jeudi 11 juillet 2013

En Syrie, des salafistes en recul

Un rebelle syrien, dans le sud de la Syrie.

Un rebelle syrien, dans le sud de la Syrie. | AFP/DANIEL LEAL-OLIVAS

Jadis réduits à la quasi-clandestinité par la répression, les salafistes syriens comptent aujourd'hui parmi les forces les plus influentes de la rébellion. Si leur représentation au sein de la Coalition Nationale se réduit pour l'essentiel à la figure de Riyad Hassan, "ambassadeur" en Libye, leur influence au sein de l'insurrection est incomparablement plus grande. Outre la frange la plus radicale représentée par le Front Al-Nusra, le salafisme inspire dans une grand mesure les deux principales coalitions insurgées : le Front islamique de libération de la Syrie, rattaché à l'Armée syrienne libre (ASL), et le Front islamique Syrien, indépendant de cette dernière.

Certains observateurs voient dans ce phénomène le résultat inévitable d'une radicalisation idéologique alimentée par la violence du régime et la polarisation confessionnelle entre sunnites et alaouites. D'autres mettent en exergue l'influence des États-parrains de l'insurrection, et en particulier de l'Arabie Saoudite et du Qatar. Ces deux analyses sont incomplètes, car l'influence acquise par les factions salafistes en Syrie est en réalité la conséquence d'un contexte propre aux premiers mois de l'insurrection. Or, il semble aujourd'hui toucher à sa fin. Les salafistes ne vont pas être mis hors-jeu mais leur poids parmi les rebelles risque de diminuer ; un renforcement des éléments les plus pragmatiques au détriment des plus aventureux paraît probable.

La force relative des factions salafistes est en réalité le produit de l'abondance des financements privés grâce aux donateurs du Golfe. Certains des premiers officiers déserteurs se laissent ainsi pousser la barbe, sous la pression de concurrents civils d'orientation salafiste. Ces derniers sont plus à même de capter l'aide des réseaux du Golfe, notamment grâce à Muhammad Surur Zayn Al-Abidin, expatrié syrien établi en Jordanie, très influent dans la péninsule et auquel le Front islamique de libération de la Syrie doit vraisemblablement une bonne partie de ses ressources.
Le Koweït, État faible et relativement libéral, joue également un rôle crucial dans la collecte de dons provenant des citoyens de l'émirat mais également de l'Arabie Saoudite voisine. Souhaitant contrôler l'aide aux rebelles syriens, les autorités de Riyad ont en effet interdit toute initiative privée dans ce domaine. Alors que les Frères Musulmans koweïtiens et les salafistes quiétistes concentrent leurs efforts sur l'action humanitaire, des figures appartenant à l'aile politisée du salafisme local s'affirment comme les chevilles ouvrières du soutien financier à l'insurrection syrienne : le député Walid Al-Tabtaba'i, le téléprédicateur Hajjaj Al-Ajami ou encore l'idéologue du parti de l'Oumma Hakim Al-Mutayri, salafiste "libéral" farouchement anti-impérialiste.

L'islamisme n'est pas un projet de gouvernement"
Fin 2012, l'ascension du salafisme semble irrésistible, les rebelles leur doivent alors la plupart des victoires remportées. C'est pourtant à ce moment-là que la situation commence à basculer. Dans la province de Deraa, au sud, les renseignements jordaniens transfèrent aux insurgés des armes croates achetées par l'Arabie Saoudite. Or, Riyad et Amman se méfiant des mouvements islamistes, ces armes sont livrées en priorité aux officiers déserteurs se réclamant de l'ASL du général Salim Idriss et donc à la frange la moins islamiste de la rébellion.
La même politique sera ultérieurement étendue dans le reste du pays au bénéfice de groupes étiquetés ASL comme les Maghawir, Shuhada Suriyya, Ahfad Al-Rasul ou encore les brigades Nur Al-Din Zanki. Le cas de ce dernier groupe illustre bien l'impact de l'aide étatique. Si à l'origine, il s'agissait d'une branche du mouvement salafiste radical Al-Fajr, il représente aujourd'hui à Alep le Front de l'authenticité et du développement, une coalition islamo-nationaliste pro-saoudienne. Ces groupes ont récemment reçu de Riyad de nouveaux missiles antichars chinois qui leur ont permis de repousser une offensive lancée par le régime dans l'ouest d'Alep.
Le Qatar joue il est vrai une partition différente puisqu'il aurait dernièrement livré des missiles provenant de Libye aux salafistes de Suqur Al-Cham et Ahrar Al-Cham. Toutefois, le soutien de Doha ainsi que la crainte de finir un jour sur les listes antiterroristes américaines encouragent ces factions au pragmatisme. Issu de la mouvance jihadiste transnationale, Ahrar al-Cham s'est efforcé de mettre en avant la dimension strictement syrienne de son recours à la lutte armée. Quant au leader de Suqur al-Cham Ahmad al-Cheikh, il affirmait récemment sur Al Jazeera qu'il revenait au "peuple syrien" de décider de l'avenir de ses relations avec Israël.
Ces développements surviennent à un moment où les groupes salafistes font face à de nouvelles difficultés. La principale est indubitablement la division du Front al-Nusra entre ceux qui souhaitent continuer à opérer en tant qu'organisation syrienne et les partisans d'une fusion avec l'État Islamique d'Irak, désormais renommé " État Islamique d'Irak et du Levant ". À Raqqa, une ville libérée où les salafistes sont particulièrement forts en raison d'alliances passées avec certaines tribus locales, les plaintes de la population auraient contraint les factions concernées à limiter leurs interférences dans la vie quotidienne des habitants.
Tout ceci permet d'entrevoir un avenir où, plutôt que d'être phagocytée par les plus radicaux, l'insurrection syrienne se diviserait de manière croissante, mais pas nécessairement conflictuelle, entre d'une part une aile islamo-nationaliste dominée par les officiers déserteurs et renforcée par l'aide logistique saoudienne, et d'autre part une aile salafiste poussée au pragmatisme par l'influence combinée des partenaires internationaux et des résistances civiles.

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