L’Iran continue à mener sa politique d’enrichissement d’uranium et de soutien à la Syrie sans se laisser impressionner le moins du monde par les glapissements indignés des dirigeants occidentaux, ni par l’accroissement des mesures de rétorsions politico-économiques. Qu’est-ce qui fait que le pouvoir en place à Téhéran se sente aussi fort pour poursuivre ainsi dans cette voie que d’aucuns qualifient de « provocation » ?
Par Alain Rodier
La perception des dirigeants iraniens
Pour bien comprendre l’état d’esprit des dirigeants iraniens, il convient de décrypter ce qu’ils pensent réellement et la façon dont ils perçoivent la situation actuelle.
- Pour eux, les Américains (et accessoirement l’OTAN) ont perdu la guerre d’Irak et sont en train de perdre celle d’Afghanistan. En conséquence, Washington ne souhaite pas se relancer dans une aventure militaire qui risque d’être extrêmement coûteuse. La période préélectorale dans laquelle se trouvent les Etats-Unis ne se prête pas non plus à une opération martiale.
- Israël n’a pas assez de moyens techniques pour attaquer l’Iran avec une chance d’obtenir des résultats significatifs. Pour espérer être assez efficaces, ils ont besoin du soutien massif des Etats-Unis. Or, comme cela est dit ci-avant, Washington veut éviter toute nouvelle action qui l’impliquerait militairement.
- L’Union Européenne traverse une crise économique de première importance et ne peut se permettre le luxe que la situation se détériore notablement aux Proche et Moyen-Orients. En effet, les dirigeants européens sont déjà très inquiets par la tournure prise par les évènements en Afrique suite aux « révolutions arabes ». Une déstabilisation des Proche et Moyen-Orients accentuerait encore la crise et accoucherait d’une situation totalement ingérable.
- L’Occident ne pourra maintenir longtemps un embargo sur les exportations de brut iranien car la demande est de plus en plus forte et les prix risquent de flamber.
- L’Occident est par ailleurs incapable sur les plans politique et technique d’arrêter l’effort militaire nucléaire iranien.
- La Chine va poursuivre, sans aucun état d’âme, ses achats d’hydrocarbures à l’Iran. Pékin n’est actuellement intéressé que par une chose : ses propres intérêts, lesquels dépendent totalement de son développement économique. Ce dernier est tributaire de ses approvisionnements énergétiques auquel l’Iran participe directement.
- La Russie et la Chine continueront à imposer leur veto au Conseil de sécurité des Nations Unies contre toute décision impliquant une action militaire contre l’Iran. Ils devraient faire de même avec la Syrie. Le véritable « affront » qu’ils ont subi lors de la guerre contre la Libye n’est pas près d’être oublié. A savoir qu’ils ne s’étaient pas opposés au principe d’une opération visant à protéger les populations civiles mais, en aucun cas l’appui direct apporté aux forces insurgées.
- La Syrie est le seul Etat à majorité sunnite allié de l’Iran. Toutefois, les Alaouites qui tiennent aujourd’hui les rênes du pouvoir sont une sorte de secte syncrétique proche des croyances chiites. La Syrie participe à ce qui est appelé le « croissant chiite » qui est formé d’une partie du Liban (grâce au Hezbollah libanais), de l’Iran, l’Irak et du Bahreïn.
Quelle peut être la suite des évènements ?
Téhéran qui connaît très bien les faiblesses de l’Occident, est en train de rouler ses dirigeants dans la farine.
Malgré ses dénégations, son but reste l’acquisition de l’arme nucléaire de manière à peser dans la confrontation feutrée qui l’oppose aux régimes sunnites d’Arabie saoudite et du Qatar. De plus, la création d’une force de frappe devrait mettre le régime des mollahs à l’abri de toute intervention militaire musclée. La population iranienne, malgré ses divisions et ses rancoeurs à l’égard du régime, reste très nationaliste. Elle ressentirait l’entrée de sa mère-patrie dans le camp des pays détenteurs de l’arme nucléaire comme une grande fierté.
