Le jeune journaliste et essayiste anglais Douglas Murray l’a dit avec des mots simples : « Rarement dans l’histoire diplomatique, quelque chose d’aussi faux a été véhiculé par tant de gens, pendant aussi longtemps. » (1) C’est pourquoi il n’est guère surprenant que dans les mois qui viennent de s’écouler, Laurent Fabius, François Hollande et Barack Obama aient fait presque simultanément la même déclaration.
Il s’agissait d’affirmer publiquement, sur le mode mesuré et convaincu du pédagogue, qu’Israël est la source principale de l’instabilité au Moyen-Orient. En premier Laurent Fabius. Le 22 août, il rode à Paris sa déclaration dans un entretien radiophonique avec Jean-Claude Bourdin : « on parle moins du conflit israélo-palestinien, mais c’est dans un sens la mère de toutes les batailles si je puis dire. », et la délivre le 24, deux jours plus tard, en visite chez Mahmoud Abbas à Ramallah : « il demeure que la question israélo-palestinienne est une, et peut être la question centrale de la région… »
Israël est visé mais aussi les Palestiniens, peut-on penser, puisque c’est « le conflit israélo-palestinien » qui est mis sur la table. Et bien pas du tout. Fabius a donné d’emblée le fond de sa vision : « Il n’y a pas de paix sans justice. Justice n’est pas rendue aux Palestiniens. Il faut que justice leur soit rendue » Il faut être aveugle pour ne pas voir que le doigt accusateur du ministre désigne Israël. Trois jours plus tard, le 27, François Hollande s’adresse aux ambassadeurs français réunis à Paris. Il énonce les valeurs auxquelles le monde arabe doit adhérer et trace la perspective d’une « Méditerranée des projets ». Et il conclut : « Mais j’ai bien conscience que rien de solide ne pourra se faire sans que le conflit israélo-palestinien n’ait été réglé. »
Un mois plus tard, le 24 septembre, à l’ONU, Barack Obama fait tout aussi fort. Il identifie deux questions centrales : « la volonté de l’Iran d’obtenir des armes nucléaire et le conflit israélo-arabe ». Et il poursuit : « Bien que ces questions ne soient pas la cause de tous les problèmes de la, région, elles ont été une source majeure d’instabilité depuis trop longtemps. » Et pour lever toute ambigüité sur la cible de son blâme, il poursuit : « [Les jeunes gens de Ramallah] …sont choqués de voir leurs familles subir les outrages quotidiens de l’occupation… »
Nous sommes à la mi-2013. La Syrie brûle dans l’horreur. Des massacres secouent l’Egypte à la chute de Morsi, certains déciment les Frères musulmans et d’autres sont commis par les Frères musulmans à l’encontre des Coptes. L’Irak hurle dans l’horreur des carnages infligés par les sunnites aux chiites, et par tous aux Chrétiens. La guerre redouble au Yémen et ses flammes lèchent le sud de l’Arabie. On tue en Libye où l’État s’est évanoui. En Tunisie, la rue fait trembler le pouvoir islamiste et une guérilla pointe à la frontière algérienne. On pourrait poursuivre.
Et voila que des dirigeants occidentaux parmi les plus éminents piétinent l’évidence aveuglante des fait et imputent plus ou moins directement ce chaos à l’État hébreu. Dans quel but ? Il y a cette volonté obsessive de faire pression sur Israël pour qu’il accepte les exigences de Mahmoud Abbas, en faisant l’hypothèse que le problème serait réglé par des concessions. On veut aussi envoyer un message d’empathie au « monde arabe » même s’il est aujourd’hui insaisissable, même si ses contours sont désormais très incertains.
La Reine de Cœur de Lewis caroll trépignait en hurlant une fois par minute à l’oreille d’Alice: « Qu’on lui coupe la tête ! » La vérité, l’hygiène mentale aussi, justifient que l’on examine de plus près cette falsification répétitive, « portée par tant de gens depuis si longtemps, » et baptisée souvent « théorie de la centralité ».
