« Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus d’association, et que la religion soit entièrement à Allah. ».
Un portrait des combattants étrangers de l’insurrection en Syrie
La guerre en Syrie a entraîné l’intervention de milliers de combattants étrangers qui sont venus soutenir les insurgés luttant contre Bachar el-Assad. L’attention des Occidentaux se focalise, bien sûr, sur ceux qui viennent combattre auprès des groupes liés à al-Qaïda, et qui pourraient éventuellement constituer une menace dans ces pays, mais c’est aussi oublier que l’intervention étrangère est sans doute bien plus considérable en faveur de Bachar el-Assad2. Cet article se propose d’esquisser un portrait d’ensemble du phénomène des combattants étrangers qui sont venus se battre en Syrie du côté de l’insurrection, de façon à démonter quelques idées reçues et à fournir des exemples circonstanciés qui aident à mieux saisir la réalité du phénomène, à partir de sources fiables.
« Les volontaires étrangers en Syrie, combien de divisions ? »
En Europe, l’afflux de volontaires aux côtés des rebelles étrangers commence à inquiéter à partir du printemps 2013. The Independant estime que 100 Britanniques sont déjà partis ; le Figaro parle de 50 à 80 Français ; Der Spiegel évoque des douzaines d’Allemands ; et le Jyllands-Poste parle de 45 Danois. Les Pays-Bas haussent leur niveau d’alerte en raison du retour de certains au pays, parmi la centaine ou plus de musulmans qui sont partis combattre en Syrie. A ce moment-là, ce sont entre 140 et 600 Européens environ qui sont déjà allés se battre du côté des insurgés, soit 7-11% du nombre total de volontaires étrangers3.
En avril 2013, Aaron Zelin estimait le nombre total de volontaires étrangers partis en Syrie depuis 2011 à 2 000-2 500, dont 135 à 590 Européens. Il y en avait entre 70 à 441 encore sur place, parmi ces derniers, à ce moment-là. Sur 249 notices de martyrs des groupes djihadistes syriens, seules 8 (3%) concernaient alors des Européens. De fait, les combattants étrangers représentent au maximum 10% de l’insurrection, et probablement moins. En novembre 2013, Thomas Hegghamer parlait de 1 100 à 1 700 Européens de l’ouest partis en Syrie, ce qui d’après lui représente déjà plus que tous les autres contingents des conflits entre 1990 et 2010. Le phénomène, globalement, semble s’accélérer tout au long de l’année 2013.
Nombre de combattants étrangers en Syrie par pays d’origine, estimation des services de renseignement en 20134. A gauche : estimation minimum ; à droite : estimation maximum
France
|
200-400
|
Allemagne
|
200
|
Royaume-Uni
|
200-300
|
Belgique
|
100-300
|
Espagne
|
95
|
Danemark
|
65
|
Bosnie
|
60
|
Autriche
|
57
|
Pays-Bas
|
50-100
|
Italie
|
45-50
|
Norvège
|
30-40
|
Suède
|
30-40.
|
Récemment, le quotidien allemand Süddeutsche5, citant une étude à paraître de The International Centre for the Study of Radicalisation, évoque au total 11 000 combattants étrangers en Syrie, dont 1 800 Européens de l’Ouest (et 240 Allemands). L’étude en question, parue finalement le 17 décembre6, confirme effectivement ces chiffres : 11 000 volontaires étrangers venant de 74 nations différentes depuis 2011 ; le nombre d’Européens de l’Ouest a triplé depuis avril 2013, passant de 600 à plus de 1 900. La fourchette se situe désormais entre 3 300 et 11 000 combattants, et le total est probablement de plus de 8 500. Les Européens de l’ouest constituent désormais 18% du contingent, avec en tête la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. Rapportés à la population totale, les chiffres sont les plus élevés pour la Belgique, le Danemark et les Pays-Bas. Les pays du Moyen-Orient continuent à fournir près de 70% des volontaires étrangers, les plus gros contingents venant de Jordanie, d’Arabie Saoudite, de Tunisie, du Liban et de Libye, mais les chiffres sont ici probablement moins fiables. Les Balkans et les anciennes républiques soviétiques fournissent le dernier gros contingent. En tout cas, malgré cette augmentation, le nombre de combattants étrangers ne représente pas plus de 10% de l’insurrection, qui se monte au moins à 100 000 hommes.
Les combattants étrangers en Syrie, d’après Süddeutsche, citant l’ICRS + l’étude de l’IRCS parue le 17 décembre 2013 (à gauche, estimation basse, à droite, estimation haute).
