Comment le renversement de Morsi gêne la campagne des Etats-Unis pour un changement de régime en Syrie
Le coup d’Etat militaire du 3 juillet qui a fait chuter le président égyptien Mohamed Morsi et son gouvernement soutenu par les Frères musulmans (FM) a des ramifications significatives pour la campagne menée par l’impérialisme américain visant à destituer Bachar al-Assad de Syrie.
Les liens entretenus par les Etats-Unis avec les Frères musulmans et d’autres forces islamistes comme base pour sauvegarder leurs intérêts au Moyen-Orient risquent maintenant de générer des conditions de guerre civile en Egypte même.
Après la chute de Hosni Moubarak et de Zine El Abidine Ben Ali, Washington avait placé ses espoirs en Egypte, tout comme en Tunisie, dans les forces islamistes pour stabiliser la situation. Les Frères musulmans représentent l’une des tendances islamistes « modérées » que le gouvernement Obama utilise comme moyen pour contrôler l’influence du Front al Nusra et d’autres groupes salafistes liés à al Qaïda.
C’est ainsi que le 15 mai, l’influent groupe de réflexion Fondation Carnegie pour la paix internationale (Carnegie Endowment for International Peace) a publié un article écrit, par Raphaël Lefèvre, précisant que les Frères Musulmans étaient le groupe d’opposition le mieux organisé de Syrie, que les Frères Musulmans seront le centre de gravité de toute coalition islamiste large et que son importance croissante dans le pays était en train de replacer le spectre islamique vers le centre.
L’Egypte est actuellement en prise avec un conflit de factions entre la junte militaire et les partisans des FM et qui se déroule dans le contexte de mobilisations de masse de la classe ouvrière qui menacent les fondations mêmes du capitalisme égyptien.
L’armée égyptienne avait totalement soutenu les efforts entrepris par les Etats-Unis pour un changement de régime, d’abord en Libye et maintenant en Syrie, vu que son existence dépend fortement de Washington. Toutefois, l’armée s’inquiétait de voir les FM présenter ouvertement la guerre syrienne comme un djihad, tout particulièrement dans le contexte d'une opposition populaire croissante à l’attitude pro américaine de Morsi en Egypte où islamistes et dirigeants de l’armée représentent de puissantes sections rivales du système capitaliste.
Le dirigeant spirituel des Frères musulmans, Youssef al-Qaradawi (photo), a été le premier à demander que les Sunnites mènent un djihad contre les Alaouites et les Chiites en Syrie. Ensuite, le 15 juin, Morsi a participé à un rassemblement comptant 20.000 personnes, à l'appel des religieux sunnites au Caire et durant lequel il a dit avoir rompu toutes relations diplomatiques avec la Syrie. Il a ajouté qu'il soutenait l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne qui marquerait le début d’une intervention directe en Syrie de Washington et de ses alliés en Europe et au Moyen-Orient.
Il a clairement émis l’hypothèse que cette position plairait aux Etats-Unis qui avaient ouvertement recentré leur politique vers un armement de l’insurrection. Cependant, selon des sources militaires ce discours aurait été le « point de basculement » et une « ligne rouge de sécurité nationale » pour de nombreux généraux. « Les forces armées avaient été très alarmées par la conférence syrienne à un moment où l’Etat était en train de passer par une crise politique majeure, » a dit un officier.
Yasser Al-Shimy, analyste de l’International Crisis Group a dit que l’appel de Morsi risquait de créer une nouvelle génération de djihadistes en Egypte, pays d’origine du dirigeant d’al Qaïda, Ayman al-Zawahri.
Le gouvernement Obama, confronté à l’éruption de luttes potentiellement révolutionnaires en Egypte, a dû choisir entre, soit rester loyal envers Morsi et les Frères Musulmans soit miser sur ses liens historiques avec les dirigeants de longue date de l’Egypte, en l’occurrence l’armée. Il s’est rangé du côté de l’armée.
Assad lui-même en a conclu que les efforts menés par les Etats-Unis pour le destituer sont en train de se détériorer. Le 4 juillet, lors d’un entretien avec le quotidien Al Thawra, il est allé jusqu’à proclamer la chute de « l’Islam politique » en tant que modèle et a prédit la victoire dans une guerre civile.
