Maryline Dumas | Journaliste
L’essayiste s’était démené pour aider la révolution. Mais la mairie de Tripoli refuse de le recevoir, craignant, dit-elle, une attaque de milices islamistes. Tout un symbole.
L’essayiste s’était démené pour aider la révolution. Mais la mairie de Tripoli refuse de le recevoir, craignant, dit-elle, une attaque de milices islamistes. Tout un symbole.
Bernard-Henri Lévy avec des soldats du CNT, à Tripoli le 16 septembre 2011 (Eric Feferberg/Reuters)
(De Tripoli) Il y a tout juste deux ans, Nicolas Sarkozy annonçait le début de l’intervention française qui devait aider les rebelles libyens à mettre fin au régime de Mouammar Kadhafi.
C’est ce qu’il célébrera ce mardi en compagnie du maire de Tripoli, Sadat al-Badri, puis du premier ministre Ali Zeidan. Alain Juppé et Dominique Perben l’accompagnent. Bernard-Henri Lévy aurait bien aimé être de la partie.
« S’il vient, nous lui fermerons la porte »
Le philosophe, à qui l’on prête une grande influence à l’époque sur le président de la République, grand défenseur de la cause des rebelles libyens en 2011, sera absent de cette petite fête.
Selon plusieurs sources au sein de la municipalité de Tripoli, Bernard-Henri Lévy, soutenu par Nicolas Sarkozy, aurait fortement insisté pour être du voyage, arguant qu’Ali Zeidan l’avait invité lors de sa venue à Paris en janvier.
Sauf que l’hôte, aujourd’hui, n’est pas le gouvernement libyen, mais la mairie de Tripoli. Et pour celle-ci, la réponse était claire. Un responsable municipal explique, sous couvert d’anonymat :
« Nous ne l’avons pas invité. S’il vient, nous lui fermerons la porte. Si le Premier ministre l’a invité, qu’il aille donc chez lui ! »
La peur des milices islamistes
Dans un contexte sécuritaire qui reste tendu, la mairie redoutait un incident : Bernard-Henri Lévy est juif, et cela pourrait servir de prétexte aux milices islamistes pour attaquer la mairie, nous expliquait-t-on lundi à Tripoli
Selon une source proche de BHL, Nicolas Sarkozy a failli annuler le voyage et Lévy l’aurait convaincu d’y aller quand même. Que c’était « effectivement un problème » mais que « leurs amis libyens étaient dans une posture délicate car ils devaient faire attention aux islamistes ».
Sur place, ce mardi, le service communication du premier ministre Ali Zeidan confirme que BHL n’était pas invité, « par choix de la mairie ». L’entourage de Nicolas Sarkozy s’est refusé à tout commentaire :
« BHL n’est pas la, point. »
Alors qu’une église copte a été brûlée la semaine dernière à Benghazi et qu’unprêtre a été attaqué à Tripoli, le risque d’un attentat n’est pas négligeable. A tel point que la municipalité avait même envisagé d’envoyer une seconde voiture à l’aéroport pour conduire directement BHL chez le premier ministre Ali Zeidan « puisqu’il l’a invité ».
« Bernard aurait aimé être du voyage »
Que Sadat al-Badri se rassure, Bernard-Henri Lévy a finalement trouvé mieux à faire : il est en déplacement à Lyon. Lundi, le philosophe était injoignable, et ce mardi, il a refusé de commenter nos informations. C’est Gilles Hertzog, un très proche ami qui l’a suivi pendant la révolution en Libye, qui s’est chargé de répondre à nos questions :
« Effectivement, Bernard aurait aimé être du voyage, mais son emploi du temps ne le permettait pas, il a dû faire un choix. »
Quant à la polémique avec la municipalité de Tripoli, le directeur de la publication de la revue la Règle du jeu tacle :
« Parce que c’est la municipalité qui est l’instance invitante ? C’est sûr que Bernard-Henri Lévy a plus de relations avec des Libyens comme Ali Zeidan, qu’avec le maire de Tripoli. »
Nicolas Sarkozy ne fera pas de jaloux
En réalité, l’épisode est révélateur des relations entre la municipalité de Tripoli et le gouvernement libyen. La mairie explique :
« S’il se passe le moindre problème pendant la visite de Nicolas Sarkozy, le gouvernement nous accusera d’être responsables et ce sera l’occasion de tous nous faire sauter. »
Il est en effet de notoriété publique que Sadat al-Badri (maire non élu) n’entretient pas de bonnes relations avec Ali Zeidan. Ce dernier souhaite d’ailleurs remplacer les maires par des préfets qu’il nommerait lui-même.
Très populaire en Libye, Nicolas Sarkozy ne fera pas de jaloux. Il déjeunera avec Ali Zeidan après avoir rencontré Sadat al-Badri. Dans l’après-midi, il devrait rencontrer les députés libyens, même si le lieu reste encore indéterminé pour des raisons de sécurité.
La crainte d’un attentat et le cadeau de Carla
La mairie marche sur des œufs : les renseignements intérieurs disent craindre un attentat. « Cette visite nous permet de remercier Nicolas Sarkozy, de consolider nos liens d’amitié avec la France, mais aussi de redorer notre image. Ce sera l’occasion de montrer que la réalité à Tripoli est différente de ce qu’on voit dans les médias », explique Khaled Ghellali, directeur de la stratégie et des relations internationales à la mairie de Tripoli. Une opération de communication qui n’est pas gagnée d’avance.
Si BHL a été sacrifié pour calmer les islamistes, la mairie de Tripoli fera tout de même un pied de nez aux radicaux : elle compte offrir un cadeau à Carla Bruni. Une réponse au mufti libyen qui a lancé une fatwa contre une déclaration de l’ONU sur les droits des femmes.
« Tout ce qui est arrivé, c’est grâce à lui »
Ce mardi, Abdelkader Hueli, député indépendant de la circonscription de Sebha (sud) nous disait :
« Je n ai pas entendu parlé de ce Bernard-Henri Lévy. Mais s’il est bien juif, je comprends qu’il n’ait pas été invité. Aujourd’hui, les juifs ne sont pas les bienvenus en Libye. Ce n’est pas le bon moment, la situation reste délicate. »
Mohamed el-Houderi, autre député du sud, pense que « au-delà du fait qu’il soit juif c’est sa personnalité qui pose problème. Il a laissé une mauvaise impression en Libye : il cherche à montrer derrière tout ce qu’il s’est passé, que tout ce qui est arrivé est grâce à lui ».
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