Les origines du chaos arabe ne sont pas mystérieuses. A la différence de l’Asie et de l’Amérique du sud, voila des sociétés qui ont été incapables de s’inscrire dans la modernité au sortir de la période coloniale. Elles cumulent l’échec économique et technologique, l’omniprésence de régimes politiques dictatoriaux ou théocratiques, et l’incapacité d’offrir le moindre avenir à une jeunesse nombreuse. Plus au fond, cette funeste ankylose renvoie à l’héritage d’une culture tribale renforcée par la domination des courants intégristes de l’islam. Dans ce contexte la violence et le sang répondent à la révolte inévitable, et des forces totalitaires antagoniques se succèdent au pouvoir.
Au lieu d’insister sur l’essentiel, sur la nature endogène et culturelle du blocage des sociétés arabes et des éruptions répétitives qui les gangrènent, le schéma de Fabius-Hollande-Obama impute l’instabilité à une force étrangère, Israël. Il justifie l’un des artifices préférés des dirigeants arabes qui veulent garder le pouvoir face aux tentatives réformatrices : la désignation d’un bouc émissaire étranger. Il est remarquable que les premiers insurgés de Tunisie et d’Égypte aient évacué de leur horizon politique le fameux conflit israélo-arabe, et qu’il ait été réintroduit par les islamistes quand ils ont confisqué le pouvoir. Au lieu d’assumer son rôle pédagogique, le trio Fabius-Hollande-Obama, ne fait pas que rendre les « printemps arabes » inintelligibles pour les Occidentaux. Il renforce aussi le blocage des sociétés arabes, donnant du crédit à l’épouvantail juif brandi par les Arabes les plus arriérés, en tout cas les plus hostiles au progrès et à la modernisation de leurs sociétés. Et sous ce joug, les peuples arabes souffrent et se meurent.
D’ailleurs ils ne sont pas niais. Beaucoup d’entre eux sont irrités ou indignés par la fausse piété que l’Occident voue aux Palestiniens. En Égypte, Arafat et par extension le Palestinien moyen, reçoivent le titre de « fils de 10.000 prostituées. » La corruption de Ramallah, les villas et les grosses cylindrées sont légendaires. De nombreux intellectuels arabes, y compris de courageux saoudiens, sont captivés par la réussite israélienne qu’ils opposent au désastre arabe, et où ils pensent trouver peut-être des solutions à leurs propres problèmes.
Il existe une version plus sophistiquée de la « centralité » que l’on trouve par exemple chez Hubert Védrine. Védrine a plus de difficulté à nier l’évidence des faits (le malheur arabe a des causes arabes) que Fabius-Hollande-Obama. Pour lui le chaos des printemps arabes ne s’explique pas complètement par les travers d’Israël. Ouf ! Mais Védrine estime que la non-résolution du conflit israélo-palestinien –imputable à Israël– crée une toile de fond défavorable à la paix. Voila une affirmation intéressante mais qu’il faudrait étayer pour sortir des généralités. Védrine devrait expliquer en quoi cette « toile de fond » produit de l’instabilité pour toute une région. Il est à craindre qu’il ait bien du mal à faire sa démonstration.
On peut cependant identifier un facteur d’instabilité régional manifeste, bien que secondaire ; la politique occidentale au Proche-Orient justement, celle des Védrine, Fabius, Hollande, Obama. En effet, chaque fois qu’ils menacent ou accusent Israël, ces dirigeants illustres injectent une dose d’euphorisant aux jihadistes. Fort de cet appui, leur bellicisme les incite à passer tout de suite à l’action.
