lundi 20 février 2012

Ce qui se joue au Proche-Orient – par Guy Millière

 
 
J’explique en détail, dans le dernier numéro d’Israel magazine (que je recommande vivement à ceux qui me lisent ici), ce qui se joue présentement au Proche-Orient : à savoir la montée d’un conflit entre islamistes sunnites et islamistes chiites. 
 
J’explique en détail que ce conflit n’était pas vraiment au programme de l’administration Obama, qui avait, dès 2009, considéré que l’Iran allait être la puissance hégémonique de la région et qu’un équilibre serait trouvé pour compenser l’hégémonie iranienne par la livraison d’armes à l’Arabie Saoudite et par l’accession au pouvoir des Frères musulmans dans les pays du monde sunnite.
 
Les choses se sont passées au départ comme l’administration Obama l’avait prévu et accepté : l’Iran a effectivement accru son influence régionale, et la prise du pouvoir du Hezbollah au Liban et l’abandon de l’Irak par les Etats-Unis y ont contribué. L’Iran a continué à avancer sans obstacles majeurs vers l’arme nucléaire. Des armes ont été livrées en grande quantité à l’Arabie Saoudite. Il restait l’accession au pouvoir des Frères musulmans dans le monde sunnite, et celle-ci s’est enclenchée avec le renversement de Ben Ali, puis celui de Moubarak. Elle s’est poursuivie avec le renversement de Kadhafi en Libye et de Saleh au Yemen.
 
Ce que semblait n’avoir pas prévu l’administration Obama était que les monarques saoudiens se montreraient réticents, puis très mécontents, et iraient jusqu’à mettre en place une contre-offensive.
 
Celle-ci a reposé, d’abord, sur une reprise en main des Frères musulmans par l’intermédiaire du Qatar : reprise en main qui a elle-même conduit à une reprise en main partielle du Hamas par les Frères musulmans. Elle a reposé ensuite sur des aides financières à la Turquie, incitée à regarder beaucoup moins du côté de Téhéran et beaucoup plus du côté de Riyad. Elle se poursuit avec l’insurrection présente en Syrie, en laquelle se font face un allié majeur de l’Iran, le clan Assad, et des forces soutenues par le clan Saoud, le Qatar et la Turquie.
 
L’enjeu est crucial pour l’Iran, puisqu’il s’agit rien moins que de préserver la continuité chiite allant de Téhéran à Beyrouth, et qui semblait être acquise. L’enjeu est crucial pour les Saoudiens, puisqu’en brisant la continuité chiite, ils pourront mettre en place une continuité sunnite dominée par eux, les Frères musulmans et leurs alliés, allant d’Ankara aux émirats du Golfe en passant par la Jordanie (où le roi Abdallah se rapproche beaucoup, ces derniers temps, des Frères musulmans), et des émirats du Golfe au Caire et à Tripoli. 
 
Placée devant cette situation, l’administration Obama oscille, tergiverse, hésite. 
 
Après avoir continué à jouer la carte de l’hégémonie iranienne et conforté le régime Assad (qu’Obama lui-même appelait encore un réformiste trois mois après le début du soulèvement), elle a dû en venir à « réprouver » les massacres et à envisager une alternative sunnite, mais sans aller trop loin. 
 
Elle voulait que la motion présentée à l’ONU soit votée, et pour être certaine qu’elle le soit, l’avait (voir mon article précédent sur la Syrie) totalement vidée de sa substance : la Russie et la Chine voteraient favorablement, pensait-elle. Il s’est avéré que non : la Russie et la Chine ont affiché ouvertement leur mépris pour l’occupant de la Maison Blanche. 
 
L’administration Obama aujourd’hui, réfléchit, dit-on, à une action « humanitaire ». 
 
Ce sont des mots, et les paramètres sont simples : l’administration Obama ne fera rien qui puisse fâcher la Russie et la Chine, et rien dans l’immédiat qui puisse la placer en conflit direct avec l’Iran. Elle doit et devra, en parallèle, ménager l’Arabie Saoudite, verbalement au moins. 
 
Il semble qu’on souhaite à Washington que les promesses faites par Bashar al Assad à Sergei Lavrov, ministre des affaires étrangères russes, d’en finir rapidement soient tenues. La technique utilisée par Poutine pour en finir avec le soulèvement tchétchène semble être utilisée pour en finir avec le principal bastion sunnite en Syrie : Homs. Et la ville de Homs dans quelques jours pourrait bien ressembler à Grozny en 2003. Si Bashar al Assad ne tient pas ses promesses, une autre issue sera envisagée. Mais elle n’est pas sur la table pour le moment. 
 
Placée devant cette situation, l’administration Obama voit aussi s’accroître des tensions avec l’Iran qu’elle n’avait pas prévu non plus.
 
Le programme était, disais-je, que l’Iran soit la puissance hégémonique de la région et qu’un équilibre soit trouvé par la livraison d’armes à l’Arabie Saoudite et l’accession au pouvoir des Frères musulmans dans les pays du monde sunnite. Ce programme prévoyait que l’Iran avance jusqu’à l’arme nucléaire et se voie proposer alors un marché susceptible de contenter tout le monde, ou presque : l’Iran renonce au nucléaire, et en échange, Israël renonce aussi au nucléaire. Le Proche-Orient devient une zone sans nucléaire. En supplément, un gouvernement israélien terrifié cède non seulement sur le nucléaire, mais aussi sur la question palestinienne, et accepte de retourner aux « frontières » de 1967, d’abandonner Jérusalem Est et la Vieille ville et qu’un Etat palestinien soit créé dans une Judée-Samarie épurée de toute présence juive, avec Jérusalem Est pour capitale.
 