Jordanie
|
180-2 089
|
Arabie Saoudite
|
386-1 016
|
Tunisie
|
382-970
|
Liban
|
65-890
|
Libye
|
336-556
|
Turquie
|
63-500
|
Egypte
|
119-358
|
Pakistan
|
7-330
|
Algérie
|
68-123
|
Territoires palestiniens
|
74-114
|
Yémen
|
14-110
|
Somalie
|
6-68
|
Irak
|
59-247
|
Soudan
|
2-96
|
Maroc
|
77-91
|
Koweït
|
54-71
|
Afghanistan
|
12-23
|
Bahreïn
|
12
|
Qatar
|
14-15
|
Emirats Arabes Unis
|
14
|
Israël
|
15-20
|
Iran
|
3
|
Mauritanie
|
2
|
Oman
|
1
|
France
|
63-412
|
Royaume-Uni
|
43-366
|
Irlande
|
11-26
|
Belgique
|
76-296
|
Luxembourg
|
1
|
Allemagne
|
34-240
|
Suisse
|
1-8
|
Pays-Bas
|
29-152
|
Kosovo
|
4-150
|
Albanie
|
9-140
|
Espagne
|
34-95
|
Danemark
|
25-84
|
Autriche
|
1-60
|
Bosnie
|
18-60
|
Macédoine
|
3-20
|
Serbie
|
3
|
Bulgarie
|
1
|
Italie
|
2-50
|
Suède
|
39-87
|
Norvège
|
33-40
|
Finlande
|
4-20
|
Australie
|
23-205
|
Canada
|
9-100
|
Etats-Unis
|
17-60
|
Russie
|
9-423
|
Tchétchénie
|
36-186
|
Kazakhstan
|
14-150
|
Kyrgyzstan
|
9-30
|
Chine
|
6-100
|
Du côté des rebelles sunnites, il y a probablement eu en tout au moins 5 000 combattants étrangers, une fourchette plus large menant à 10 000 ou un peu plus, ce chiffre recouvrant tous ceux qui sont arrivés depuis 2011 -beaucoup ont été tués, arrêtés ou sont repartis entretemps7. La mobilisation de ce vivier reste néanmoins sans précédent, même comparée à celle en Irak contre les Américains ou contre les Soviétiques en Afghanistan. La majorité des volontaires vient des pays arabes -Arabie Saoudite, Tunisie et Libye, principalement, avec peut-être un nombre d’Irakiens plus important que ce que l’on peut savoir actuellement. L’Europe occidentale fournit le second plus gros contingent avec en tête l’Angleterre, la France, la Belgique et les Pays-Bas, selon Zelin, au début 2013. Il y a également des volontaires moins nombreux des Balkans, du Caucase, et d’autres régions du monde, soit au total plus de 60 pays d’où viennent ces combattants sunnites. La plupart de ces combattants intègrent les factions islamistes les plus radicales, en premier lieu l’EIIL et le front al-Nosra, mais également des groupes salafistes comme Ahrar al-Sham. Ils constituent aussi une bonne partie des groupes armés liés de près ou de loin à l’EIIL ou à al-Nosra comme l’Armée Muhajirin wa-Ansar, les bataillons Suqqour al-Ezz, le mouvement Sham al-Islam, le bataillon Vert, la brigade Umma et le Jund al-Sham.
La plupart des volontaires étrangers ont peu d’expérience et passent d’abord par des camps d’entraînement. Quelques-uns ont pu déjà être formés dans des camps en Afrique du Nord, comme ceux mis en place par Ansar al-Sharia en Libye ou d’autres milices islamistes. Il y a également, cependant, des vétérans d’Afghanistan, de Bosnie, de Tchétchénie, du Yémen et de la Libye. La majorité des djihadistes syriens ou étrangers considère les Tchétchènes comme les plus expérimentés, après vingt ans de guerre contre la Russie. Mais les volontaires caucasiens viennent surtout d’Europe et ont aussi peu d’expérience que les autres, généralement. Ceux qui sont intervenus en premier sur le champ de bataille ont eu souvent le plus d’impact. L’armée Muhajrin wa-Ansar, liée à l’EIIL, a ainsi joué un rôle clé dans la prise de la base aérienne de Minnagh, en août 2013. D’autres formations de volontaires étrangers ont attaqué furieusement dans la région de Lattaquié, en plein coeur du pays alaouite, procédant d’ailleurs à des nettoyages de population dans les zones conquises8. La brutalité du régime de Bachar el-Assad a probablement entraîné une radicalisation de ceux qui sont venus combattre en Syrie. En outre, les djihadistes étant mieux financés que les autres acteurs de l’insurrection, ils ont beaucoup plus attiré. Il semblerait que les combattants tunisiens, profitant de l’expérience d’Ansar al-Sharia, aient contribuer à préparer un programme de prosélytisme (dawa) pour l’EIIL. Ce programme vise à briser l’image négative qu’a l’organisation depuis la guerre en Irak et à s’attirer la bienveillance des habitants. C’est pourquoi, aussi, ce programme vise les enfants et les adolescents de 8 à 16 ans.
Les volontaires pakistanais : une contribution au djihad mondial du TTP ?
De nombreux commandants du Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP) ont précisé avoir envoyé des militants en Syrie pour combattre le régime de Bachar el-Assad9. Mohammed Amin, le coordinateur du TTP pour la Syrie, a ainsi affirmé que son organisation avait établi une base en Syrie avec l’aide de vétérans de l’Afghanistan. Un commandant de rang intermédiaire du TTP justifie l’envoi de militants par le fait que des chiites seraient également recrutés par l’Iran au Pakistan pour aller combattre aux côtés du régime de Bachar el-Assad. Le réseau qui se charge d’acheminer les volontaires en Syrie est tenu conjointement par le TTP et par le Laschkar-i-Jangvi (LJ), deux groupes affiliés à al-Qaïda. Il aurait envoyé de 100 à 150 hommes. Abdul Rashid Abbasi, un proche du chef du TTP, Hakimullah Mehsud, a précisé que 120 combattants pakistanais se trouvaient en Syrie et qu’ils étaient sous les ordres du commandement local d’al-Qaïda. Le réseau est dirigé par Usman Ghani, un ancien commandant du LJ, et Alimullah Umry, un commandant du TTP de la province de Khyber Pakhtunkhwa. Selon al-Jazeera, les Pakistanais se trouvent dans la Katibat Mujahiroon, un groupe djihadiste composé de volontaires étrangers qui combat à Lattaquié et qui est commandé par un Libyen, Abu Jaafar il Libi. Le TTP, le LJ et un autre groupe sectaire, le Hafiz Gul Bahadur, ont envoyé des combattants. Le TTP a également demandé à ses commandants de Mohmand, Bajaur, Khyber, Orakzai et des agences tribales du Waziristan de procéder à des recrutements.