Les exemples ne manquent pas pour illustrer cette réalité de la guerre au Proche-Orient encouragéevolens nolens par l’Occident. La carrière terroriste d’Arafat a changé de dimension dans les années 70, à partir du moment où il a reçu la reconnaissance de l’Europe. En poussant furieusement à la politique d’Oslo, au soi-disant échange des « territoires contre la paix », l’Occident donnera à Arafat une infrastructure, une base arrière, de l’argent, des armes et des soldats. Il aura alors les moyens d’une guerre meurtrière, la seconde Intifada.
L’évacuation du Liban sud a donné au Hezbollah un tremplin rêvé pour agresser Israël, mais aussi pour subvertir les institutions du Liban au profit de l’Iran. En poussant Israël à évacuer Gaza, les euro-américains ont aussi donné au Hamas un tremplin rêvé pour agresser Israël, mais en même temps pour subvertir l’Égypte. Cette dernière a beaucoup de mal aujourd’hui à se débarrasser des métastases du Hamas au Sinaï.
Et aujourd’hui, le trio Fabius-Hollande-Obama est assez aveugle pour ne pas comprendre qu’avec un État palestinien aux mains de Mahmoud Abbas et du Fatah, une évacuation israélienne des anciennes Judée et Samarie, et une division de Jérusalem, des guerres israélo-arabes majeures sont inévitables. Et à la clé cette confrontation civilisationnelle entre l’islam et l’Occident qui est le cauchemar d’un Obama ou du Quai d’Orsay. En affaiblissant Israël et son pouvoir de dissuasion, les slogans de la centralité stimulent les forces de guerre et l’instabilité. Les apôtres occidentaux de la vertu et de la compassion alimentent de facto les feux de la violence au Proche-Orient, comme Gribouille se jette à l’eau par crainte de la pluie.
Ce n’est pas tout. Les mots dissimulent souvent une trame idéologique, qu’elle soit ou pas consciente et verbalisée. Quand on impute au minuscule Israël (8 millions d’habitants et 22.000 km2), les troubles structurels du monde Arabe (360 millions d’habitants et 13,7 millions de km2) et quand on maintient cette accusation en dépit des démentis criants de la réalité, on rejoint tout naturellement le long fleuve des réquisitoires antisémites. Comment ne pas voir qu’en soumettant Israël, le premier symbole juif contemporain, à l’infâme accusation d’être la source des troubles permanents d’une immense région, voire du monde (2), on réactive les grandes accusations antisémites, celle des Juifs ligués dans un vaste complot pour dominer le monde (Protocoles des Sages de Sion), et celle des nazis accusant les Juifs de provoquer des guerres.
Soulignant les différences entre l’antisionisme et l’antisémitisme, le journaliste anglais Brendan O’Neill a raison de se demander quand même ce que les antisionistes et les antisémites ont en commun. (3) Et il trouve qu’ils partagent quelque chose à coup férir : la tendance à lier les troubles et les vicissitudes du monde au comportement et aux croyances des Juifs, comme peuple ou comme État. En témoignent les sondages successifs à grande échelle qui placent Israël en tête des pays qui menacent la paix du monde. (4) Sur le champ politico-diplomatique, la doctrine de la centralité actualise l’accusation ancestrale à l’encontre des Juifs.
Les Fabius-Hollande-Obama tressailliront d’indignation à l’idée qu’on associe leurs savoureuses déclarations à quelque soupçon d’antisémitisme que ce soit. Ils en pratiquent pourtant la forme la plus actuelle en toute bonne foi, un peu comme monsieur Jourdain faisait de la prose. Les pratiques diffamatoires des Occidentaux sont d’autant plus répugnantes que les slogans de la centralité sont soigneusement calculés, et servis comme gages d’amitié à cette mince couche de potentats arabes au centre des exécrables campagnes antisémites qui déferlent sans répit sur le monde arabo-musulman depuis qu’Amin al Husseini, le mufti de Jérusalem, ami d’Hitler, a fait de la détestation des Juifs la pierre angulaire de son combat.