Il a dit que ses adversaires islamistes avaient cherché à détruire la Syrie en créant « un Etat failli », mais qu'ils avaient échoué. Maintenant, seule une intervention étrangère directe changerait la situation, « Mais il y a des hésitations et un refus de la plupart des pays et donc si nous pouvons surmonter cette étape avec fermeté et conscience, nous n’aurons plus rien à craindre. »
Les Etats-Unis éprouvent certainement de plus en plus de difficultés, mais les affirmations d’Assad selon lesquelles l’offensive américaine en Syrie a été pratiquement vaincue est un leurre. Le changement de régime en Syrie et en Iran reste l'objectif stratégique de Washington et il maintient ses alliances avec de nombreux régimes islamistes quel que soit le sort immédiat de Morsi et les problèmes que connaissent les FM dans la région.
La position adoptée par les alliés des Etats-Unis face à la chute de Morsi n’est nullement universelle. Certains sont ouvertement hostiles tandis que d’autres le sont moins, en fonction de la manière dont ils croient que leurs intérêts nationaux et internationaux sont le mieux servis.
Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a condamné l'éviction de Morsi. «Il est clair que les coups d’Etat sont des ennemis de la démocratie », a-t-il dit au parlement en attaquant l’Occident pour avoir « raté le test de sincérité » en refusant de qualifier l’éviction de Morsi de coup d’Etat. »
Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, Erdogan, qui est le chef du Parti de la Justice et du Développement (AKP), est en lutte constante avec l’armée nationaliste séculaire de son pays. Il a arrêté des centaines d’officiers de l’armée accusés de comploter des coups d'Etat. Ces dernières semaines, il a été confronté à une opposition populaire de masse, bien que d'une ampleur nullement comparable à celle de l'Egypte, opposition à l’islamisation de la société jusque-là séculaire de Turquie.
L’Arabie saoudite et le Qatar sont généralement considérés comme soutenant les FM mais la situation réelle est plus complexe.
En Syrie, l’Arabie saoudite a soutenu des groupes triés sur le volet, en consultation avec Washington, de façon à ne pas aider ceux, comme les FM, qui sont jugés être une éventuelle menace à sa sécurité. Tout comme le Bahreïn, elle doit aussi faire face, à l’intérieur de ses frontières, à une vaste population chiite opprimée.
Le Qatar a, jusqu’à ce jour, ouvertement soutenu les FM ainsi que de nombreux autres dont le Front Al Nusra. Sa chaîne de télévision par satellite Al Jazeera transmet régulièrement les sermons d’al-Qaradawi et a été fermée par les généraux égyptiens.
Mais Riyadh et Doha ont tous deux tenu à féliciter le premier ministre intérimaire Adly Mansour après son installation au pouvoir par le SCAF (Conseil suprême des forces armées).
Le 2 juillet, deux jours avant l’éviction de Morsi, les Emirats arabes unis ont emprisonné 68 membres d’al-Islah, lié aux FM, accusés d’avoir comploté pour renverser le gouvernement. La plupart se sont vus infliger des peines allant de sept à dix ans. 26 autres, dont 13 femmes, ont été acquittés. Huit accusés qui ne se trouvent plus dans le pays ont été condamnés à 15 ans d’emprisonnement. Les accusés font partie d’un mouvement d'opposition croissant dans le pays.
Entre-temps, l’opposition syrienne continue de courtiser le soutien occidental au milieu d’efforts entrepris par les puissances régionales rivales afin d’assurer leur propre hégémonie. Cette semaine, la Coalition nationale syrienne (SNC) qui s'est réunie en Turquie a élu Ahmad Assi Jarba, chef d’une tribu du Nord-Est de la Syrie, comme son nouveau président.
Jarba est allié à l’Arabie saoudite et est donc hostile aux FM. Il a battu de justesse Mustafa Sabbagh, un homme d’affaires et un allié du Qatar. Mohammed Farouk Tayfour des FM a été choisi comme l’un des trois vice-présidents. La SNC a, une fois de plus, lancé un appel aux puissances occidentales et aux Nations unies à « intervenir immédiatement » pour aider la ville assiégée d’Homs, bastion clé de l’opposition.
Chris Marsden
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