Forte de 500 millions d’habitants, l’Union européenne (UE) est le plus grand ensemble économique mondial, devant la Chine et les Etats-Unis (elle génère 42 % du commerce mondial, 22,6 % de la production mondiale, contre 21,4 % pour les Etats-Unis et 10,8 % pour la Chine). Parmi les plus grandes sociétés du monde, figurent nombre de firmes européennes.
Henri Kissinger : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? »
Sur le plan de la défense, et malgré son retard colossal vis-à-vis des Etats-Unis, l’UE est également un acteur majeur (dont deux de ses membres ont le feu atomique). Mais cette formidable puissance géopolitique demeurera purement virtuelle tant que les Européens ne parleront pas d’une seule voix. Car l’UE n’a ni vision commune, ni identité, ni frontières, ni ambition de puissance clairement définies. Elle confond sa politique étrangère avec l’élargissement sans fin vers le Sud et l’Est puis avec un alignement sur les Etats-Unis, qu’elle aide à endiguer l’adversaire russe, que Washington ne veut surtout pas voir s’unir avec l’UE. Mais on ne peut pas en vouloir aux Etats-Unis de profiter de la « volonté d’impuissance » européenne ou de poser la question ironique d’Henri Kissinger : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? »…
Il est vrai que si l’on se met dans la peau d’un Chinois, d’un Russe ou d’un Américain, il y de quoi rire : doit-on appeler Berlin, leader économique de l’UE ? Paris, l’une des deux capitales de l’UE encore capables de déclencher des interventions militaires ? M. Barroso, Président de la Commission ? Son nouveau rival, le Président de l’Union, von Rompuy ? ou encore M. Christophias, président de Chypre, petit pays qui préside pour six mois le Conseil de l’UE mais dont les Européens ne sont pas solidaires, puisqu’ils veulent l’adhésion de la Turquie, laquelle occupe illégalement Chypre depuis 1974, tout cela avec la bénédiction des Etats-Unis, de l’Otan et de la Grande-Bretagne, qui a d’ailleurs ouvert les négociations avec Ankara, en 2004, lorsqu’elle présidait le Conseil de l’UE …
L’Europe, usée et culpabilisée par ses terribles guerres civiles passées, semble avoir renoncé à l’idée même de puissance
L’Europe est tellement divisée que ce sont des acteurs extérieurs, les Etats-Unis et l’Otan, qui la fédèrent sur le plan stratégique, ses traités faisant explicitement de l’Alliance atlantique l’organe de défense suprême. L’UE est donc la seule responsable de sa faiblesse et de sa dépendance : son modèle d’Etat Providence explique mécaniquement que les budgets de défense des 27 équivalent à peine 50 % du seul budget étasunien de la défense… L’Europe, usée et culpabilisée par ses terribles guerres civiles passées, semble avoir renoncé à l’idée même de puissance. Ainsi, elle ne veut pas d’une « souveraineté supranationale », tout en détruisant progressivement des souverainetés nationales des Etats-membres, provoquant ainsi un vide de souveraineté, un « no Man’s land géopolitique »… L’Europe semble donc vouloir expier ses fautes passées en définissant son identité de façon uniquement abstraite, via l’idéologie des droits de l’homme et la tyrannie des minorités, lancées à l’assaut des identités nationales démonisées et suspectes.
immigration massive et islamisation subies sans contrepartie
Dans sa prétention idéologique à nier toute frontière et à n’être ni une nation ni une supra-nation, l’Europe est en fait devenue, sous l’influence germanique, un « empire normatif mou », extensible à l’infini, sans boussole ni limes. Elle est devenue une sorte de laboratoire du mondialisme, toujours prête à « montrer l’exemple », à s’imposer à elle-même des règles contraignantes que ses concurrents se gardent bien de suivre (refus du patriotisme, du protectionnisme, d’une politique budgétaire et monétaire interventionniste ; réglementations environnementalistes qui lui coûtent très cher mais qui relancent l’industrie verte chinoise… ; immigration massive et islamisation subies sans contrepartie de la part de pays qui voient en elle un nouveau terrain de conquête, etc).