La ratification par la France, par l’Union européenne et par l’Amérique d’Obama du lien de causalité entre la politique d’Israël et l’instabilité du Moyen-Orient a aussi des effets directs sur les populations arabes et juives dans le monde. La confirmation par les grandes figures de l’Occident du mythe de l’occupant israélien, le corollaire de la centralité, tend à légitimer la détestation de l’État hébreu aux yeux des Arabes. Or c’est ce bouc émissaire qui les égare et les enchaine à des dirigeants corrompus et/ou incompétents qui profitent goulument du pouvoir. L’Occident aide ainsi à chloroformer des sociétés qui ont tant besoin d’oxygène et de nouveauté. S’ajoutant au fantasme de la souffrance coloniale, le mythe antisémite/antisionsite contribue aussi à entretenir des sentiments artificiels d’injustice et une posture victimaire véhémente dans les populations arabes vivant en Europe. C’est obstacle important à leur implication dans la dynamique de leur continent d’accueil, en même temps qu’une menace physique potentielle pour les membres des diasporas juives.
Notes
1 - Favorite « Key Issue » Fizzles Out Douglas Murray 23 sept. 2013http://www.gatestoneinstitute.org/3987/israel-palestinians-key-issue
2 – Dans sa version extensive, la centralité accuse la politique israélienne de menacer le monde entier dans la mesure où les troubles du Proche-Orient pourraient compromettre la paix mondiale.
3 - Anti-Zionists claim to be completely different to anti- Semites. But there’s one key thing they have in common Brendan O’Neill The Telegraph 19 juill. 2013http://blogs.telegraph.co.uk/news/brendanoneill2/100227161/anti-zionists-claim-to-be-completely-different-to-anti-semites-but-theres-one-key-thing-they-have-in-common/
4 – Par exemple le sondage Eurobaromètre réalisé en 2003 par un groupe d’instituts d’opinion publique (Taylor Nelson Sofres/EOS Gallup Europe) sur commande de l’Union européenne, 59 % des Européens estimaient qu’Israël constituait aujourd’hui la « menace la plus sérieuse pour la paix du monde » Plus de 7500 personnes avaient été interrogées.
par Jean-Pierre Bensimon
Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 12 Octobre 2013
Il s’agissait d’affirmer publiquement, sur le mode mesuré et convaincu du pédagogue, qu’Israël est la source principale de l’instabilité au Moyen-Orient. En premier Laurent Fabius. Le 22 août, il rode à Paris sa déclaration dans un entretien radiophonique avec Jean-Claude Bourdin : « on parle moins du conflit israélo-palestinien, mais c’est dans un sens la mère de toutes les batailles si je puis dire. », et la délivre le 24, deux jours plus tard, en visite chez Mahmoud Abbas à Ramallah : « il demeure que la question israélo-palestinienne est une, et peut être la question centrale de la région… »
Israël est visé mais aussi les Palestiniens, peut-on penser, puisque c’est « le conflit israélo-palestinien » qui est mis sur la table. Et bien pas du tout. Fabius a donné d’emblée le fond de sa vision : « Il n’y a pas de paix sans justice. Justice n’est pas rendue aux Palestiniens. Il faut que justice leur soit rendue » Il faut être aveugle pour ne pas voir que le doigt accusateur du ministre désigne Israël. Trois jours plus tard, le 27, François Hollande s’adresse aux ambassadeurs français réunis à Paris. Il énonce les valeurs auxquelles le monde arabe doit adhérer et trace la perspective d’une « Méditerranée des projets ». Et il conclut : « Mais j’ai bien conscience que rien de solide ne pourra se faire sans que le conflit israélo-palestinien n’ait été réglé. »
Un mois plus tard, le 24 septembre, à l’ONU, Barack Obama fait tout aussi fort. Il identifie deux questions centrales : « la volonté de l’Iran d’obtenir des armes nucléaire et le conflit israélo-arabe ». Et il poursuit : « Bien que ces questions ne soient pas la cause de tous les problèmes de la, région, elles ont été une source majeure d’instabilité depuis trop longtemps. » Et pour lever toute ambigüité sur la cible de son blâme, il poursuit : « [Les jeunes gens de Ramallah] …sont choqués de voir leurs familles subir les outrages quotidiens de l’occupation… »
Nous sommes à la mi-2013. La Syrie brûle dans l’horreur. Des massacres secouent l’Egypte à la chute de Morsi, certains déciment les Frères musulmans et d’autres sont commis par les Frères musulmans à l’encontre des Coptes. L’Irak hurle dans l’horreur des carnages infligés par les sunnites aux chiites, et par tous aux Chrétiens. La guerre redouble au Yémen et ses flammes lèchent le sud de l’Arabie. On tue en Libye où l’État s’est évanoui. En Tunisie, la rue fait trembler le pouvoir islamiste et une guérilla pointe à la frontière algérienne. On pourrait poursuivre.