Une première vidéo, le 31 juillet 2013, confirme la présence de combattants du TTP en Syrie. Elle montre un groupe de 10 à 20 Pakistanais et a été mise en ligne par l’EEIL. En septembre, les médias annoncent que les corps de 30 Pakistanais ont déjà été rapatriés au pays, la plupart appartenant au LJ ou à la faction du Punjab du TTP. Cette participation du TTP à l’insurrection syrienne ne doit pas surprendre : elle fait partie de la stratégie d’internationalisation promue par Mehsud, qui veut participer aux djihads à l’étranger en lien avec al-Qaïda. Il y en a eu d’autres exemples : en juin 2012, le président du Niger affirmait que des Afghans et des Pakistanais entraînaient des hommes au nord du Mali. Au Yémen, des Pakistanais convoyés par al-Qaïda formeraient des militants aux explosifs, l’un d’entre eux, Ragaa Bin Ali, étant même tué par un drone en 2013. Faisal Shahzad, un jeune Pakistanais résidant aux Etats-Unis et qui avait tenté de placer une bombe à Times Square en mai 2010, était lié au TTP. L’envoi de combattants en Syrie a aussi eu pour effet de raviver les tensions sectaires au Pakistan entre sunnites et chiites.
Les Jordaniens : la radicalisation des salafistes
Depuis le début de l’insurrection, les militants jordaniens ont eux gagné la Syrie10. Au départ, ils comptaient renverser Bachar el-assad pour installer un Etat islamique sunnite, dans une dimension guerrière proprement religieuse. Cette approche s’est intensifiée avec le caractère de plus en plus sectaire du conflit. Parmi les Jordaniens, salafistes ou djihadistes, qui sont partis pour la Syrie, il y a certains vétérans d’Afghanistan ou d’Irak, et certaines sources parlent de plusieurs milliers d’hommes en tout. On sait que Zarqawi, un Jordanien, avait dirigé la branche d’al-Qaïda en Irak jusqu’à sa mort en juin 2006. Son mentor spirituel, Abu Muhammad al-Maqdisi, un Jordanien d’origine palestinienne, est le chef de file du djihadisme en Jordanie. Les djihadistes semblent gagner du terrain autour des villes de Maan et de Zarqa, cette dernière étant d’ailleurs la ville natale de Zarqawi. En octobre 2012, les autorités démantèlent une cellule qui s’apprêtaient à commettre des attentats anti-occidentaux à Amman grâce à des explosifs et à des armes venus de Syrie. Il faut dire qu’au départ, elles ont eu tendance à fermer les yeux sur le transit de combattants jordaniens en direction de ce pays. Mohammed el-Shalabi, un des leaders djihadistes jordaniens, affirme que de 700 à 800 combattants sont partis en Syrie, un chiffre qu’il est difficile de vérifier. D’autres rapports parlent de 500 hommes.
On sait par contre que Mahmoud Abdoul Al, le gendre de Abu Muhammad al-Talawi, un des cheiks djihadistes influents de Jordanie, s’est fait sauter à Deraa en octobre 2012. Al-Tahawi lui-même encourage les Jordaniens à se joindre au djihad sous la bannière d’al-Nosra. D’autres clercs sunnites jordaniens ont fait de même depuis, à l’instar du chef d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. Au début des hostilités, les Jordaniens franchissent la frontière dans les provinces de Deraa et de Rif Dishmashq. Ils sont aussi présents à l’ouest et à l’est de la Syrie, à Alep, Homs et Deir es-Zor. Le gouvernement jordanien laisse d’abord faire, sans doute dans l’intention de se débarrasser à peu de frais de ses djihadistes. Mais quand le conflit s’éternise, les autorités verrouillent la frontière et mettent le hola sur le trafic d’armes qui revient vers la Jordanie. En conséquence, les Jordaniens font désormais un détour via la Turquie et pénètre en Syrie par le nord. La plupart des volontaires s’intègrent dans le front al-Nosra, et les combattants expérimentés semblent même diriger certaines brigades de l’organisation. Deux Jordaniens d’ascendance palestinienne, originaires de Zarqa, ont aidé à l’établissement du conseil de la Choura d’al-Nosra, aux côtés d’Abu Muhammad al-Juhani, le chef de l’organisation. Ces deux militants, Iyad Toubasi et Mustafa Abdul Latif, ont fait partie du commandement d’al-Qaïda en Irak. Ils sont présents en Syrie depuis le début du conflit. Le premier est par ailleurs marié à la soeur de Zarqawi. Abou Gelebeb, c’est son nom de guerre, est l’émir d’al-Nosra pour les provinces de Deraa et Damas. Blessé en décembre 2012, il est soigné en Turquie avant de rejoindre le combat. C’est Latif qui prend la suite du front sud d’al-Nosra. Proche de Zarqawi, il avait notamment organisé l’arrivée des Syriens venus se battre en Irak contre les Américains.
Les Néerlandais : un recrutement dans une communauté ciblée
Au moins 20 Néerlandais sont partis combattre en Syrie depuis le début de la guerre civile et 6 y ont trouvé la mort11. Il n’y a pas de réseaux organisés jusqu’à présent qui recrutent les musulmans néerlandais sur place, mais des groupes comme Sharia4Holland, Behind Bars, Hizb-al-Tahrir et Millatu Ibrahim se servent du conflit pour promouvoir leur cause, ce qui est un facteur potentiel de radicalisation de leur public. Il est d’ailleurs fort possible que le nombre total de Néerlandais partis en Syrie dépasse en fait la centaine. Les 20 personnes qui ont été identifiées proviennent des communautés marocaine, somalienne et turque surtout, bien que l’une d’entre elles soit originaire de Bosnie. La majorité est néanmoins d’origine marocaine. Ils viennent de Zeist, Delft, Rotterdam et La Hague (en particulier le quartier de Schilderswijk). La plupart des hommes recrutés ont entre 23 et 26 ans, même si deux étaient des mineurs. Le soutien à la cause s’exprime via un site Internet et le recrutement s’effectuerait par des activistes deSharia4Holland et Behind Bars qui ont déjà effectué le voyage en Syrie. Les volontaires gagnent la Turquie via les Pays-Bas ou la Belgique et entrent dans le nord de la Syrie.