L’annonce par le président Mahmoud Ahmadinejad qu’il ne se représenterait pas aux prochaines élections présidentielles de 2013 participe de ce processus. A savoir que tous les commentateurs vont estimer que le « dur » est enfin écarté et qu’il va pouvoir laisser la place à un « libéral » ou à un « réformateur ». C’est oublier un peu vite que le Guide suprême de la révolution, le Grand Ayatollah Ali Khamenei, qui détient tous les pouvoirs, est encore plus intransigeant que son président.
Un candidat sérieux qui pourrait se présenter est Mohsen Rezaï[1]. Il avait été présenté comme relativement favorable au mouvement vert[2] de 2009. Or Rezaï, qui est actuellement le secrétaire du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur de l’Etat, est en fait un pur et dur qui a commandé les pasdaran de 1981 à 1997.
Ali Larijani, le secrétaire du Conseil suprême de la Sécurité nationale, a également ses chances. En effet, Téhéran sait qu’il a les faveurs des Occidentaux car il a su séduire les interlocuteurs qu’il a eu lorsqu’il était le négociateur en chef sur le nucléaire iranien, poste qu’il a quitté en 2007. Il a déjà été candidat à l’élection présidentielle de 2005 et avait alors obtenu 5,83% des votes.
Ces « jeux de palais » – car seuls des candidats autorisés par les mollahs peuvent se présenter – sont là pour amuser la galerie. En effet, le rôle du président iranien reste limité par rapport au pouvoir détenu par le Guide suprême de la révolution. Le problème sérieux qui pourrait survenir est l’état de santé défaillant de ce dernier. Sa succession poserait un grand problème au régime et pourrait être la source de désordres notables.
Malheureusement, il semble que Téhéran va finalement parvenir à se doter de l’arme nucléaire, même si son programme est considérablement retardé par la guerre secrète menée par Israël et les Etats-Unis[3]. Un renversement des mollahs par une révolution intérieure ne paraît pas être d’actualité. L’Etat hébreu semble se préparer à cette éventualité[4]. Le fait nouveau est la livraison d’un quatrième sous-marin de type 800 Dolphin[5] à Israël, le 3 mai 2012. Deux autres bâtiments de même type devraient suivre dans les années à venir. En complément des missiles balistiques enterrés de typeJericho I, II et III et aux missiles de croisière emportés sous aéronefs, cela permet à Israël de disposer d’une puissance de dissuasion conséquente.
[1] Il s’est déjà présenté aux élections présidentielles de 2009. Il était alors arrivé troisième avec 1,7% des suffrages.
[2] Il a qualifié les procès des responsables du mouvement vert comme « injustes ». Il a condamné le régime dans une lettre publié le 2 août 2009.
[3] Voir la Note d’actualité n° 263 de novembre 2011.
[4] Voir la Note d’actualité n°262 de novembre 2011.
[5] Ce sous-marin baptisé Rahav est une petite merveille de technologie. Doté d’un système de propulsion anaérobie qui lui permet de rester en plongée plusieurs semaines, il peut être armé de missiles de croisière tirés depuis ses quatre tubes de 650 mm (sans compter les six tubes classiques de 533 mm). Ces armes (vraisemblablement une munition à changement de milieu dérivée du missile de croisière Popeye) sont capables d’emporter sur une distance de 1 500 kilomètres une charge militaire de 200 kilos, ce qui est largement suffisant pour une tête nucléaire miniaturisée.
Par Yoram Ettinger
Les pays du Golfe espèrent une action américaine contre l’IranUn Iran nucléaire serait une menace claire pour les régimes pro-américains l’Arabie saoudite et les pays du Golfe Persique, conduirait sur une pente glissante au niveau régional et mondial, augmenterait la violence qui nuirait gravement à l’économie américaine et sa sécurité nationale.
