Après l’assassinat vendredi dernier du général libanais (sunnite) anti-syrien Wissam el-Hassan, le spectre de la guerre civile revient au pays des Cèdres.
Il est vrai que cet attentat fait suite à une série d’assassinats initiés en avril dernier, lorsque le chef de l’opposition chrétienne, Samir Geagea, ennemi juré de la Syrie, a échappé de justesse à une attaque. Une autre tentative d’attentat a visé peu après le député Boutros Harb, autre adversaire de Damas. Sentant son heure venir, le régime bassiste-alaouite syrien a rappelé ainsi que si les pays sunnites et l’Occident continuent de soutenir les rebelles syriens (sunnites), armés par la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, il mettra le Proche-Orient à feu et à sang. Il est vrai qu’avec son allié chiite libanais du Hezbollah, mieux équipé que l’armée libanaise elle-même, il détient un pouvoir de nuisance redoutable. L’axe géopolitique chiite (Iran-Syrie alaouite-Hezbollah libanais-forces chiites d’Irak), appuyé par la Russie et la Chine, n’entend pas se laisser évincer par les révolutionnaires sunnites appuyés par l’Occident, la Turquie et les pétromonarchies du Golfe. Tel est en effet le double conflit chiites-sunnites et Est-Ouest qui sous-tend la guerre civile syro-libanais
Dans ce contexte global, la situation au Proche-Orient et les révolutions arabes méritent un décryptage un peu moins manichéen que le tableau méchants/gentils dépeint par nos médias et politiques, toujours formatés par la guerre froide, où les méchants sont les nationalistes arabes laïques ou “hérétiques” à la Saddam Hussein, Muammar Kadhafi, Bachar a Assad, ou autres islamistes chiites (Iran, Hezbollah) soutenus par Moscou.
Dans cette dichotomie géopolitique, la Syrie pro-russe et pro-iranienne n’est pas mise au ban des nations parce qu’elle est une dictature (elle ne l’est pas plus que l’Arabie saoudite ou le Pakistan), mais parce qu’elle réprime les rebelles sunnites barbus liés aux monarchies du Golfe et à la Turquie.
C’est donc en toute impunité que ces monarchies islamistes pro-occidentales (Arabie Saoudite, Koweït, Bahreïn) répriment leurs minorités chiites, accusées d’être “pro-iraniennes” mais qui sont surtout coupables de réclamer leurs droits. Il y a donc de mauvais révolutionnaires : chiites de Bahreïn ou de Saoudie, “moins égaux” que les Frères musulmans et les Salafistes sunnites. Dans le même esprit du deux poids deux mesures, alors que l’Iran se voit (à juste titre d’ailleurs) interdit d’accéder au feu nucléaire, et alors que l’Irak laïque de Saddam Hussein fut éradiqué pour cette même raison, l’Occident n’a jamais empêché le Pakistan islamiste-sunnite, encore bien plus dangereux, de posséder l’arme atomique, car cette arme était tournée contre l’Inde et son alliée la Russie…
Le Pakistan militaro-islamiste continue d’ailleurs d’être considéré comme un “allié” de l’Occident, comme s’en est félicité le candidat Mitt Romney, dans son dernier débat contre Obama, préférant réserver le statut d’ennemi géopolitique à la Russie… Pourtant, qui peut nier que la dictature militaro-chariatique pakistanaise a co-créé et soutenu les Talibans afghans et Al-Qaïda, abrité jusqu’à la fin Oussama Ben Laden, soutenu des terroristes islamistes sunnites au Cachemire dans son combat obsessionnel contre l’Inde païenne ?
Quel chef d’Etat occidental bien pensant ose dénoncer avec autant de force les persécutions de chrétiens et de chiites au Pakistan comme il dénonce si fermement celle des sunnites en Syrie ?
De la même manière, le massacre de deux millions de chrétiens au Sud Soudan entre 1960 et 2007, par la dictature militaro-islamiste de Khartoum n’a jamais suscité d’intervention occidentale. Et cette élimination des chrétiens-animistes du Sud, considérés comme des esclaves par le Nord arabo-musulman, n’a jamais été reconnue comme un génocide par les Nations unies, qui ont pourtant officiellement qualifié de génocide l’assassinat de musulmans de Bosnie et du Kosovo dans les années 1990 par des nationalistes de Serbie-Yougoslavie, pays alliés des « méchants » russo-chinois (comme l’Irak de Saddam, la Libye de Kadhafi ou la Syrie d’Assad).
Deux poids deux mesures : les Occidentaux dénoncent l’islamisme totalitaire chiite de Téheran, mais pas celui encore plus totalitaire des salafistes sunnites, armés, financés et formés par l’Arabie saoudite.
La diabolisation de l’Axe syro-iranien n’a donc d’égal que la servilité de ces mêmes Occidentaux envers l’Arabie saoudite, le Koweït, pour qui l’on s’est battu, et le Qatar, nouvel ami-bienfaiteur du Hamas terroriste palestinien et des Frères musulmans. Les Etats du Golfe sont, avec le Pakistan, les vrais parrains de l’islamisme radical sunnite mondial, et leur but géopolitico-religieux est, à des degrés divers, de renverser partout en terre d’islam les derniers régimes non-soumis à la Charià, ce pour quoi ils envoient pétrodollars et prédicateurs tant en Afrique, qu’en Indonésie ou au Proche Orient afin d’étendre le règne du totalitarisme islamiste partout et ceci jusqu’aux banlieues d’Europe.
En conclusion, il est clair que le “Printemps arabe” a émerveillé les dirigeants occidentaux non pas parce qu’ils ont cru à la sincérité des appels salafistes et frères-musulmans à transformer les dictatures arabes en démocraties libérales, mais parce que ces révolutions réactionnaires ont permis à nos alliés pétro-islamistes du Golfe et à la Turquie post-kémaliste et néo-ottomane d’en finir avec les derniers régimes plus ou moins laïques nationalistes ou chiites, en général alliés de Téhéran et de Moscou.
Grâce à Al-Jazira (le « soft power vert ») , au Qatar, à l’Arabie saoudite, à la Turquie d’Erdogan et aux légions de salafistes et de Frères musulmans qui attendaient leur heure depuis des décennies, la Tunisie est aujourd’hui tenue d’une main de fer par les Frères musulmans du parti Enahda, et elle exporte ses Jihadistes salafistes gênants vers le Mali ou la Syrie. L’Egypte est redevenue l’épicentre du monde arabe et le siège du nouveau Califat des Frères-musulmans, tandis que le Maroc a un Premier ministre issu de leurs rangs (parti de la Justice et du Développement, du même nom que le parti islamiste anti-kémaliste au pouvoir en Turquie).
Dans la Libye terrorisée par les Salafistes, le nouveau Premier Ministre libyen soi-disant modéré est surtout le garant de l’application de la Charià est il est lui aussi issu des Frères musulmans. Le Yémen, quant à lui “libéré” de l’ex-Président chiite-laïc Ali.Abdallah Saleh, est l’un des fiefs d’Al-Qaïda avec la zone Mali-Niger-Nigeria et la zone-Af-Pak…
Enfin, la Jordanie du roi Abdallah II risque d’exploser sous la pression des Frères musulmans, majoritaires chez les jordano-palestiniens, tandis que le Hamas terroriste voisin a retrouvé ses parrains naturels sunnites du Golfe, d’où l’accueil triomphal à Gaza cette semaine de l’émir du Qatar Ben Khalifa Al-Thani ..
© Alexandre del Valle
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