mercredi 16 janvier 2013

Pourquoi Erdogan négocie avec Öcalan, le chef du PKK

Il y a seulement quelques mois, les autorités turques excluaient -au moins publiquement- de considérer comme un interlocuteur Abdullah Öcalan, le chef du PKK qui purge une peine de perpétuité à l'isolement sur l'îlot d'Imrali, en mer de Marmara. Il était le "terörist başı", le terroriste en chef.
Position qui a changé du tout au tout : Recep Tayyip Erdogan a reconnu l'existence de pourparlers avec Öcalan, conduits depuis le 23 décembre par le chef de l'Organisation nationale du renseignement (Milli istihbarat teşkilatı), Hakan Fidan.
Pourquoi ce revirement ?


En premier lieu, le gouvernement turc paraît avoir tiré la leçon de la recrudescence de la violence depuis l'échec, en 2010, de contacts secrets à Oslo (Norvège), entre le Mit et des responsables en exil du PKK, dont Sakine Cansiz, assassinée la semaine dernière à Paris.
Tiré la leçon, également, de la "grève de la faim à mort" de 1700 prisonnier kurdes à l'automne 2012. Seul un geste d'Öcalan y avait mis fin, après 68 jours. Preuve était faite qu'Apo demeure, malgré son long emprisonnement, malgré des déclarations qui ont parfois dérouté ses troupes, l'autorité suprême du PKK et qu'il faut en passer par lui.
Mais cela ne suffit pas à expliquer ce virage.
Après tout, cela fait des années qu'Ankara admettait plus ou moins qu'une solution militaire ne viendrait pas à bout de la question kurde... sans en tirer sérieusement les conséquences.
D'autres raisons ont donc joué. Au moins quatre.
A l'intérieur :
- le renforcement du pouvoir civil; après une décennie aux affaires et trois victoires aux législatives, l'AKP estime son pouvoir suffisamment affermi face aux généraux, affaiblis par des réformes et par de retentissants procès pour complots. Erdogan ose donc "défier" les militaires sur la question kurde, un dossier où l'armée a longtemps suivi sa propre politique... et peut-être même une politique d'enlisement, le conflit justifiant ses énormes budgets.
Erdogan-rtr.JPG- les ambitions d'Erdogan (photo) : il vise la présidence de la République à l'issue du mandat d'Abdullah Gül, qui s'achève en 2014. Cette élection se déroulera pour la première fois au suffrage universel; ramener la paix, après 30 ans de guerre, dans des conditions qui ménagent le nationalisme turc et satisfassent les Kurdes, en terme de droits, serait un excellent argument électoral.
A l'extérieur :
- l'avènement du Kurdistan autonome irakien après la guerre du Golfe (1991), puis son essor depuis la chute de Saddam Hussein (2003). Cela ne s'est pas traduit par l'apocalypse redoutée à Ankara, qui vit toujours avec la grande peur du traité de Sèvres. Au contraire, une coopération -même méfiante- s'est développée avec le gouvernement régional kurde de Massoud Barzani et ce modus vivendi s'avère fructueux en terme de business. L'autonomie kurde n'est plus l'épouvantail absolu.

Ocalan-rtr.jpg- la guerre civile en Syrie a donné un sentiment d'urgence, alors qu'Assad tentait d'utiliser le PYD, extension syrienne du PKK, contre la rébellion et son "parrain" turc. Erdogan, qui cherche à affirmer son influence dans la région, aurait les mains plus libres dans la région s'il obtenait la fin de la lutte armée, que la Turquie traîne comme un boulet. Après l'assassinat la semaine dernière à Paris de Sakine Cansiz, l'une des confondatrice du PKK avec Öcalan (photo), certains regards se tournent d'ailleurs vers Damas, qui aurait tout intérêt à saboter les pourparlers en cours.

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