Du point de vue économique, la seule réalisation européenne supranationale concrète, l’euro (tout le reste : Airbus, l’industrie énergétique, la défense, etc, furent le fait de coopérations entre nations), n’a pas été pensée comme un instrument de puissance globale, mais comme un dogme fondateur d’un fédéralisme introuvable. Les économistes sérieux ont pourtant montré, dès sa création, qu’une monnaie unique passe par une zone économique optimale et une harmonisation budgétaire et fiscale. L’Allemagne a accepté cette aventure parce qu’elle avait intérêt à un euro fort (avec quelques pays germano-nordiques). Mais elle ne veut plus jouer si les pays européens du sud cessent d’être de simples lieux de villégiature et de consommation de biens allemands, pays sur lesquels Berlin réalise tout de même ses excédents depuis des décennies. Aujourd’hui, la façon dont les Etats de l’UE traînent à trouver une solution pour restaurer la confiance en l’euro reflète ce constat « d’impuissance volontaire » de l’Europe, divisée entre nations prospères de la future zone « euro du nord » et nations plus pauvres de la future « zone euro du sud »…
Absence de stratégie
L’UE a besoin d’un projet géopolitique clair. Elle doit définir ses frontières et son identité, afin de ne pas être qu’une puissance velléitaire. Alors que, partout dans le monde, la Realpolitik prime, elle ne peut survivre en demeurant le Continent de la peur, du politiquement correct et du dogmatisme économiciste. Car c’est bien pareil dogmatisme qui a limité jusqu’à maintenant la mission de la BCE à la lutte contre la seule inflation, alors qu’elle aurait dû être chargée de favoriser le développement économique de la zone euro et être autorisée à racheter directement sur le marché primaire la dette émise par des Etats en difficulté, ce que font les Banques centrales du Japon ou du Royaume-Uni. Ce n’est certes pas la panacée, mais ceci aurait eu le mérite de mettre fin à la spéculation qui la mine et donc au cercle vicieux « endettement-rigueur-paupérisation-perte de confiance-surendettement-défaut de paiement ». Il est aberrant que les banques prêteuses aient pu en revanche acheter l’argent de la banque centrale à 1,25 % pour les revendre aux Etats endettés à 5, 6 ou 7 %, ceci sans aucun risque (la BCE a dit qu’elle utiliserait toute sa puissance « quoi qu’il arrive » pour racheter les dettes aux banques en cas de défaut). Tout cela parce que Berlin refuse de renoncer au sacro-saint dogme de l’euro-mark fort et de changer les missions de la BCE.
la résolution de la crise passe à terme par l’investissement des excédents du Nord dans des grands projets rentables au Sud
La supervision bancaire discutée ces jours-ci est peut être nécessaire, bien que là aussi la cacophonie européenne règne. Mais la résolution de la crise passe à terme par l’investissement des excédents du Nord dans des grands projets rentables au Sud, ce qui rééquilibrera la balance des paiements et recréera de la richesse (et donc la consommation). Cet « aménagement du territoire européen » vise à réindustrialiser le Sud et l’Europe, globalement menacé par une concurrence déloyale de pays d’Asie qui ne respectent pas les règles que nous sommes les seuls à nous imposer. A terme, les pays déficitaires devront pouvoir produire plus chez eux, exporter plus et bien sûr importer moins d’énergie, de plus en plus chère, cause majeur profonde de la crise. Les pays du Sud exportent d’ailleurs bien plus qu’on le dit (les exportations de la Grèce ont augmenté de 30 % entre 2000 et 2010).
l’OMC accorde des privilèges à la Chine encore traitée comme un pays pauvre
Mais le problème est qu’ils importent encore plus qu’ils n’exportent. La réindustrialisation de l’Europe est par conséquent une urgence absolue. C’est par elle que les pays européens parviendront à terme à réduire les déficits dus aux importations en provenance des nouveaux pays industrialisés asiatiques, notamment. Rappelons que ces importations frappent aussi l’Allemagne, bénéficiaire vis-à-vis des Européens, mais déficitaire vis-à-vis de la Chine. Le redressement des économies européennes passera donc certes par une meilleure gouvernance, par des économies d’énergie, et même par une « Troisième Révolution industrielle » faisant la part belle à « l’industrie verte », comme l’a annoncé Jérémy Rifkin. Mais l’Europe devra redéfinir les conditions des échanges avec ses partenaires les plus déloyaux au sein de l’OMC, qui accorde des privilèges à la Chine encore traitée comme un pays pauvre… L’europe ne peut plus accepter d’être l’éternel dindon de la farce. Le retour au principe de réalisme, voir de « realpolitik », devra se substituer à l’idéalisme mondialiste qui l’auto-affaiblit et qui irrite les autres ères géocivilisationnelles.
La nécessaire réindustrialisation du vieux continent devra donc s’opposer à l’écologisme intégriste, cœur du politiquement correct actuel, idéologie suicidaire et misanthrope qui consiste à rejeter l’idée même de croissance industrielle et à punir l’Homme, coupable de tout les maux de la terre.
Car pendant que des pays européens se privent du nucléaire civil, des gaz et pétroles de schistes, qu’ils se désindustrialisent au nom de la « décroissance » prônée par le nouveau totalitarisme vert, nos concurrents, notamment la Chine, l’Inde ou les Etats-Unis, travaillent plus, s’industrialisent ou se réindustrialisent. Ils ne culpabilisent pas, et n’ont pas honte de poursuivre des buts de puissance. Ils ne s’embarrassent pas des scrupules de la Vieille Europe qui a peur de tout, car ils savent que nous sommes en guerre économique et que cette guerre n’épargnera pas les adeptes du « bonisme ». Ils ne se privent d’ailleurs d’aucune source d’énergie, qu’il s’agisse de l’énergie verte dans laquelle ils surpassent déjà les Européens beaux parleurs mais peu productifs, comme du nucléaire et des hydrocarbures. Car ils savent que l’énergie demeure le nerf des guerres et l’une des raisons majeures des crises économiques…
© Alexandre Del Valle
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