Le premier Néerlandais tué en Syrie, d’origine marocaine, est mort en mars 2013. Il faisait partie d’un groupe de 20 jeunes hommes de Delft, certains ayant un passé de délinquant ; lui-même cherchait manifestement à « racheter ses péchés » en partant combattre en Syrie. Un de ses amis, qui jouait dans l’équipe de foot Delfia, est également tué en Syrie, ainsi que son frère. Une jeune femme de 19 ans, connue sous le nom d’Oum Usama, de Zoetermeer, suspectée de procéder au recrutement, est arrêtée en juillet 2013. Un autre recruteur, Murat Ofkeli, surveillé par les autorités depuis 2001 et qui avait notamment envoyé en 2005 3 jeunes Néerlandais pour la Tchétchénie, qui avaient été arrêtés en Azerbaïdjan, n’est pas pris au sérieux jusqu’à ce que la presse se fasse l’écho de plaintes des parents des candidats au djihad. Banni de la mosquée As-Soennah de La Hague, Ofkeli aurait trouvé la mort en Syrie en juin 2013.
Le chef des djihadistes néerlandais en Syrie, Abu Fidaa, a donné une interview au journal De Volkskrant en juin 2013. Il fournit des précisions qui sont impossibles à vérifier, mais qui n’en sont pas moins intéressantes. On conseille ainsi aux volontaires de lire 48 Laws of Power ou Les 36 Stratagèmes de la guerre, par exemple. D’après lui, une fois arrivés en Syrie, les volontaires sont entraînés pendant six semaines ; ils peuvent alors se porter candidats au martyr. Les Néerlandais sont mélangés avec d’autres nationalités pour favoriser l’intégration dans un djihad « global ». On pense que les Néerlandais sont surtout à Alep mais Abu Fidaa précise qu’ils se trouvent aussi dans d’autres parties du pays. 3 femmes ont également fait le choix de suivre leurs maris en Syrie.
Les Britanniques : au-delà du « Londonistan »
Depuis le début de la guerre en Syrie, les autorités britanniques ont arrêté trois hommes suspectés de participer à des réseaux de recrutement et d’acheminement de volontaires pour les groupes djihadistes12. Le cas britannique rappelle de fâcheux souvenirs, notamment celui de la Bosnie. L’attention est attirée sur les volontaires britanniques au moment de l’enlèvement d’un journaliste anglais et d’un autre néerlandais, le 19 juillet 2012, qui sont finalement libérés par un groupe de rebelles qui les avaient aidés à pénétrer en Syrie. Or, parmi leurs ravisseurs, se trouve une douzaine de Britanniques, dont un docteur du National Health Service, Shajul Islam, d’origine bengalie, intercepté à son retour au pays via l’Egypte le 9 octobre suivant. D’autres arrestations ont lieu en janvier 2013, dont celle du frère de Shajul, et d’un homme qui avait converti un MAC-10 tirant à blanc en une arme opérationnelle. Najul Islam, c’est son nom, aurait assuré le soutien financier du voyage de son frère et de son complice, arrêté avec lui, et aurait également convoyé en Syrie des équipements de vision nocturne, des lunettes de visée et autres matériels sensibles. Dans un autre cas, Nassim Terreri et Walid Blidi, deux Londoniens d’origine algérienne, sont tués à Darkoush, à quelques kilomètres de la frontière turque, le 26 mars 2012. Les deux Britanniques appartenaient à la brigade Hisham Haboub, de l’Armée syrienne libre : ils sont morts en ouvrant le feu sur un convoi du régime qui a répliqué à leurs tirs, un autre Britannique du même groupe étant d’ailleurs blessé dans l’accrochage.
Les Britanniques se sont en fait retrouvés sur nombre de champs de bataille du djihad depuis l’Afghanistan. La communauté dite « Londonistan » avait aussi produit des prêcheurs radicaux capables d’influencer la jeunesse britannique, jusqu’à pousser certains éléments à rejoindre al-Qaïda et à commettre les attentats du 7 juillet 2005 à Londres. Depuis le printemps arabe cependant, ce sont les communautés arabes en exil, via leurs liens avec leurs pays d’origine, qui sont devenus importantes, comme le montre le cas de la Libye et de la Tunisie, ou bien encore de l’Egypte. On estime qu’il y a au moins 13 000 exilés syriens au Royaume-Uni, dont une partie fournit des fonds, organise des convois, alimente aussi le vivier des volontaires. Mais comme on l’a vu, des Britanniques à proprement parler sont aussi partis en Syrie. Il y en a au moins 30. La communauté soudanaise de l’ouest de Londres parle de 21 hommes déjà entraînés sur place, et il y aurait eu des départs dans les communautés marocaine et somalienne. Des Syriens comme un prêcheur de l’est de Londres, Abu Basir al-Tartusi, qui n’était pas parmi les plus radicaux, sont aussi partis combattre en Syrie. On trouve aussi parmi eux Mustafa Setmariam Nassar, un théologien djihadiste vétéran de l’Afghanistan arrivé à Londres dans les années 90, qui avait soutenu les groupes radicaux en Algérie avant de retourner en Afghanistan et d’être arrêté par les Américains à Quetta en 2005, livré aux autorités syriennes qui l’ont relâché, sans que l’on comprenne bien pourquoi, en février 2012. Muhammad Surur bin Nayif Zain al-Abidin, en lien avec deux dissidents saoudiens, Saad al-Faqih et Muhammad al-Massari, contribue au financement des insurgés. Théologien salafiste, il est revenu au Qatar en 2004 et organise de là le flux financier à destination de certains groupes rebelles.
