Deux semaines après le début des manifestations, d'abord contre l'aménagement du parc Gezi d'Istanbul puis contre son style autoritaire, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a bel et bien reculé.
L'arrachage des 600 platanes du parc Gezi (pour faire place à un centre commercial) est suspendu jusqu'à une décision de justice; autrement dit pour des mois. Et si la justice finissait par donner son feu vert au projet, il sera soumis à un référendum.
Rappelons qu'il y a deux semaines, le Premier ministre jurait de mener à bien la refonte du pourtour de la place Taksim ("Nous avons décidé!") et qu'il envoyait la police gazer les défenseurs des arbres.
Il y a dix jours, il traitait de "vandales" et d'"extrémistes" ceux qui lui résistaient.
Mercredi soir, il recevait des "opposants" triés sur le volet. En vain...
Jeudi soir, il a fini par parlementer avec la "Plateforme de Taksim", autrement dit les vrais représentants de la contestation.
Cinq raisons expliquent cette reculade, qu'Erdgogan essaie de masquer derrière des discours toujours quasi martiaux.
1. L'ampleur de la contestation : la violence de la charge policière contre le parc Gezi, le 31 mai, a propagé l'indignation à près de 70 grandes villes... Habitué aux congratulations, Erdogan, le modèle de démocratie islamique proposé au monde arabe, a été cueilli à froid.
2. Les condamnations venues d'Europe (même si Erdogan les a sèchement rejetées), alors que les affrontements ont fait 4 morts et 7500 blessés, selon l'Union des médecins turcs.
3. La chute de la bourse d'Istanbul, soumise au yoyo depuis deux semaines. Après dix ans de forte croissance, et l'enrichissement des classes bourgeoises conservatrices d'Anatolie centrale, l'AKP est d'une certaine manière devenu le parti des milieux d'affaires. Erdogan a beau fustiger le lobby des taux d'intérêt, il est l'otage d'un système qu'il a beaucoup servi Erdogan.
4. Les fissures au sein de l'AKP. Le président Abdullah Gül a implicitement critiqué Erdogan, plusieurs députés l'ont fait ouvertement. L'ancien ministre de la Culture Ertugrul Günay (issu de la social démocratie) ou le député alévi d'Istanbul Ibrahim Yigit notamment.
Ce dernier a demandé au Premier ministre s'il voulait déclencher une guerre civile en diabolisant à chaque discours les manifestants. Il a aussi critiqué, comme les manifestants, la prétention croissante d'Erdogan et de l'AKP à régenter le mode de vie des citoyens : "Moi, en tant que député de l'AKP, je bois (de l'alcool) et personne n'a le droit de s'en mêler", déclarait-il cette semaine.
Anecdotique?
Révélateur, plutôt. C'est dire au Premier ministre que s'il persiste, il ruinera ce qu'il a construit et perdra les "50% de l'électorat" dont il se prévaut.
C'est rappeler à Erdogan que l'AKP est une coalition -disciplinée jusque-là- et que s'il s'entête, il perdra en route les modérés et les libéraux qui avaient rejoint les ex-adeptes de la charia par rejet des militaires.
C'est signifier au "néo sultan" qu'il peut faire une croix sur son rêve de devenir président de la République : l'élection, en 2014, se déroulera pour la première fois au suffrage universel.
Erdogan aura alors besoin de 50% plus une voix. C'est la 5e raison.
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