Bien que tous les responsables de l’opposition syrienne le réfutent formellement, Al-Qaida est en train d’infiltrer la « révolution » syrienne sur le terrain.
Par Alain Rodier
Bien que tous les responsables de l’opposition syrienne le réfutent formellement, Al-Qaida est en train d’infiltrer la « révolution » syrienne sur le terrain.
Pour cela, les dirigeants de la nébuleuse islamique jouent sur le fait que l’opposition syrienne est totalement morcelée et que seules les structures opérationnelles d’Al-Qaida présentent un semblant d’organisation. De plus, les activistes qui servent au sein de ces unités ont, pour beaucoup d’entre eux, une expérience du combat, ce qui n’est pas le cas des membres de l’Armée syrienne libre (ASL).
En effet, les groupes dépendant d’Al-Qaida sont essentiellement composés de combattants ayant fait leurs preuves en Irak contre les forces américaines, pendant des années. Des volontaires étrangers proviennent également d’autres théâtres de guerre, à l’exemple des Libyens qui ont connu les combats contre les forces du colonel Kadhafi. Ces activistes expérimentés embrigadent des jeunes sunnites au sein de la population syrienne, la priorité étant désormais donnée au recrutement local. D’ailleurs, cette nouvelle stratégie développée par Al-Qaida est aussi d’actualité sur les théâtres sahélien, somalien, yéménite et tchétchène.
Cette évolution est un retournement complet de situation pour le régime du président Bachar el-Assad, qui a soutenu durant des années les activistes d’Al-Qaida. En effet, depuis 2003, la Syrie servait de point de passage et de repli pour les volontaires internationalistes qui combattaient en Irak. Un des repaires accueillant des activistes d’Al-Qaida se trouvait à Al-Sukariya, dans la province de Dair Al-Zoar, près de la frontière irakienne. Les Américains ont effectué un raid contre cette installation en 2008. Le général Assef Shawkat, beau-frère du président et directeur du renseignement militaire de l’époque – il a été tué lors de l’attentat du 18 juillet 2012 -, était même venu inspecter les dégâts. Bien sûr, les autorités syriennes avaient alors prétendu que seuls sept innocents civils avaient été tués.
Les unités d’Al-Qaida en Syrie
Globalement, il y a actuellement en Syrie sept groupes qui se réclament d’Al-Qaida :
le Front Al Nusra pour la défense du Levant, d’Abou Muhammad al-Julani ;
les Brigades Abdullah Azzam du Saoudien Majid bin al Majid ;
la Brigade du martyr Al Baraa Ibn Malik ;
la Brigade des révolutionnaires de Tripoli, du Libyen Mahdi al-Harat, l’ancien adjoint d’Abdelhakim Belhadj, le chef des forces insurgées libyennes à Tripoli ;
la Brigade de l’Islam (Liwa al Islam) ;
Fatah al-Islam, dont le chef, Abdel Ghani Jawhar – recherché au Liban pour le meurtre de 14 militaires en 2007 -, a été tué en Syrie fin avril ;
la Brigade Omar Farouq en Syrie[1].
D’autres groupes devraient apparaître dans l’avenir, d’autant qu’il est habituel pour eux de changer d’appellation afin de brouiller les pistes de ceux qui les poursuivent. Par contre, pour l’instant, il ne semble pas qu’il y ait un commandement central qui chapeaute toutes ces unités afin de coordonner leurs opérations. Cette phase n’est pas encore d’actualité. Pour le moment, les différents groupes mènent des actions décentralisées, destinées à enrôler un maximum de recrues pour créer des unités structurées, puissantes et opérationnelles. En effet, l’appellation « Brigade » n’est pas à prendre au sens occidental du terme. Il s’agit de groupes qui peuvent aller de quelques dizaines à plusieurs centaines d’activistes. L’unification sous la bannière d’un « Etat islamique de Syrie » se fera donc plus tard.
La présence des djihadistes internationalistes d’Al-Qaida a été détectée grâce aux savoir-faire importés : les attentats à la voiture piégée, des actions-suicide et les engins explosifs improvisés (EEI ou IED en anglais) qui créent de lourdes pertes aux sein des blindés de l’armée régulière. Depuis décembre 2011, plus de 35 cas de voitures piégées et dix attentats-suicide ont été répertoriés. Quatre de ces derniers ont d’ailleurs été officiellement revendiqués par le Front Al Nusra. Ce dernier mouvement a également conquis le poste frontière avec la Turquie de Bab al-Hawa, situé sur l’axe Iskenderun – Alep. C’est désormais un point de ralliement des djihadistes internationalistes qui sont bien décidés à en découdre avec les « Nusayris », autre appellation des Alaouites dont fait partie le président Assad.