Les Finlandais : un changement d’échelle
En Finlande, les premières rumeurs à propos de combattants partis en Syrie commencent à circuler dans les médias à partir d’août 201213. Un an plus tard, le ministère de l’Intérieur confirme que plus de 20 Finlandais ont déjà rejoint les groupes islamistes radicaux sur place. Ce phénomène marque la radicalisation, en filigrane, de musulmans finlandais depuis environ deux ans. La population musulmane finlandaise, très réduite au départ, s’est accrue dans les années 90 par l’apport de nombreux réfugiés. On l’estimait à 50 à 60 000 personnes en 2011, dont 90% de sunnites. Ce sont des musulmans de la deuxième génération, mal intégrés, originaires de zones de conflit, qui se sont radicalisés. Cependant, la plupart des musulmans radicalisés sont liés, de fait, à des groupes islamistes ou autres avec des enjeux locaux, même si plusieurs organisations comme al-Qaïda, les Shebaab, le Hezbollah sont représentées en Finlande. Les Shebaab, en particulier, sont plus visibles car ils ont recruté dans la communauté somalie finlandaise (15 000 personnes en 2012). Le processus semble se restreindre à partir de 2012, moment où les Shebaab s’associent très nettement à al-Qaïda et commencent à avoir recours à des méthodes classiques de l’organisation comme l’attentat à la voiture kamikaze.
On pense qu’il n’y a pas eu de Finlandais engagés en Afghanistan. Le premier combattant étranger finlandais mis en évidence est Abu Ibrahim, parti combattre en Tchétchénie et arrêté par les autorités géorgiennes. Son père est un officier de l’armée finlandaise. Le plus gros contingent reste donc celui débauché par les Shebaab entre 2007 et 2009, avant la radicalisation de ce dernier mouvement vers al-Qaïda. On évoque aussi, peut-être, la présence d’un Finlandais auprès du Front National de Libération de l’Ogaden, en Ethiopie. C’est avec la guerre en Syrie que le contingent de volontaires finlandais est le plus important. Après les rumeurs dévoilées en août 2012, un premier martyr finlandais, Kamal Badri, est identifié en janvier 2013 : il a été tué à Alep. Quelques mois plus tard, les autorités commencent à parler d’une dizaine, puis d’une vingtaine de personnes parties en Syrie. Le portrait d’ensemble reste encore peu clair, faute d’informations suffisantes, même si l’on peut en déduire que la communauté musulmane radicalisée, en Finlande, se structure davantage depuis deux ans.
L’Australie : la communauté libanaise et le djihad
En ce qui concerne l’Australie, 6 combattants en Syrie ont potentiellement été identifiés comme australiens, avec cependant des doutes sur plusieurs d’entre eux14. Trois cas sont cependant plausibles : Roger Abbas, Yusuf Topprakaya et un kamikaze connu sous le nom de Abu Asma al-Australi. Roger Abbas, tué en octobre 2012, venait de Melbourne et était d’origine libanaise : c’était aussi un champion de kickboxing. Arrivé au départ pour une aide humanitaire, il a visiblement combattu ensuite avec le front al-Nosra. Yusuf Topprakaya, tué en décembre 2012, était originaire de la communauté turque et était surveillé par les autorités australiennes depuis 2010. Arrivé à la frontière turque à la mi-2012, il attend de pouvoir entrer en Syrie et rejoint une unité locale des brigades al-Farouk près de la ville de Maarat al-Numan. Il se fait remarquer par ses compétences au tir et dans la fabrication de bombes, avant d’être tué par un sniper. A la mi-septembre 2013, enfin, Abu Asma al-Australi jette un camion rempli de 12 tonnes d’explosifs contre une école qui sert de lieu de cantonnement à des soldats du régime syrien dans la ville de al-Mreiya, dans la province de Deir es-Zor. L’attaque kamikaze aurait permis au front al-Nosra de prendre la base aérienne de la ville. Le martyr, originaire de Brisbane et de la communauté libanaise, était lui aussi surveillé par les autorités australiennes avant son départ.
D’autres cas sont moins documentés. En août 2012, un cheik de Sydney, Mustapha al-Mazjoub, est tué en Syrie. D’ascendance saoudienne, il est à noter que son frère était le seul membre australien du Conseil National Syrien. Il serait mort au combat. En novembre 2012, un dénommé Marwan al-Kassab, considéré comme un Australien, meurt dans une explosion au Nord-Liban alors qu’il fabrique des bombes pour les rebelles syriens. En avril 2013, Sammy Salma, originaire de Melbourne, et qui avait voyagé avec Abbas, est également tué. En tout, on estime que 80 Australiens sont partis en Syrie et que 20, peut-être, ont combattu avec al-Nosra. La plupart sont issus de la communauté libanaise, 70% d’entre eux étaient connus des autorités précédemment et ils sont entrés en Syrie via la Turquie, un peu moins par le Liban. La Syrie n’est pas le premier cas de départ d’un contingent australien. Entre 1998 et 2003, 20 personnes avaient rejoint l’Afghanistan et les camps du LeT au Pakistan. Entre 2002 et 2012, 16 Australiens ont été arrêtés au Liban, ou condamnés in abstentia, pour activités djihadistes, principalement en lien avec Ansbat al-Ansar ou Fatah al-Islam. Après l’invasion de la Somalie par l’Ethiopie en 2006, de 10 à 40 Australiens ont également rejoint les Shebaab en Somalie. Des Australiens seraient également partis au Yémen en 2010. Le conflit en Syrie marque cependant un changement d’échelle. Une des causes est évidemment l’importance de la communauté libanaise : le conflit en Syrie concerne davantage ses membres que ceux en Somalie ou au Yémen. Ensuite, l’accès à la Syrie via la Turquie est beaucoup plus aisé que lors des conflits précédents. Enfin, le caractère de plus en plus sectaire du conflit et l’impuissance de la communauté occidentale à le juguler ont manifestement constitué un appel d’air pour des groupes comme al-Nosra ou l’EIIL.
Le combat s’est en outre transposé en Australie. Depuis le début 2012, 17 incidents ont été relevés comme étant en rapport avec le conflit syrien : principalement des attaques de sunnites contre des personnes, des biens ou des commerces chiites ou alaouites. Elles ont lieu surtout à Sydney et Melbourne et impliquent des personnes issues des communautés syrienne, turque et libanaise. L’Australie a connu plusieurs préparations d’attentats terroristes déjouées avant exécution, contre les J.O. De Sydney en 2000, une du LeT en 2003, et deux cellules autonomes démantelées à Sydney et Melbourne en 2005 qui comprenaient des personnes entraînées en Afghanistan et au Pakistan. Un attentat prévu contre les Hollsworthy Army Barracks en 2009, là encore arrêté à temps, impliquait des hommes qui participaient au réseau de financement et de recrutement des Shebaab. A noter toutefois que les incidents sectaires ont reculé en 2013.