La contre-offensive sunnite conduit non seulement à l’insurrection en Syrie, mais aussi aux tensions dans le détroit d’Ormuz qui (je l’explique aussi en détail dans Israel magazine) ont tout à voir avec le conflit sunnites-chiites et quasiment rien à voir avec les Etats-Unis : bloquer le détroit d’Ormuz serait un coup très dur pour les Saoudiens et les émirats. Elle conduit Khamenei à tenir des discours bien plus bellicistes, incendiaires et génocidaires et, pour préserver son prestige dans le monde musulman face à l’offensive sunnite, à menacer Israël d’une destruction prochaine et rapide. 
 
Israël, dans ce contexte, songe très sérieusement à une intervention militaire contre l’Iran, intervention dont l’administration Obama ne veut à aucun prix.
 
L’administration Obama doit, dès lors, trouver des réponses et des parades. Tout comme elle souhaite, plutôt que les massacres s’arrêtent en Syrie et qu’Assad en finisse, elle entend ne pas se trouver impliquée dans un conflit dans le détroit d’Ormuz. Et elle entend empêcher Israël d’agir.
 
La présence de soldats américains sur le sol israélien était censée intimider Israël, qui, pensait-on à Washington, ne prendrait pas le risque d’impliquer les Etats-Unis et de subir des représailles susceptibles de faire des victimes américaines sans accord de l’administration Obama. Des manœuvres conjointes contraindraient l’armée israélienne à coordonner toute action avec l’armée américaine, et la coordination impliquait, de la part de l’administration Obama, un refus d’action contre l’Iran. Les manœuvres ont été annulées par Israël. 
 
La présence de neuf mille hommes de troupes américains en Israël risquant de ne pas être suffisante pour intimider Israël, il fallait des réponses supplémentaires, et l’entretien donné par Leon Panetta au Washington Post la semaine dernière les a fournies. 
 
En disant que l’administration Obama s’attendait à une intervention militaire israélienne contre Téhéran entre avril et juin, Panetta a, sous le couvert de « prévisions », révélé les projets éventuels des Israéliens, permis aux Iraniens d’anticiper, et donc détruit l’effet de surprise d’une opération militaire israélienne si elle était envisagée. 
 
En disant que l’administration Obama réprouvait une intervention militaire contre l’Iran et pensait que les sanctions étaient à même de fonctionner, il prononçait un désaveu préventif d’une action israélienne potentielle, et indiquait que les Etats-Unis ne coopéreraient pas à cette action potentielle. 
 
En ajoutant enfin, que si, dans le cadre d’une riposte, des centres urbains israéliens étaient touchés, les Etats-Unis défendraient la sécurité d’Israël, il se plaçait dans le cadre où la défense d’Israël par les Etats-Unis interviendrait, le cas échéant, après une frappe contre l’Iran et après une riposte de l’Iran. 
 
Autrement dit, et le message a été répété clairement, nettement et explicitement : l’administration Obama ne veut pas de frappes israéliennes contre l’Iran, et elle fera tout pour les déjouer. Si des frappes ont lieu quand même, elle les réprouvera, et les entravera. Son intervention au côté d’Israël, si Israël est attaqué ensuite, sera tardive. 
 
Israël peut-il agir dès lors ? Disons que ce sera très risqué et très compliqué, et que Binyamin Netanyahu préférerait sans doute attendre qu’il y ait un autre occupant à la Maison Blanche. 
 
Disons aussi que s’il semble absolument imminent que l’Iran dispose de l’arme nucléaire, Israël agira, avec tous les dangers que cela implique.
 
Disons (je l’explique là encore en détail dans Israël magazine) qu’Israël bénéficiera de la mansuétude très implicite et très provisoire des dirigeants saoudiens. 
 
Disons que, le cas échéant, l’administration Obama ne pourra faire autrement que se placer au côté d’Israël, car trahir Israël trop ouvertement serait inacceptable pour le peuple américain. 
 
Disons que l’administration Obama n’interviendra pas militairement elle-même contre l’Iran, sauf si (ce qui semble très improbable), elle pense en avoir absolument besoin pour remporter les élections de novembre. 
 
Disons en ce contexte que si Obama est réélu, le pire est à attendre. 
 
Islamistes chiites et islamistes sunnites sont fondamentalement ennemis du monde occidental et, à moyen terme, également ennemis d’Israël.
 
Obama deux (2012-2016) envisagerait toujours que l’Iran avance jusqu’à l’arme nucléaire et se voie proposer alors un marché susceptible de contenter tout le monde, ou presque. Israël se verrait demander de renoncer au nucléaire au nom d’un Proche-Orient « dénucléarisé ». Israël se verrait demander aussi de « régler » la question palestinienne aux conditions demandées par Obama et l’Arabie Saoudite. 
 
Je reviendrai sur ces points dans les deux livres que je publierai en 2012. L’un sera basé sur des entretiens avec mon ami Daniel Pipes. L’autre s’appellera « le désastre Obama ». Le titre sera en conformité avec le contenu. 
 
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© Guy Millière pour www.Dreuz.info

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