Un front syro-irakien est en train de se constituer
Les actions qui se déroulent en Syrie ne doivent pas être dissociées de ce qui se passe aujourd’hui en Irak. Par exemple, la vague d’attentats qui a eu lieu fin juillet 2012, lors d’une opération coordonnée dans quinze ville différentes[2], doit être considérée comme une même vague destinée à s’en prendre à tous ceux qui ne sont pas sunnites dans les deux pays. Abou Bakr al-Husseini (al-Baghadadi), le mystérieux chef de l’Etat islamique d’Irak, l’a d’ailleurs revendiqué dans une déclaration faite sur le net. Pour lui, la lutte qu’il appelle « abattre les murs » couvre les deux pays.
La stratégie d’Al-Qaida vise à créer un Etat sunnite à cheval sur la frontière des deux Etats. Cette « entité » devra servir à s’attaquer aux ennemis ancestraux des sunnites extrémistes : les chiites, les Américains, Israël, les juifs, les chrétiens, etc. Déjà, des groupes d’activistes font le va et vient entre les deux pays au gré des opportunités d’action. Un des principaux points de passage se trouve dans la région de Falloujah, qui est de nouveau contrôlée par Al-Qaida. Cette terre ne fait donc plus qu’une.
Le rôle de Téhéran
Téhéran, tout comme Damas, se retrouve désormais pris à son propre piège. En effet, l’Iran a soutenu dans le passé Al-Qaida en vue de nuire aux intérêts américains, particulièrement en Irak. En conséquence, ce sont maintenant des guerriers entraînés qui s’attaquent aux intérêts chiites dans la région. L’Iran et la Syrie se retrouvent aujourd’hui dans l’obligation de lutter contre ce qu’ils ont aidé à créer.
Ainsi, le leader de la branche iranienne d’Al-Qaida, le Koweitien Muhsin al-Fadhli[3], devrait tenter de quitter prochainement l’Iran pour rejoindre la Syrie. En effet, il risque à tout moment d’être placé en « résidence surveillée », comme c’est déjà le cas pour son prédécesseur Yasin al Suri. Ce dernier est, de plus, sous le coup d’une menace d’expulsion vers la Syrie, ce qui constituerait un geste fort vis-à-vis des groupes d’Al-Qaida sévissant dans ce pays. Al-Fadli est secondé en Iran par Adel Radi Saker al Wahabi al Harbi, un des Saoudiens faisant partie de la liste des 58 personnes les plus recherchées du Royaume. Il faut dire qu’il est considéré comme un chef de guerre extrêmement dangereux ayant combattu en Afghanistan et au Pakistan.
Un des signes de l’exaspération de Téhéran vis-à-vis d’Al-Qaida est l’extradition, vers la Mauritanie, le 2 avril 2011, de Mahfouz Ould al-Walid – alias Abou Hafs al Mauritani – un important idéologue islamique. Jamais auparavant Téhéran n’avait extradé vers un pays demandeur un activiste d’Al-Qaida présent en Iran. Au pire, ils étaient renvoyés vers un pays qui leur faisait un bon accueil comme le Pakistan. Le 24 avril 2012, en représailles à la politique de Téhéran jugée hostile à Al-Qaida, des activistes ont attaqué à la voiture piégée les bureaux de l’attaché culturel iranien à Damas – en fait, une représentation du Vevak (le ministère du Renseignement iranien) en Syrie. A noter cependant qu’al-Walid vit désormais en liberté après s’être engagé à ne plus entretenir de contact avec des mouvements prônant la violence.
A noter que la branche d’Al-Qaida en Iran a longtemps été dirigée par l’Egyptien Saif al-Adel, qui était un « protégé » d’Ayman al-Zawahiri. Toutefois, ce dernier avait également été placé en résidence surveillée et n’était parvenu à partir qu’en 2010, échangé contre Hesmattollah Attazardeh, un diplomate iranien enlevé au Pakistan, en 2008[4]. Après la mort d’Oussama Ben Laden, il a même été question qu’il prenne la direction d’Al-Qaida, n’étant devancé qu’au dernier moment par Al-Zawahiri, plus connu à l’international. Il se trouverait actuellement au Waziristan, dans les zones tribales pakistanaises, mais il n’est pas exclu qu’il se retrouve bientôt en Syrie.
Téhéran apporte son soutien actif au régime syrien, particulièrement en lui « prêtant » des membres de la force Al-Qods des Gardiens de la Révolution. Ironie du sort, c’est cette unité comparable à un « service action » qui a encadré la branche iranienne d’Al-Qaida pendant des années. Toutefois, comme Al-Qods connaît bien ces activistes qu’elle a contribué à former, cette force pourrait se montrer redoutablement efficace dans l’avenir.