La Suède : un profil de combattants très ciblé
En avril 2013, le service de sécurité suédois estime que 30 personnes ont déjà rejoint les insurgés syriens15. L’auteur de l’article de référence sur la question a identifié personnellement 18 Suédois qui, à coup sûr, ont gagné la Syrie. Presque toutes ces personnes viennent du sud-ouest de la Suède, et plus de la moitié des faubourgs de Gothenburg, la seconde ville du pays. 11 sont originaires des faubourgs d’Angered et Bergjsön. Les liens d’amitié jouent incontestablement : trois candidats appartenaient ainsi au même cercle d’arts martiaux. D’autres fréquentaient une mosquée radicale bien connue de Gothenburg, la Bellevue Masjid. Seul l’un des hommes concernés avait un lien direct avec la Syrie, où il est entré en juin 2013. Un tiers des personnes est né en Suède de parents immigrés. Le reste provient de différents pays : Irak, Jordanie, Kosovo, Maroc et même Philippines. Pourtant au moins 10 sont d’origine libanaise (dont 2 qui étaient peut-être Palestiniens). Un seul à des origines familiales suédoises. Ce sont tous des hommes : l’âge moyen est de 23,5 ans. La plupart viennent de familles avec de nombreux enfants et à faible revenu ; 8 étaient sans emploi ou revenu d’aucune sorte. 8 étaient également connus pour délinquance, dont 4 pour des affaires de drogue et 3 pour des violences. L’un des volontaires, Abo Isa, était un criminel endurci : il a fait trois fois de la prison et a été condamné en tout à 15 reprises.
Sur ces 18 Suédois, 8 ont été tués en Syrie. Abu Kamal est victime d’un éclat d’obus de char à Alep, en janvier 2013. A la mi-mars, une vidéo le présente comme un membre de Kataib al-Muhajirin ; un Britannique a d’ailleurs péri au cours de la même opération. Abu Omar, lui, est tué en avril 2013 par une roquette de RPG ; là encore, il aurait servi avec un groupe radical. Abu Dharr, qui avait réalisé la première vidéo de propagande en suédois, est tué en avril 2013. Abu Abdurahmann a été tué en juin 2013 dans la province d’Idlib ; il faisait lui aussi partie de Kataib al-Muhajirin. Deux frères, Abu Maaz et Abu Osman, ont également péri en Syrie. Ils ont été tués lors de l’attaque d’un checkpoint du régime près d’Abu Zeid, à proximité du Krak des Chevaliers, dans la province de Homs. Abu Maaz est mort au volant de la voiture kamikaze qu’il conduisait et son frère aîné dans les échanges de tirs qui ont suivi ; ils servaient dans Jund al-Sham. Un autre frère avait été tué 18 mois plus tôt, en 2012, lors d’affrontements sectaires à Tripoli, au Liban. Abu Omar Kurdi a lui été tué en août 2013 durant l’assaut de la base aérienne de Minnagh. En plus des 8 morts recensés, deux autres pourraient bien avoir été Suédois : Adam Salir Wali, tué par une grenade le 29 mars 2013 (le seul Suédois qui aurait rejoint l’Armée syrienne libre et pas un groupe radical), et Abu Mohammad al-Baghdadi, tué fin août 2013. Tous les Suédois ont rejoint, à l’exception de Wali, des groupes radicaux : al-Nosra, Kataib al-Muhajirin et Jund al-Sham. Certains se sont même ralliés à l’EIIL. Plusieurs sont fortement suspectés de crimes de guerre.
9 des 18 Suédois identifiés étaient précédemment liés au terrorisme ou au djihadisme. Isa al-Suedi est le frère cadet d’un homme condamné pour la préparation d’une attaque du type Mumbaï contre un quotidien danois, avec trois autres hommes, à partir de la Suède. Il avait été arrêté à la frontière somalienne en 2007 et au Waziristan en 2009. Abu Omar était le fils d’un djihadiste albanais du Kosovo. Un des oncles de la fratrie est emprisonné pour avoir participé à la préparation d’un attentat contre des trains en Allemagne en mai 2006 ; un autre était le quatrième responsable hiérarchique du mouvement libanais Fatah al-Islam et a été tué par l’armée libanaise en mai 2007. Abu Dharer Filippino annonce depuis la Syrie, fin octobre 2012, qu’il a été entraîné au Pakistan en 2001 par le LeT. Il est retourné en Suède au printemps 2013 et fait depuis une intense propagande pour le djihad. Le profil type des volontaires suédois est donc assez ciblé : un homme jeune, du sud-ouest de la Suède, probablement des faubourgs de Gothenburg, d’une famille immigrée mais pas syrienne, sans emploi, déjà condamné pour délinquance. Des amis ou des parents peuvent le relier au terrorisme ou au djihadisme.
Les Tchétchènes : peu nombreux mais influents
Les Tchétchènes figurent également parmi les étrangers partis rejoindre l’insurrection syrienne16. Trois commandants, l’émir Muslim, l’émir Seifullah et l’émir Abu-Musaaba ont gagné la Syrie le 31 octobre 2013 et ont formé un nouveau groupe sous l’autorité de l’émir Muslim, qui dirigeait précédemment Jundu Sham. Muslim a probablement attiré à lui certains combattants servant sous les ordres de l’émir Umar Shishani, des hommes qui ont combattu en Tchétchénie ou au Daghestan. Ce sont des combattants expérimentés qui par ailleurs savent aussi que l’émir Muslim a des liens importants avec des bailleurs de fonds du Moyen-Orient, depuis l’époque d’Ibn al-Khattab.