Un haut responsable de Bahreïn m’a dit, que l’Arabie saoudite et le Bahreïn s’attendent à ce que les États-Unis modifient leur politique et recourent à des mesures nécessaires pour éliminer la menace du nucléaire iranien.
Les dirigeants du Golfe Persique paniquent face à la menace nucléaire iranienne croissante.
L’Arabie saoudite et les régimes du Golfe, qui sont considérés comme apostats par les ayatollahs de Téhéran, sont conscients du fait que, contrairement au Pakistan nucléaire et la Corée du Nord, les dirigeants iraniens sont impérialistes, ont des aspirations mégalomanes pour dominer le Golfe Persique, le Moyen-Orient et, à tout le moins, l’ensemble du monde musulman.
Les Etats du Golfe se rendent compte que les sanctions ne sont pas efficaces dans les termes, puisque la Russie et la Chine, ainsi que l’Inde et le Japon, et probablement certains pays de l’Europe, ne coopèrent pas avec les États-Unis.
Quarante ans de diplomatie et de sanctions ont ouvert la voie au nucléaire nord-coréen et ouvrent la route à un Iran nucléaire
L’Arabie saoudite et les Etats du Golfe présument que la politique actuelle envers l’Iran mène sur une pente glissante et meurtrière, face à l’Iran, à un effondrement programmé des régimes pro-américains du Golfe, un effondrement du système d’approvisionnement en pétrole, un effondrement des économies mondiales, une escalade de la prolifération nucléaire au Moyen-Orient et au-delà, une radicalisation du terrorisme islamique contre les régimes musulmans traditionnels et les démocraties occidentales, une possibilité de guerre régionale et mondiale
Les pays du Golfe sont convaincus qu’une politique unilatérale des États-Unis est nécessaire. Ils veulent une intervention militaire massive et des mesures préventives pour dévaster le nucléaire iranien, ainsi qu’une défense aérienne et des infrastructures de missiles afin de minimiser les capacités de représailles de l’Iran, et empêcher les effets désastreux d’un Iran doté de l’arme suprême.
Les Etats du Golfe craignent qu’éviter une action préemptive minerait davantage la posture de dissuasion des États-Unis et la puissance militaire qui constitue l’épine dorsale de leur sécurité nationale, alimenterait le fanatisme de la rue arabe, et condamnerait les régimes pro-américain du golfe.
Ils supposent qu’une frappe militaire préventive et décisive – sans troupes au sol – est une condition préalable à un changement de régime en Iran, qui a échoué en 2009 en raison des hésitations de l’Ouest. On ne peut pas s’attendre que l’opposition interne défie les ayatollahs si les USA et Israël s’abstiennent d’intervenir.
En 1978 et 2011, les États-Unis ont lâché le shah d’Iran et le président égyptien Hosni Moubarak, respectivement, et le changement de régime en Iran a facilité la lutte contre les États-Unis.
En 2012, une action militaire préventive exposerait la vulnérabilité des ayatollahs, et fournirait un élan significatif pour un changement de régime pro-américain.
Au cours des années 1960, les États-Unis ont échoué dans leur tentative d’apaiser, et arracher le président égyptien Gamal Abdel Nasser du bloc soviétique. La guerre des Six Jours de 1967, et non la diplomatie américaine, a dévasté Nasser et fait avorter ses efforts pour renverser les régimes pro-américains en Arabie saoudite et dans le Golfe.
En 2012, l’Arabie saoudite et les Etats du Golfe s’attendent à ce que les États-Unis récupèrent leur posture de dissuasion et éviter les erreurs passées qui ont mis en péril leur survie et ont fait progresser la nucléarisation de la Corée du Nord et de l’Iran.
Est-ce que les États-Unis répondront aux attentes de ces pays en modifiant leur politique? Israël sera-t-il forcé de prendre des mesures préventives pour éviter le danger ?
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