Par contre, il faut se souvenir que Téhéran a toujours su se montrer extrêmement pragmatique. C’est pour cette raison que des contacts discrets auraient été noués avec une partie de l’opposition syrienne. En cas de retournement de la situation, cela pourrait lui être utile. Il est également possible que la force Al-Qods continue à garder sous la main une branche d’Al-Qaida à base de djihadistes étrangers. En effet, cela est bien pratique pour mener des opérations clandestines sous un autre pavillon.
Les actions les plus redoutables menées aujourd’hui contre le pouvoir syrien sont majoritairement le fait des groupes dépendant d’Al-Qaida. Leur professionnalisme est bien supérieur à celui des membres de l’ASL, composée essentiellement d’appelés du contingent et d’officiers subalternes peu aguerris. Dans certains endroits, des incidents sont même signalés entre combattants internationalistes et membres de l’ASL, lesquels ne voient pas l’arrivée d’activistes étrangers d’un bon oeil.
Fin juillet, les combats redoublent d’intensité mais les forces syriennes n’ont pas encore donné à plein. En particulier, les chasseurs bombardiers ne sont pas encore intervenus, conformément à la demande des Russes pour une question d’image de marque à l’étranger. L’intervention de Téhéran est aussi restée discrète et pourrait bien s’intensifier dans les semaines qui arrivent. Elle aura surtout pour but d’essayer de neutraliser les activistes d’Al-Qaida, particulièrement, en tentant de les couper de leurs bases arrières situées en Irak et au Liban.
De plus, Téhéran qui sait très bien que la révolution en Syrie est en fait pilotée de l’étranger pour lui nuire va tenter d’internationaliser le conflit y entraînant si possible les Israéliens. Pour cela, des attentats du type de celui de Burgas (Bulgarie), survenu le 18 juillet, pourraient bien se multiplier. Tout le monde a les yeux tournés vers les Jeux olympiques de Londres, mais les infrastructures sportives y sont étroitement surveillées. D’autres lieux moins protégés risquent d’être visés même si rien n’est à exclure formellement.
Contrairement à ce que prétend la propagande savamment relayée par les medias occidentaux, malgré les « succès » militaires enregistrés par la « résistance » à Damas, à Alep et aux frontières turque et irakienne[5], le renversement du régime du président Bachar el-Assad est loin d’être acquis. La guerre civile devrait donc perdurer dans le temps.
Quant à une intervention militaire internationale, il est totalement illusoire d’y penser pour deux raisons :
- jamais l’ONU de donnera son accord car Moscou[6] et Pékin s’y opposeront formellement, ces deux capitales étant désormais trop engagées aux côtés de Damas pour songer un instant faire marche arrière ;
- les risques militaires sont beaucoup trop importants et les opinions publiques des pays « agresseurs » n’accepterait en aucun cas les pertes qu’une intervention musclée provoquerait de part et d’autre. De plus, s’il est aisé de définir où elle commencerait, il est impossible de savoir où elle se terminerait. En effet, un embrasement de la région toute entière ne serait alors pas à exclure.
[1] Il n’est pas sûr que cette unité soit la même que la Brigade Al-Farouq, un groupe très actif de l’Armée syrienne libre dirigée par Abdul Razzaq Tlass, un des neveux de l’ancien ministre de la Défense Moustafa Tlass et cousin du général Tlass, un ami d’enfance du président Assad qui a également fait défection.
[2] Elle a causé la mort d’au moins 116 personnes et fait plus de 300 blessés.
[3] Muhsin al-Fadhli est loin d’être un inconnu. Il aurait participé à l’attaque contre l’USS Cole au large du Yémen, en 2000, et contre le pétrolier français Limburg, en 2002. Il aurait ensuite commandé la « Brigade des lions de la péninsule (arabique) » et a été condamné à dix ans de prison par contumace par un tribunal américain pour diverses opérations terroristes en 2005. Il a été en relations avec d’Abu Moussab Al-Zarkawi. Il collectait des fonds pour le compte d’Al-Qaida ,particulièrement au Koweït où, étrangement, il avait été relaxé de toute charge pesant sur son cas.
[4] Le Koweitien Sulaiman Abou Ghaith, ancien porte-parole de Ben Laden, a également pu bénéficier de cet échange pour quitter l’Iran.
[5] Succès qui risquent fort d’être éphémères.
[6] Moscou ne soutient pas le président Assad mais une certaine stabilité en Syrie. En effet, plus que l’accès de sa flotte au port de Tartous, l’important pour la Russie est sa défense contre l’islam radical. La Syrie est considérée comme le dernier avant-poste qui protège le Caucase d’une expansion islamique.
http://www.israel-flash.com/2012/08/syrie-al-qaeda-sest-infiltre-dans-la-revolution-liste-des-groupes/#axzz22luHPXzP
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