Des Arabes remplacent les combattants qui quittent Umr Shishani, mais celui-ci aura du mal à maintenir la cohésion d’un groupe composé d’hommes dont il ne parle pas forcément la langue. La plupart des volontaires tchétchènes d’Europe semblent cependant rejoindre ce groupe. En décembre 2013, l’émir Muslim revendique 1 500 combattants tandis que Shishani en alignerait 600. Les deux groupes comprennnent à la fois des Tchétchènes, d’autres nationalités du Caucase et des Arabes, syriens ou non. Il existe aussi d’autres groupes avec des Tchétchènes. Abu Musa, qui est arrivé en Syrie en 2012, dirigerait un groupe de 300 hommes. Le groupe Jamaat du Caliphat de l’émir Abdulkhakim compterait 100 militants. Si Shishani reconnaît l’autorité de Doku Umarov, le chef de l’insurrection tchétchène contre les Russes, ce n’est pas le cas de Muslim. En outre, Shishani est intégré dans la structure de l’EIIL, contrairement à Muslim. L’émir Salaudin, le représentant d’Umarov en Syrie, est devenu le chef des volontaires caucasiens. De Tchétchénie même, l’afflux s’est accru depuis cet automne mais ne concerne pour l’instant qu’un maximum de 100 personnes, dont peut-être quelques femmes. Mais les Tchétchènes ont intégré les groupes les plus puissants de l’insurrection et leur influence est sans doute sans rapport avec leur nombre réel.
Les groupes armés dirigés et/ou entretenus par les volontaires étrangers
Il est courant de lire, quand on parle de la guerre en Syrie, que le front al-Nosra rassemble surtout des combattants syriens tandis que l’EIIL regroupe surtout les volontaires étrangers. Il est vrai que la plupart des combattants étrangers sunnites rejoignent l’EIIL, mais ils contribuent aussi à d’autres formations17.
Jaysh al-Muhajireen wa al-Ansar est commandée par Omar ash-Shishani, un vétéran de l’armée géorgienne. En mai 2013, celui-ci est nommé émir du nord de la Syrie par le chef de l’EIIL, secteur qui englobe les provinces d’Alep, Raqqa, le nord d’Idlib et Lattaquié. A la suite de cette désignation, le groupe de Shishani devient donc le paravent de l’EIIL. Si la désignation d’origine est conservée, c’est pour montrer qu’un front idéologique plus large existe, alors qu’en réalité, le groupe de Shishani n’est que le reflet de l’EIIL. On observe le même phénomène avec les nombreuses milices iraniennes qui se battent côté régime. En août 2013, le groupe joue un rôle décisif pour faire tomber la base aérienne de Minnagh, sous les ordres d’un Egyptien, Abu Jandal al-Masri. Fin novembre 2013, une nouvelle scission a lieu entre ceux qui restent fidèles à l’EIIL derrière Shishani et ceux qui conservent le « label » d’origine et qui ont un nouveau commandant, Salah ad-Din ash-Shishani.
Jamaat Jund ash-Sham est un bataillon basé dans l’ouest rural de la province de Homs. Fondé par des combattants libanais, il comprend aussi des Syriens. Le groupe se rapproche de l’EIIL mais n’est pas hostile non plus à al-Nosra. Des activistes libanais sunnistes pro-EIIL de Tripoli relaient les informations du groupe, ce qui semble indiquer des liens avec ce milieu.
Le Bataillon Vert a émergé en août 2013. Il est proche d’EIIL et d’al-Nosra mais se démarque par son indépendance, et a pour ce faire changé d’emblème, par exemple, en septembre. Le groupe est mené par des Saoudiens mais comprend aussi des Syriens. Il a conduit des opérations conjointes avec l’EIIL et al-Nosra dans les montagnes de Qalamoun, ainsi qu’avec d’autres formations importantes comme Jaysh al-Islam, dans les zones désertiques de la province de Homs tenues par le régime -où il a d’ailleurs affirmé s’être emparé de nombreuses armes. C’est le Bataillon Vert, en lien avec l’EEIL, qui a repris la ville de Deir Atiyeh pendant la « bataille » de Qalamoun, avant que la ville ne soit reconquise par le régime et ses miliciens chiites.
Harakat Sham al-Islam a été fondé à la mi-août 2013 par des combattants marocains. Il a participé à l’offensive dans la province de Lattaquié à l’été 2013 et a aussi collaboré avec al-Nosra dans la province d’Alep, notamment dans une attaque sur la prison centrale de la ville, à laquelle n’a pas participé l’EIIL. Pendant l’offensive de Lattaquié, le groupe a perdu un ancien détenu marocain de Guantanamo, Mohammed al-Alami. Un autré vétéran d’al-Qaïda d’origine marocaine, Ibrahim bin Shakaran, dirige la formation. Le groupe est quasiment lié, de fait, au front al-Nosra, branche « officielle » d’al-Qaïda en Syrie. Il se revendique aussi d’un engagement qui sert en quelque sorte de banc d’entraînement, afin que les combattants reviennent ensuite au Maroc et dans le Maghreb pour lutter contre les régimes en place.
Suqur al-Izz, comme le Bataillon Vert, a été créé et reste dirigé par des Saoudiens, en délicatesse avec al-Nosra et l’EIIL, même si le logo et certaines déclarations semblent bien rapprocher ce bataillon indépendant de l’EIIL. Né en février 2013, ce groupe opère dans la province de Lattaquié, et a participé à l’offensive coordonnée de l’été avec al-Nosra et l’EIIL. Parmi ses martyrs, on compte un Indonésien et des Syriens, tués notamment à Alep à la fin novembre 2013.
Le bataillon des Lions du Califat est basé lui aussi à Lattaquié et a été fondé par un Egyptien, Abu Muadh al-Masri. A la mi-novembre 2013, celui-ci annonce son ralliement à l’EIIL. La brigade Jund Allah dans Bilad ash-Sham est un groupe qui opère dans les provinces d’Idlib et de Hama et qui compte son propre bataillon de volontaires étrangers.
