vendredi 11 janvier 2013

Comment peut-on être kurde ?


Comment peut-on être kurde ?

kurdistan

Benoît
Rayski
Journaliste et essayiste.
Comment peut-on être kurde ?
Il est tellement, tellement plus simple, d’être persan… Ou turc, ou irakien, ou syrien.
Comment peut-on être kurde ?
Les trois militantes assassinées jeudi au centre culturel kurde de Paris l’étaient.
Comment peut-on être kurde ?
Les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants gazés à Halabja par Saddam Hussein l’étaient.
Comment peut-on être kurde ?
Les peshmergas dont les corps troués de balles gisent dans les montagnes d’Irak, de Turquie et d’Iran l’étaient.
Comment peut-on être kurde ?
Ils sont 30 millions à l’être.
Les Kurdes sont le peuple le plus emmerdant du monde. Ils ont une langue, une culture, un sentiment identitaire chevillé à l’âme. Mais pas d’État. Et ils n’en auront jamais. Ils ont versé beaucoup de sang, perpétré nombre d’attentats terroristes (Ocalan, emprisonné en Turquie, en sait quelque chose) pour l’obtenir. Comme les Palestiniens, comme tant d’autres. Mais eux n’auront pas d’État. Pour que naisse la République du Kurdistan, il faudrait en effet amputer la Turquie d’une partie de son territoire, enlever quelques arpents montagneux à l’Iran, démembrer l’Irak et détacher un bout de la Syrie.
Inimaginable, impossible, irréaliste, s’exclament les géopoliticiens en chambre, soutenus par nombre d’islamologues raffinés.
Impossible ?
Il y avait une Tchécoslovaquie : elle a été cassée en deux pour accoucher aux forceps d’un État slovaque et d’un État tchèque.
Inimaginable ?
Il y avait une Yougoslavie : on l’a fait exploser pour que, sur ses décombres, voie le jour une kyrielle de petites nations.
Irréaliste ?
Il y avait un Soudan : sa partition, après des dizaines de milliers de morts, a permis la création de la République du Sud Soudan.
Alors, pourquoi pas de Kurdistan ? Très certainement parce que les Kurdes ont de mauvaises fréquentations. Ne sachant plus à quel saint se vouer pour gagner leur indépendance, il leur est arrivé, au gré de leurs rivalités internes, de s’allier au Diable. Un de leurs leaders historiques, Barzani, profita du soutien de Staline : c’était pas bien… Bien plus tard, d’autres factions kurdes d’Irak bénéficièrent de l’appui du Shah d’Iran : c’était très mal… Les mêmes furent aussi, et un peu, aidés par les services secrets israéliens : c’était très, très mal… Et enfin, une zone d’exclusion aérienne formatée par les Américains permit aux Kurdes d’Irak d’échapper à un massacre généralisé : c’était très, très, très mal…
En plus, ces Kurdes sont bizarres. Ils pratiquent un islam apaisé, désinvolte et quasiment mou. Allez à Souleymanieh, la capitale du Kurdistan irakien, vous y verrez des églises chrétiennes que personne ne brûle.
Si la tragédie kurde se perpétue ainsi, c’est que personne, parmi les grandes puissances, n’a la moindre envie de se coltiner avec la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie : ça fait quand même beaucoup. C’est que le monde arabo-islamique (plus d’un milliard d’individus) est, par solidarité religieuse, vent debout contre l’éventualité d’un État kurde. Qui veut mourir pour Souleymanieh ? Personne. Enfin si : les trois femmes assassinées hier à Paris.
Benoît Rayski, le 10 janvier 2013

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