Ce lord fait état d'une conversation avec l'ex-première secrétaire de l'ambassade britannique à Léopoldville (actuellement Kinshasa), de 1959 à 1961, Daphne Park - une fonction assimilée informellement à celle de patronne du MI6 au Congo durant cette période entourant l'indépendance de l'ancienne colonie belge.
Lord David Edward Lea répondait en fait à une affirmation d'un livre récemment publié concernant les services secrets britanniques, "Empire of Secrets: British intelligence, the Cold War and the Twilight of Empire" de Calder Walton.
Selon ce dernier, la question du rôle du MI6 dans l'assassinat du fer de lance du mouvement indépendantiste congolais se pose toujours. "La question reste de savoir si le complot britannique pour assassiner Lumumba… a jamais correspondu à une quelconque réalité. A ce jour, nous ne le savons pas", selon Calder Walton.
"En fait, en ce qui concerne ce cas particulier, je suis en mesure d'affirmer que nous le savons", corrige Lord David Edward Lea dans son courrier.
Et l'aristocrate de raconter qu'au cours d'une discussion avec Daphne Park, cette dernière lui a confié que le MI6 était bel et bien mêlé (et de près) à l'assassinat du Premier ministre congolais. "Je l'ai organisé", lui aurait affirmé Daphne Park. Selon Lord Lea, l'ancienne diplomate-espionne a expliqué que l'analyse de ses services à l'époque était que si l'Occident n'intervenait pas, Patrice Lumumba aurait remis les riches ressources minérales du Congo (devenu la République démocratique du Congo) "aux Russes" (l'Union soviétique en fait).
Interrogé par 'The Hindu', Lord Lea a confirmé le contenu de sa lettre à la LRB, précisant que la conversation avec Daphne Park - entre-temps devenue baronne Park of Monmouth - a eu lieu quelques mois avant sa mort en 2010. "C'est la conversation que j'ai eue avec elle et c'est ce qu'elle m'a raconté. Je n'ai rien à ajouter", a-t-il précisé.
Le rôle de la CIA était déjà reconnu...
Premier chef du gouvernement congolais après l'indépendance, de juin à septembre 1960, Patrice Lumumba avait été révoqué par le président Joseph Kasa-Vubu qu'il avait révoqué à son tour, le tout débouchant sur une crise constitutionnelle dans le tout jeune Congo indépendant.
A la mi-septembre 1960, Joseph-Désiré Mobutu (alors colonel) avait "neutralisé" le président et le Premier ministre, leur substituant un Conseil des Commissaires généraux fantoche, avec l'appui des Etats-Unis, de la Belgique et d'autres puissances occidentales.
Patrice Lumumba avait alors été fait prisonnier puis transféré au Katanga (sud-est), la très riche région minière, qui avait fait sécession avec le soutien actif de la Belgique. Il y a été assassiné, quelques heures après son transfert, le 17 janvier 1961 par un peloton d'exécution dirigé par le Belge Julien Gat.
Dans cette période de guerre froide entre l'URSS et les Etats-Unis, l'ombre de la CIA plane également sur l'opération. Des documents américains déclassifiés ont montré le rôle de Washington dans plusieurs complots destinés à éliminer Patrice Lumumba. L'un des plus célèbres étant évidemment l'opération de la CIA visant à placer du dentifrice empoisonné dans la salle de bain de Lumumba.
"Ce dentifrice n'est jamais parvenu jusqu'à la salle de bain de Lumumba", expliquera plus tard Larry Devlin, qui dirigeait la CIA au Congo à l'époque. "Je l'ai jeté dans le fleuve Congo".
... tout comme celui de la Belgique
En 2001, une commission d'enquête parlementaire belge avait conclu à la "responsabilité morale" de la Belgique. Cette dernière avait alors présenté ses excuses au Congo pour "l'apathie" et la "froide indifférence" dont elle avait fait preuve face aux événements ayant mené à son assassinat.
Des excuses que de nombreux historiens, Ludo De Witte en tête, estiment insuffisantes, arguant d'un rôle actif des autorités belges de l'époque dans cet assassinat politique. Rôle qui va bien au-delà, selon eux, d'une simple "apathie" ou "indifférence".
De nombreux fonctionnaires et conseillers belges travaillaient pour le Katanga sécessionniste via notamment la mission technique belge à Elisabethville (capitale du Katanga, aujourd'hui Lubumbashi). En octobre 1960, le ministre belge des Affaires africaines concluait comme suit un télex adressé à la mission technique belge auprès des autorités katangaises: "L'objectif principal à poursuivre dans l'intérêt du Congo, du Katanga et de la Belgique est évidemment l'élimination définitive de Lumumba".
"Il faut aller plus loin que la reconnaissance d'une responsabilité morale. Nous réclamons, entre autres, que toutes les archives de l'Etat belge soit ouvertes, nous voulons aller au-delà des présomptions", expliquait en juin dernier François Lumumba, le fils de l'ancien chef de gouvernement.
La famille du Premier ministre congolais assassiné a déposé plainte en juin 2011 devant le tribunal de première instance de Bruxelles contre l'Etat belge, mais aussi contre plusieurs personnalités de l'establishment belge, afin d'établir leurs responsabilités éventuelles dans l'exécution. La chambre des mises en accusation de Bruxelles a autorisé l'ouverture d'une enquête sur base de ladite plainte.
Julien Vlassenbroek avec Belga
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