Et voila que des dirigeants occidentaux parmi les plus éminents piétinent l’évidence aveuglante des fait et imputent plus ou moins directement ce chaos à l’État hébreu. Dans quel but ? Il y a cette volonté obsessive de faire pression sur Israël pour qu’il accepte les exigences de Mahmoud Abbas, en faisant l’hypothèse que le problème serait réglé par des concessions. On veut aussi envoyer un message d’empathie au « monde arabe » même s’il est aujourd’hui insaisissable, même si ses contours sont désormais très incertains.
La Reine de Cœur de Lewis caroll trépignait en hurlant une fois par minute à l’oreille d’Alice: « Qu’on lui coupe la tête ! » La vérité, l’hygiène mentale aussi, justifient que l’on examine de plus près cette falsification répétitive, « portée par tant de gens depuis si longtemps, » et baptisée souvent « théorie de la centralité ».
Les origines du chaos arabe ne sont pas mystérieuses. A la différence de l’Asie et de l’Amérique du sud, voila des sociétés qui ont été incapables de s’inscrire dans la modernité au sortir de la période coloniale. Elles cumulent l’échec économique et technologique, l’omniprésence de régimes politiques dictatoriaux ou théocratiques, et l’incapacité d’offrir le moindre avenir à une jeunesse nombreuse. Plus au fond, cette funeste ankylose renvoie à l’héritage d’une culture tribale renforcée par la domination des courants intégristes de l’islam. Dans ce contexte la violence et le sang répondent à la révolte inévitable, et des forces totalitaires antagoniques se succèdent au pouvoir.
Au lieu d’insister sur l’essentiel, sur la nature endogène et culturelle du blocage des sociétés arabes et des éruptions répétitives qui les gangrènent, le schéma de Fabius-Hollande-Obama impute l’instabilité à une force étrangère, Israël. Il justifie l’un des artifices préférés des dirigeants arabes qui veulent garder le pouvoir face aux tentatives réformatrices : la désignation d’un bouc émissaire étranger. Il est remarquable que les premiers insurgés de Tunisie et d’Égypte aient évacué de leur horizon politique le fameux conflit israélo-arabe, et qu’il ait été réintroduit par les islamistes quand ils ont confisqué le pouvoir. Au lieu d’assumer son rôle pédagogique, le trio Fabius-Hollande-Obama, ne fait pas que rendre les « printemps arabes » inintelligibles pour les Occidentaux. Il renforce aussi le blocage des sociétés arabes, donnant du crédit à l’épouvantail juif brandi par les Arabes les plus arriérés, en tout cas les plus hostiles au progrès et à la modernisation de leurs sociétés. Et sous ce joug, les peuples arabes souffrent et se meurent.
