Nicolas Sarkozy surprendra toujours. N’avait-il pas promis qu’en cas de défaite il demeurerait à l’écart de toute politique ? Eh bien, il a tenu à peine trois mois : le 7 août 2012, il signait un communiqué commun avec le chef du Conseil national syrien aux termes duquel, pour justifier une intervention militaire en Syrie, les deux signataires établissaient un parallèle entre la Libye de Khadafi et la Syrie de Bachar al-Assad.
Dominique Bromberger, journaliste de radio et de télévision, longtemps correspondant permanent à Beyrouth, à Londres et à Washington, donne pour Le Monde un autre rapprochement événementiel, cette fois particulièrement pertinent. Polémia le reproduit pour ses lecteurs.
Dominique Bromberger, journaliste de radio et de télévision, longtemps correspondant permanent à Beyrouth, à Londres et à Washington, donne pour Le Monde un autre rapprochement événementiel, cette fois particulièrement pertinent. Polémia le reproduit pour ses lecteurs.
Polémia
Un tyran honni qui, pour se maintenir au pouvoir, fait appel à son allié moscovite, massacre son peuple et détruit ses villes avec les armes fournies par le Kremlin. Un président des Etats-Unis soucieux d'éviter tout conflit international en pleine campagne électorale, des dirigeants français et britannique qui se réfugient dans des condamnations indignées sachant qu'ils ne pourront ni ne voudront rien faire, Moscou et Pékin, enfin, qui s'entendent pour bloquer toute résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. La conjoncture diplomatique qui s'est dessinée autour du drame syrien rappelle étrangement celle qui a entouré un autre carnage qui a eu lieu, celui-là, il y a plus d'un demi-siècle en Europe.
Bien sûr, le monde a changé. Le pacte de Varsovie n'existe plus, l'URSS s'est désintégrée, la Syrie n'a pas de frontière commune avec la Russie, des blindés de l'Armée rouge ne se sont pas portés au secours d'un « régime frère » menacé comme cela fut le cas en Hongrie au début du mois de novembre 1956, mais les prolégomènes de ces deux drames et leur contexte international se ressemblent étrangement.
Du 22 au 24 octobre 1956, des émissaires des gouvernements français et britannique s'étaient secrètement rencontrés, en compagnie du premier ministre israélien, David Ben Gourion, dans une villa de Sèvres pour élaborer le scénario qui allait mener à la désastreuse expédition de Suez. Ce plan reposait sur un gros mensonge, si énorme qu'il n'allait tromper personne. Les Français et les Britanniques encourageaient Israël à attaquer l'Egypte.
L'intervention franco-britannique à Suez fournit à l'URSS une formidable couverture politique. Le général Eisenhower, depuis le début d'une crise qui coïncidait avec les derniers jours de la campagne électorale américaine, n'avait eu qu'une idée en tête : éviter tout conflit avec Moscou. Les Américains ne bougèrent donc pas. L'expédition de Suez et la répression de Budapest consacrèrent le partage du monde entre Moscou et Washington.
Winston Churchill, qui était mort quelques mois plus tôt, avait déclaré : « Un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre. »
Ni Nicolas Sarkozy ni David Cameron ne devaient avoir cette maxime en tête quand ils décidèrent de donner leur propre interprétation à la résolution 1973 sur la Libye. Ce texte autorisait l'emploi de toutes les mesures nécessaires, y compris la constitution d'une zone d'exclusion aérienne, pour protéger la population libyenne insurgée des représailles menées par les forces fidèles au régime de Mouammar Kadhafi.
Nul ne sait, mot pour mot, ce que se dirent les deux hommes d'Etat. Mais, le même jour, le président français annonçait des frappes aériennes et, le lendemain, le porte-parole du gouvernement français, François Baroin, fixait à l'opération un objectif différent de celui de la résolution : « Aider le mouvement de révolte à prendre le dessus sur les forces de Mouammar Kadhafi. »
Au surlendemain du vote de l'ONU, on était passé de la protection des populations civiles au renversement du régime. Les Français allèrent jusqu'à parachuter des armes aux insurgés. Les Russes, successeurs des Soviétiques, s'en inquiétèrent et critiquèrent, mais il était trop tard.
Quant aux Américains, après avoir pendant quelques jours fourni une couverture aérienne aux opérations, ils se désintéressèrent de la question. Barack Obama, élu sur un programme pacifiste, ne voulait surtout pas, alors qu'il allait s'engager dans la campagne pour sa réélection et dans le retrait des troupes américaines d'Afghanistan, devenir prisonnier d'un nouveau conflit.
Comme l'histoire tend à se répéter quand on l'ignore, ce sont les Syriens qui subissent depuis de longs mois les conséquences du mensonge franco-britannique. Leur révolte avait eu le tort de se déclencher quelques jours après celle des Libyens, de même que celle des Hongrois avait éclaté dans la foulée de l'expédition de Suez. Elle passa d'abord presque inaperçue.
Quand MM. Sarkozy et Cameron s'entretinrent de leurs objectifs de guerre en Libye, toutes les villes de Syrie, à l'exception d'Alep, avaient déjà connu de vastes manifestations réprimées avec la violence que l'on sait. Mais les dirigeants français et britannique se rêvaient en chefs de guerre. Comme Guy Mollet et Anthony Eden autrefois, ils étaient persuadés de ranimer, grâce à une opération militaire, leur popularité défaillante.
La Russie et la Chine, qui eurent le sentiment d'avoir été jouées par Paris et Londres, revivifièrent bien vite leur alliance antidémocratique de 1956. Seul dans le gouvernement français, Alain Juppé remarqua : « Les Russes veulent nous faire payer l'intervention en Libye. » La Russie, qui en outre craignait d'être totalement écartée de la Méditerranée par les révolutions arabes, soutint l'insoutenable : le régime du clan Assad. La base de Tartous était son seul point d'appui, la Syrie son seul allié en Méditerranée ; elle ne voulait pas y renoncer.
Il fallut treize mois de révolte et de souffrances au peuple syrien pour que l'ONU pût faire le tout petit geste d'envoyer à Damas quelques dizaines d'observateurs non armés et de confier à Kofi Annan une impossible médiation à laquelle celui-ci dut en fin de compte renoncer. Le président Obama se coula sans complexe dans le moule d'Eisenhower. Sa secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, dut se contenter de quelques déclarations péremptoires sans conséquences, tout comme le gouvernement français nouvellement élu.
Pour M. Obama, le discours du Caire, qui avait, à sa manière, contribué à faire monter l'espoir dans le monde arabe, appartenait déjà à un autre temps.
Ces épisodes étrangement parallèles à plus de cinquante ans d'intervalle nous rappellent que, lorsqu'on néglige l'histoire, celle-ci se venge. Il n'est pas certain que nos dirigeants en prennent jamais conscience.
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