La Syrie s'enfonce dans le chaos, mais ses dirigeants, pourtant mis au ban de la communauté internationale, paraissent confiants en l'avenir. Tous les récents visiteurs de Bachar el-Assad dressent le même constat: «l'homme est calme, et sûr de gagner la guerre contre les terroristes», le vocable utilisé par Damas pour qualifier ses opposants. Autisme? Confiance en ses appuis internationaux? Faiblesse de ses adversaires. Sans doute un peu de tout cela.
«Les dirigeants syriens pensent qu'ils sont immortels, observe un industriel de Damas qui les fréquentent. Ils s'imaginent qu'avec la détérioration de la situation, les gens vont finir par regretter les jours d'avant la crise, car maintenant ils ont des problèmes d'électricité, de pain, alors pourquoi changer finalement?».
Le régime pense encore survivre à une solution négociée. Américains et Russes, qui ont peur de l'anarchie grandissante et de sa contagion au Liban et en Jordanie, veulent trouver une solution négociée à la crise. «Mais avant de présenter une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU, ils divergent sur le sort d'Assad», affirme un cadre onusien au cœur des pourparlers. Selon lui, «les Russes ne sont pas attachés à Assad. Mais ils répètent que ce n'est pas à l'Occident de décider de son sort. S'il veut partir, d'accord, nous disent les Russes. Sinon, on doit organiser des élections et ce sont les Syriens qui décideront», tranche Moscou.
Dans sa tour d'ivoire de Damas, Bachar - dont l'épouse n'est pas enceinte contrairement à ce que répand la rumeur - pense encore rassembler sur son nom les minorités (30%) et des sunnites, inquiets de l'arrivée d'un pouvoir à connotation islamiste. Le régime a transmis à l'ONU son accord pour que des observateurs internationaux viennent contrôler le prochain scrutin présidentiel, prévu en 2014. Et dans ce but, il a lancé un programme de réconciliation nationale, aux résultats pourtant bien aléatoires.
Fragmentation
La guérilla est éclatée. À travers le pays, les groupes armés se comptent aujourd'hui par centaines. Impossible d'établir une carte politique ou militaire de la Syrie en révolte. La situation dans une ville ne ressemble en rien à celle de sa voisine, et aucun chef charismatique n'émerge du magma en fusion. Certains chefs rebelles soutiennent la Coalition nationale des opposants née au Qatar en novembre uniquement parce qu'elle leur a versés, à un moment donné, armes ou argent. Mais quand les fournitures s'arrêtent, les chefs de guerre vont voir ailleurs. D'où de nombreuses exactions commises lorsque des rebelles sans le sou kidnappent des industriels ou font payer «l'impôt révolutionnaire» aux chrétiens qui ne participent pas à la révolution.
D'autres revendent carrément les armes, acheminées par leurs parrains arabes ou occidentaux. D'où la récente mise en garde d'un service de renseignement européen pour freiner les livraisons de pièces aux insurgés, via la Turquie, certains les ayant revendues à l'armée ou aux djihadistes d'al-Nosra. Classés comme terroristes par les États-Unis, ces derniers sont les seuls justement à recevoir régulièrement armes et argent de donateurs du Golfe: en moyenne 150 dollars par mois pour un combattant d'al-Nosra, contre 70 seulement pour les autres. Ainsi s'explique leur recrutement en hausse, même s'il ne faut pas exagérer l'importance de la mouvance jihadiste: entre 5 et 10% des 150.000 hommes en armes aujourd'hui en Syrie, soit à peine 10.000 hommes, dont 3 ou 4000 étrangers parmi eux. Nous sommes loin de la vague effrayante de terroristes étrangers brandie par le régime.
Conséquence de cette fragmentation: les heurts se multiplient entre combattants nationalistes et djihadistes, dans le nord surtout, mais aussi parfois entre salafistes et al-Nosra, comme récemment dans la banlieue de Mouadhamiyeh à Damas.
Pour se protéger d'une anarchie grandissante, la tendance est au repli sur sa communauté ou son clan. Près de Der Ezzor à l'est de la Syrie largement acquis à la rébellion, des tribus, exaspérées par le chaos ambiant, ont collecté de l'argent pour armer pas moins de 5000 hommes. «Et personne ou presque ne l'a jamais su», constate un diplomate arabe à Damas, qui insiste sur ce «conflit aux pans entiers ignorés du grand public».
«Si une solution n'est pas trouvée assez rapidement, prévient le responsable onusien précité, l'anarchie sera pire qu'en Somalie car les interférences avec les pays voisins seront beaucoup plus importantes».
Le régime s'affaiblit progressivement
Même s'il y a eu peu de défections de hauts-responsables politiques ou militaires, Bachar el-Assad a perdu des cartes stratégiques (barrages sur l'Euphrate, puits pétroliers, bases militaires….). Un peu partout, la population rencontre des problèmes d'essence pour circuler, de mazout pour se chauffer, et à Damas même, l'électricité est coupée en moyenne deux fois deux heures chaque jour. Pourra-t-il encore longtemps payé son armée et ses miliciens ou régler au comptant ses achats d'armes à son allié russe, comme Moscou l'exige?
Pas au-delà de juin prochain, assurent les spécialistes français du dossier, qui ont noté un détail important: le régime a sorti une partie de ses avoirs en cash vers les banques de Dubaï, via son allié irakien.
Cette pression accrue ne serait pas étrangère aux quelques gestes d'ouverture qu'Assad a récemment conssentis. Des convois d'aides humanitaires des Nations unies ont pu ainsi aller approvisionner des réfugiés du nord dans un dénuement extrême.
«Avant, ajoute un diplomate à Beyrouth, quand un quartier était vidé, l'armée continuait de le bombarder. Il s'agissait de montrer à ses habitants que s'ils ne pouvaient plus y revenir, c'était à cause des insurgés, qui s'étaient enfuis laissant la population seule face à des ruines. Aujourd'hui, l'aviation syrienne le fait moins. Comme si le régime cherchait à relâcher la pression», alors que des perspectives de négociations se font jour.
Si certains hauts-responsables syriens se sont faits à l'idée de perdre Alep et le nord du pays jusqu'à Homs, la priorité du régime reste la sauvegarde de Damas. Une forteresse autour de laquelle 100.000 soldats sont près à être déployés, sans compter tous les supplétifs, criminels ou délinquants, qui ont été armés et qui sortent déjà parfois dans les rues de la capitale. Et l'industriel proche du régime de mettre en garde: «On me dit en haut-lieu que si jamais Bachar tombe, la Syrie deviendra une seconde Somalie, car chaque quartier aura ses chefs de guerre qui se battront contre les nouvelles autorités.»
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