Conclusion
L’afflux de volontaires étrangers a entraîné des conséquences importantes18. Il a contribué non seulement à renforcer les factions les plus radicales de l’insurrection syrienne, mais il a aussi redynamisé les communautés radicales dans les pays d’où sont partis ces volontaires. Cet afflux, qui marquera probablement une génération entière de combattants djihadistes, est facilité par les conditions d’accès relativement simples à la Syrie, notamment parce que de nombreux Etats soutiennent le même camp que ces combattants, ce qui les freine dans la répression d’un tel transit. En outre, la frontière nord de la Syrie est contrôlée par les rebelles, ce qui laisse la Turquie, un des principaux soutiens de l’insurrection, comme seule « garde-frontière », et peu désireuse de stopper le flux. Les volontaires peuvent ainsi aller en Syrie, revenir dans leur pays d’origine pour faire du recrutement et de la propagande, voire repartir. Le nombre élevé de femmes en provenance d’Europe montre aussi un certain changement d’attitude de la part des radicaux. En outre, le caractère très localisé de la guerre en Syrie fait que les combattants peuvent ne pas être forcément exposés au feu tout de suite, ou même tout court, ce qui rapproche de ce point de vue la Syrie de l’Afghanistan des Soviétiques. Le conflit syrien reflète aussi des lignes de fracture sectaires que l’on avait pu voir en Irak, et qui traditionnellement n’attirent pas les volontaires étrangers : mais l’important ici est peut-être plus qui l’on vient aider, plutôt que qui l’on vient combattre. L’échelle et la vitesse de mobilisation des combattants étrangers ont été grandement accélérées par Internet et les réseaux sociaux, mais c’est aussi parce que les autorités des pays de départ n’exercent pas une répression systématique, comme on l’a dit. Ce qui explique par exemple que le nombre de volontaires européens ait triplé en 6 mois.
Bibliographie
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Thomas Hegghamer, Syria’s Foreign Fighters, Middle East Channel, Foreign Policy.
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Juha Saarinen, « GUEST POST: The History of Jihadism in Finland and An Early Assessment of Finnish Foreign Fighters in Syria », Jihadology.net, 21 novembre 2013.
Mairbek Vatchagaev, « Chechens Among the Syrian Rebels: Small in Number, but Influential », Eurasia Daily Monitor Volume: 10 Issue: 223, The Jamestown Foundation, 12 décembre 2013.
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Aaron Y. Zelin, « CSR Insight: European Foreign Fighters in Syria », The International Centre for the Study of Radicalization, 2 avril 2013.
Aaron Y. Zelin, Sami David, « Up to 11,000 foreign fighters in Syria; steep rise among Western Europeans », The International Centre for the Study of Radicalisation, 17 décembre 2013.
1Sourate 8, verset 39 du Coran.
2Lire l’interview de Tom Cooper, que j’ai réalisée, à ce sujet : http://lautrecotedelacolline.blogspot.fr/2013/12/la-guerre-civile-syrienne-interview-de.html
3Aaron Y. Zelin, « CSR Insight: European Foreign Fighters in Syria », The International Centre for the Study of Radicalization, 2 avril 2013.
4Thomas Hegghammer, « Number of foreign fighters from Europe in Syria is historically unprecedented. Who should be worried? », The Monkey Cage, 27 novembre 2013.
5http://www.sueddeutsche.de/politik/radikale-islamisten-staffellaeufer-des-heiligen-kriegs-1.1845410 Merci à Florent de Saint-Victor de m’avoir fourni le lien en question.
6Aaron Y. Zelin, Sami David, « Up to 11,000 foreign fighters in Syria; steep rise among Western Europeans », The International Centre for the Study of Radicalisation, 17 décembre 2013.
7Aron Lund, « Who Are the Foreign Fighters in Syria? An Interview With Aaron Y. Zelin », Carnegie Middle East Center/Guide to Syria in Crisis, 5 décembre 2013.
8Aron Lund, « Who Are the Foreign Fighters in Syria? An Interview With Aaron Y. Zelin », Carnegie Middle East Center/Guide to Syria in Crisis, 5 décembre 2013.
9Zia Ur Rehman, « Pakistani Fighters Joining the War in Syria », CTC Sentinel, Volume 6 Issue 9, septembre 2013, p.9-11.
10Suha Philip Ma’ayeh, « Jordanian Jihadists Active in Syria », CTC Sentinel, Volume 6 Issue 10, octobre 2013, p.10-13.
11Samar Batrawin « The Dutch Foreign Fighter Contingent in Syria », CTC Sentinel, Volume 6 Issue 10, octobre 2013, p.6-10.
12Raffaello Pantucci, « British Fighters Joining the War in Syria », CTC Sentinel, Volume 6 Issue 2, février 2013, p.11-15.
13Juha Saarinen, « GUEST POST: The History of Jihadism in Finland and An Early Assessment of Finnish Foreign Fighters in Syria », Jihadology.net, 21 novembre 2013.
14Andrew Zammit, « Tracking Australian Foreign Fighters in Syria », CTC Sentinel, Volume 6 Issue 11-12, novembre 2013, p.5-9.
15Per Gudmundson, « The Swedish Foreign Fighter Contingent in Syria », CTC Sentinel, Volume 6 Issue 9, septembre 2013, p.5-9.
16 Mairbek Vatchagaev, « Chechens Among the Syrian Rebels: Small in Number, but Influential », Eurasia Daily Monitor Volume: 10 Issue: 223, The Jamestown Foundation, 12 décembre 2013.
17Aymenn Jawad Al-Tamimi, « Musings of an Iraqi Brasenostril on Jihad: Muhajireen Battalions in Syria », Jihadology.net, 13 décembre 2013.
18Thomas Hegghamer, Syria’s Foreign Fighters, Middle East Channel, Foreign Policy. Merci à Stéphane Taillat de m’avoir offert cet article.
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