D’ailleurs ils ne sont pas niais. Beaucoup d’entre eux sont irrités ou indignés par la fausse piété que l’Occident voue aux Palestiniens. En Égypte, Arafat et par extension le Palestinien moyen, reçoivent le titre de « fils de 10.000 prostituées. » La corruption de Ramallah, les villas et les grosses cylindrées sont légendaires. De nombreux intellectuels arabes, y compris de courageux saoudiens, sont captivés par la réussite israélienne qu’ils opposent au désastre arabe, et où ils pensent trouver peut-être des solutions à leurs propres problèmes.
Il existe une version plus sophistiquée de la « centralité » que l’on trouve par exemple chez Hubert Védrine. Védrine a plus de difficulté à nier l’évidence des faits (le malheur arabe a des causes arabes) que Fabius-Hollande-Obama. Pour lui le chaos des printemps arabes ne s’explique pas complètement par les travers d’Israël. Ouf ! Mais Védrine estime que la non-résolution du conflit israélo-palestinien –imputable à Israël– crée une toile de fond défavorable à la paix. Voila une affirmation intéressante mais qu’il faudrait étayer pour sortir des généralités. Védrine devrait expliquer en quoi cette « toile de fond » produit de l’instabilité pour toute une région. Il est à craindre qu’il ait bien du mal à faire sa démonstration.
On peut cependant identifier un facteur d’instabilité régional manifeste, bien que secondaire ; la politique occidentale au Proche-Orient justement, celle des Védrine, Fabius, Hollande, Obama. En effet, chaque fois qu’ils menacent ou accusent Israël, ces dirigeants illustres injectent une dose d’euphorisant aux jihadistes. Fort de cet appui, leur bellicisme les incite à passer tout de suite à l’action.
Les exemples ne manquent pas pour illustrer cette réalité de la guerre au Proche-Orient encouragéevolens nolens par l’Occident. La carrière terroriste d’Arafat a changé de dimension dans les années 70, à partir du moment où il a reçu la reconnaissance de l’Europe. En poussant furieusement à la politique d’Oslo, au soi-disant échange des « territoires contre la paix », l’Occident donnera à Arafat une infrastructure, une base arrière, de l’argent, des armes et des soldats. Il aura alors les moyens d’une guerre meurtrière, la seconde Intifada.
L’évacuation du Liban sud a donné au Hezbollah un tremplin rêvé pour agresser Israël, mais aussi pour subvertir les institutions du Liban au profit de l’Iran. En poussant Israël à évacuer Gaza, les euro-américains ont aussi donné au Hamas un tremplin rêvé pour agresser Israël, mais en même temps pour subvertir l’Égypte. Cette dernière a beaucoup de mal aujourd’hui à se débarrasser des métastases du Hamas au Sinaï.
Et aujourd’hui, le trio Fabius-Hollande-Obama est assez aveugle pour ne pas comprendre qu’avec un État palestinien aux mains de Mahmoud Abbas et du Fatah, une évacuation israélienne des anciennes Judée et Samarie, et une division de Jérusalem, des guerres israélo-arabes majeures sont inévitables. Et à la clé cette confrontation civilisationnelle entre l’islam et l’Occident qui est le cauchemar d’un Obama ou du Quai d’Orsay. En affaiblissant Israël et son pouvoir de dissuasion, les slogans de la centralité stimulent les forces de guerre et l’instabilité. Les apôtres occidentaux de la vertu et de la compassion alimentent de facto les feux de la violence au Proche-Orient, comme Gribouille se jette à l’eau par crainte de la pluie.
Ce n’est pas tout. Les mots dissimulent souvent une trame idéologique, qu’elle soit ou pas consciente et verbalisée. Quand on impute au minuscule Israël (8 millions d’habitants et 22.000 km2), les troubles structurels du monde Arabe (360 millions d’habitants et 13,7 millions de km2) et quand on maintient cette accusation en dépit des démentis criants de la réalité, on rejoint tout naturellement le long fleuve des réquisitoires antisémites. Comment ne pas voir qu’en soumettant Israël, le premier symbole juif contemporain, à l’infâme accusation d’être la source des troubles permanents d’une immense région, voire du monde (2), on réactive les grandes accusations antisémites, celle des Juifs ligués dans un vaste complot pour dominer le monde (Protocoles des Sages de Sion), et celle des nazis accusant les Juifs de provoquer des guerres.
