mercredi 18 septembre 2013

Syrie : Ground zero, par Jean-Marc DESANTI

 

« S
i Washington n’intervient pas et accepte la position de la Russie et de la Chine, il en sera fini des États-Unis comme candidat au poste de superpuissance unique. C’est la raison pour laquelle je pense qu’Obama va intervenir en Syrie.
Jean-Marc Desanti
Mais si la Russie reste à l’écart et accepte l’intervention américaine et trahit, éventuellement, Bachar al-Assad, ce sera immédiatement un coup très dur pour la politique identitaire russe.
Après cela, une attaque sur l’Iran deviendrait possible et aussi une autre dans le nord du Caucase. Parmi les forces séparatistes dans le nord du Caucase, il y a de nombreux individus qui reçoivent des aides des Anglo-américains, des Israéliens et des Saoudiens. Si la Syrie tombe, ils mèneront immédiatement la guerre en Russie, dans notre patrie. Il se peut que nous vivions actuellement la crise majeure de l’histoire de la géopolitique moderne. » (Alexandr Dugin)
Les évènements de Syrie sont, sans doute, au XXIe siècle ce que la crise de Cuba fut au XXe siècle.
 
On sait ce qu'il advint de la crise cubaine : si Castro garda le pouvoir, bien évidemment aucun missile russe ne fut déployé et les américains purent tranquillement continuer d'occuper l'île et de lancer des opérations de subversion à partir de « Guantanamo Bay Naval Base ».
Il existe bien un bras de fer entre la puissance continentale qu'est la Russie et la puissance maritime américaine, héritière du grand Empire naval britannique. Cependant l'analyse rapide et triomphante qui se résume à « la fin du monde unipolaire » est aussi dénuée de sens que les prédictions d’holocauste nucléaire. Certes, en apparence, la Russie ou plus exactement Poutine semble avoir, pour une fois encore, après les crises tchétchène et géorgienne, limité les dégâts. Le volontarisme politique d'un homme a, parait-il, grippé la lourde machine du complexe militaro-industriel Occidental.
Un homme contre une marionnette en représentation : Obama. Le triomphe de l'Homme contre la machine et la victoire du droit international contre le complot belliciste … Rien que ça !
Évidemment, nous voudrions dire : Si seulement ! Mais voilà, la réalité, comme toujours, se cache derrière les plus vertueuses apparences. Bien que soutenu par une majorité de russes (mais quand les coûts de l'aide seront révélés, que se passera-t-il ?) , Poutine est un homme politiquement seul. La classe politique russe et pas seulement « l'opposition » est pro-occidentale. Choisir d’intégrer l’OMC, l’OCDE et le Protocole de Kyoto sont des exemples probants de son influence et de sa volonté de s’intégrer à « l'économie de marché » mondiale.
Les « politiques » russes veulent que la baisse des droits de douane, de 10% à 7% d’ici 2015, permettent aux pays étrangers d'investir le marché russe de produits bon marché, mais signeront ainsi l'arrêt de mort de nombreuses industries « nationales » héritées de l'époque soviétique. La logique structurelle économique russe va bien vers plus « d'américanisation ».
N'oublions surtout pas qu'aujourd'hui, au regard des investissements étrangers, si la Chine est la deuxième destination des flux derrière les États-Unis, la Russie n’est qu’à la neuvième place. C'est la raison pour laquelle l'état russe entame quatre réformes structurelles proposées par le FMI : la réforme du secteur financier (restructuration des banques, développement du secteur privé), la restructuration industrielle (libéralisation de l’investissement direct étranger et du commerce international), le resserrement de la gestion budgétaire, et l’amélioration de la compétitivité, de la transparence et de la responsabilité des monopoles d’infrastructure. Nous sommes bien loin de la préparation à une confrontation directe et violente avec « l'Occident ». Un nain économique peut-il être un géant politique ?
 
