent le sud et la côte est de la Chine. Cette action est propre à la géopolitique classique anglo-saxonne gérant l’opposition entre la terre et la mer, l’ensemble se traduisant par des mesures d’endiguement, du contrôle des côtes, principes défendus par des géopolitologues comme Alfred Mahan, Halford Mackinder et Nicholas Spykman.
L’instauration d’une zone aérienne d’identification par la Chine, le 23 novembre, dans toute cette région exacerbe encore plus les tensions avec le voisin japonais. D’autant plus que les Américains ont envoyé, fin novembre, leurs avions B-52 survoler ledit territoire sans avertir Pékin. Les discussions entre les autorités chinoises et le vice-président Joe Biden n’ont rien donné, conduisant le représentant américain à rappeler : « Nous, les États-Unis, sommes profondément inquiets des tentatives de modifier de manière unilatérale le statu quo en mer orientale de Chine. » Un véritable dialogue de sourd s’est instauré au point que l’organe officiel chinois, China Daily, a exigé que les États-Unis arrêtent de soutenir le Japon cherchant à pratiquer une« politique dangereuse et casse-cou ».
Une telle tension, en dehors des aspects stratégiques susmentionnés, s’explique aussi en raison des richesses naturelles en mer de Chine orientale. En effet, on estime la présence de vastes champs d’hydrocarbures entourant les îles convoitées. Certaines zones sont déjà exploitées par la « China National Offshore Oil Corporation » (CNOOC) comme les champs de gaz de Chunxiao/Shirakaba. Avec la fermeture de certaines centrales nucléaires suite au drame de Fukushima, le Japon est encore plus dépendant de l’énergie que la Chine. Tokyo ne veut donc pas lâcher prise, surtout – comme le rappelle « l’Agence d’information énergétique américaine » (EIA) dans un rapport d’octobre 2012 – que 60 à 100 millions de barils de pétrole et 100 à 200 millions de mètres cubes de gaz tapissent toute la zone.
L’appui des États-Unis au Japon n’est pas sans risque. N’oublions pas que la Chine détient près de 1.300 milliards de bons du Trésor américain et que sa banque centrale n’a pas hésité à affirmer qu’il n’était plus la peine d’accumuler des réserves de devises étrangères estimées à 3.660 milliards de dollars au troisième trimestre 2013. Ces réserves étant essentiellement libellées en dollars, la Banque centrale de Chine a tout simplement annoncé qu’elle tournait le dos au billet vert et dans l’avenir, comme le suggèrent certains analystes, aux bons du Trésor US. Parmi les nombreux éléments condamnant la monnaie américaine, les événements en mer de Chine orientale pourraient constituer l’un de ceux contribuant à la fin d’un système financier né en 1945.
Les réserves en devise de la Chine [dont seulement la moitie est investie en obligations d’état] ont été accumulées pour empêcher le Yuan de s’apprécier. Si la Chine laisse flotter le Yuan comme il semble qu elle soit sur le point de le faire alors ses réserves diminueront mécaniquement mais son excédent commercial aussi.
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