Soulignant les différences entre l’antisionisme et l’antisémitisme, le journaliste anglais Brendan O’Neill a raison de se demander quand même ce que les antisionistes et les antisémites ont en commun. (3) Et il trouve qu’ils partagent quelque chose à coup férir : la tendance à lier les troubles et les vicissitudes du monde au comportement et aux croyances des Juifs, comme peuple ou comme État. En témoignent les sondages successifs à grande échelle qui placent Israël en tête des pays qui menacent la paix du monde. (4) Sur le champ politico-diplomatique, la doctrine de la centralité actualise l’accusation ancestrale à l’encontre des Juifs.
Les Fabius-Hollande-Obama tressailliront d’indignation à l’idée qu’on associe leurs savoureuses déclarations à quelque soupçon d’antisémitisme que ce soit. Ils en pratiquent pourtant la forme la plus actuelle en toute bonne foi, un peu comme monsieur Jourdain faisait de la prose. Les pratiques diffamatoires des Occidentaux sont d’autant plus répugnantes que les slogans de la centralité sont soigneusement calculés, et servis comme gages d’amitié à cette mince couche de potentats arabes au centre des exécrables campagnes antisémites qui déferlent sans répit sur le monde arabo-musulman depuis qu’Amin al Husseini, le mufti de Jérusalem, ami d’Hitler, a fait de la détestation des Juifs la pierre angulaire de son combat.
La ratification par la France, par l’Union européenne et par l’Amérique d’Obama du lien de causalité entre la politique d’Israël et l’instabilité du Moyen-Orient a aussi des effets directs sur les populations arabes et juives dans le monde. La confirmation par les grandes figures de l’Occident du mythe de l’occupant israélien, le corollaire de la centralité, tend à légitimer la détestation de l’État hébreu aux yeux des Arabes. Or c’est ce bouc émissaire qui les égare et les enchaine à des dirigeants corrompus et/ou incompétents qui profitent goulument du pouvoir. L’Occident aide ainsi à chloroformer des sociétés qui ont tant besoin d’oxygène et de nouveauté. S’ajoutant au fantasme de la souffrance coloniale, le mythe antisémite/antisionsite contribue aussi à entretenir des sentiments artificiels d’injustice et une posture victimaire véhémente dans les populations arabes vivant en Europe. C’est obstacle important à leur implication dans la dynamique de leur continent d’accueil, en même temps qu’une menace physique potentielle pour les membres des diasporas juives.
Notes
1 - Favorite « Key Issue » Fizzles Out Douglas Murray 23 sept. 2013http://www.gatestoneinstitute.org/3987/israel-palestinians-key-issue
2 – Dans sa version extensive, la centralité accuse la politique israélienne de menacer le monde entier dans la mesure où les troubles du Proche-Orient pourraient compromettre la paix mondiale.
3 - Anti-Zionists claim to be completely different to anti- Semites. But there’s one key thing they have in common Brendan O’Neill The Telegraph 19 juill. 2013http://blogs.telegraph.co.uk/news/brendanoneill2/100227161/anti-zionists-claim-to-be-completely-different-to-anti-semites-but-theres-one-key-thing-they-have-in-common/
4 – Par exemple le sondage Eurobaromètre réalisé en 2003 par un groupe d’instituts d’opinion publique (Taylor Nelson Sofres/EOS Gallup Europe) sur commande de l’Union européenne, 59 % des Européens estimaient qu’Israël constituait aujourd’hui la « menace la plus sérieuse pour la paix du monde » Plus de 7500 personnes avaient été interrogées.
par Jean-Pierre Bensimon
Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 12 Octobre 2013
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