D'autre part si un rapport du renseignement britannique indique que Poutine se déplace à l'étranger avec sa nourriture apportant même sa propre eau avec lui car il craint d’être empoisonné (il s'y connaît en la matière), à Moscou aussi, dans ce domaine, des précautions drastiques sont prises. Le fantôme de Staline est décidément une plante fort vivace.
Tout cela la coalition des puissances hostiles au régime syrien (l'axe Washington/Paris/Ankara/Doha/Riyad… Sans oublier Londres nous verrons) le sait, elle y joue même un rôle prépondérant.
D'aucunes manières elle n'a cessé de vouloir procéder à des frappes afin d’affaiblir les capacités militaires de la Syrie et d’accélérer la défaite d'Assad.
Bien sûr que les missiles S300 sont dangereux ainsi que les S400 plus avancés et bien supérieurs ! Bien sûr que les 400 lance-missiles 24-Barrel d’une portée de 60 km (classés comme l’arme de l’artillerie la plus développée en son genre) peuvent causer des dégâts considérables … mais lors de combats au sol et sur un espace très restreint. Les horreurs ont déjà épuisé le peuple syrien et rompu définitivement son précaire « contrat social ».
La guerre en Syrie ne pourra donc faire apparaitre des réalités inattendues comme l'arrêt définitif du cancer islamiste que la région connaît ou l'échec de la politique anti-chiite développée par les Occidentaux en collaboration avec leurs alliés sunnites ou encore la confirmation du statut de la Russie comme protectrice des chrétiens d’Orient et des minorités en Syrie … Non, précisément non, car si des risques considérables d'embrasement de la région existent, c'est toujours une lourde erreur que de prendre les « yankees » pour des imbéciles.
L'état mercenaire « américain » veut un chaos pour redécouper la zone et non pas une guerre mondiale. Il n'a de cesse de préparer une défaite militaire de l’État syrien face aux rebelles. Inévitablement alors, le pays s’enfoncera dans une anarchie sur le modèle irakien et une prise de pouvoir par des fondamentalistes, ce qui ne représentera aucun danger (comme certains le prétendent) tant pour la région que le monde. Il suffit de mettre un cordon sanitaire autour et de laisser les factions s'entretuer … Ça marche très bien partout après « les révolutions arabes ». C'est juste un peu plus délicat.
 
Répétons-le encore, c'est de bonne pédagogie : la Syrie, comme l’Irak, s'enfoncera à son tour dans la violence, en attendant sa dislocation.
Celle-ci commencera par la sécession kurde. Le Kurdistan « Syrien » accèdera à l'indépendance pour se rattacher au Kurdistan « irakien », conformément au projet de remodelage du « Greater Middle East », doctrine que George W. Bush a d'abord évoquée le 26 février 2003 devant une réunion de néoconservateurs à l'American Enterprise Institute (AEI), avant de la développer le 9 mai 2003 dans un discours à l'Université de Caroline du Sud.
La carte de la région commencera à changer radicalement ... Car ils savent faire, les néo-cons du « Global Order ».
Les négociations semblent aboutir ? Les russes semblent triompher ? Oui mais les « faucons » du Pentagone obtiendront finalement gain de cause. Il faut, et c'est vital, sinon l'Empire s'effondre, montrer la force de l'Amérique. Il faut rester la fidèle « Call girl » des amis banquiers Qataris et Saoudiens. Il faut soutenir certains dirigeants Israéliens qui pensent ou feignent de penser que le chaos participera à la sécurité de l'état hébreu en limitant l'influence du Hezbollah via l'Iran.
 
De nouvelles exigences seront fixées aux Syriens comme, par exemple, de laisser circuler les soldats de l'OTAN librement dans tout le pays pour assurer le démantèlement de l'arsenal chimique ou la demande qu'Assad, toujours désigné, comme responsable de l'attaque chimique du 21 août, soit traduit sans délai, devant le TPI. Ils ne manqueront pas d'idées.

Quant aux innocents sacrifiés, égorgés et qui se débattront de toutes leurs forces entre les mains du crime ? On leur demandera de se consoler avec l'adresse d'Amin Maalouf : « Vous étiez innocents ? De quoi préserve-t-elle, l'innocence ? Même le Créateur nous dit d'égorger les agneaux pour nos réjouissances, Jamais les loups … »

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