Diana JOHNSTONE
Le peuple américain ne veut pas d’un engagement des forces armées US dans la guerre civile en Syrie. Les Nations Unies n’appuieront pas un bombardement de la Syrie par les Etats-Unis. Le parlement britannique ne veut pas s’engager dans le bombardement de la Syrie. L’opinion publique mondiale est opposée à un bombardement de la Syrie par les Etats-Unis. Même l’OTAN ne veut pas participer à un bombardement de la Syrie. Alors qui veut que les Etats-Unis bombardent la Syrie ?
Les mêmes qui nous ont entraîné dans la guerre en Irak, pardi !
Le 27 août, le Foreign Policy Initiative (FPI), une réincarnation du Project for the New American Century (PNAC) qui a dicté à Bush II sa politique étrangère désastreuse, a transmis son ordre de route à Obama. Dans une lettre ouverte au président, le FPI a insisté pour « une riposte décisive à l’emploi récent et massif d’armes chimiques par le dictateur syrien Bashar al-Assad ».
Les « experts en politique étrangère » néocons ont laissé tomber le pathos destiné à provoquer un sentiment de culpabilité chez les Américains ordinaires parce qu’ils restent assis devant la télé à « ne rien faire ». Leur argument s’appuie plutôt sur une projection de puissance. Une fois la « ligne rouge » définie par Obama, il se doit de réagir pour « montrer au monde ».
« Sans réaction, les attaques croissantes par armes chimiques du régime d’Assad montrera au monde que les lignes rouges de l’Amérique ne sont que des menaces creuses ».
Le FPI a dit à Obama que les Etats-Unis devaient envisager « des frappes militaires directes contre les piliers du régime Assad, » et non simplement se débarrasser de la menace d’armes chimiques, « mais aussi miner ou détruire les capacités aériennes du régime Assad et autres moyens militaires traditionnels de commettre des atrocités contre des civils non-combattants. »
Dans le même temps, « les Etats-Unis devraient accélérer leurs efforts pour équiper, former et armer les éléments modérés de l’opposition armée syrienne, avec l’objectif de les renforcer suffisamment pour gagner aussi bien contre le régime Assad que contre la présence croissante de factions rebelles liées à Al-Qaeda et autres extrémistes dans le pays. » Les Etats-Unis devraient « aider à modeler et influencer les fondations d’une Syrie post-Assad ».
Bref, il est demandé un changement de régime en bonne et due forme, de se débarrasser à la fois du régime actuel et de sa principale opposition armée, et mettre au pouvoir de supposés « éléments modérés de l’opposition armée syrienne, » qui, de l’avis général, sont les plus faibles sur le terrain.
Ainsi, après avoir échoué à produire des résultats aussi agréables et modérés en Irak ou en Afghanistan, il faudrait recommencer encore et encore.
Les noms les plus familiers parmi les 78 signataires sont Elliott Abrams, Max Boot, Douglas J. Feith, Robert Kagan, Lawrence F. Kaplan, Joseph I. Lieberman, Martin Peretz, et Karl Rove. Aucune surprise.
La nouveauté dans la liste est la signature de Bernard-Henri Lévy.
Ce qui n’est pas non plus une surprise, si l’on y réfléchit. Après tout, Bernard-Herni Lévy est largement crédité d’avoir convaincu l’ancien président français Nicolas Sarkozy de mener l’assaut qui allait renverser Kaddafhi et plonger la Libye dans son chaos actuel. Après une telle prouesse, le Dandy Parisien se sent naturellement en droit de dire au Président des Etats-Unis ce qu’il doit faire.
Je me rappelle très bien des réactions de fausse indignation de Bernard-Henri Lévy qui lui servent de bouclier habituel devant des critiques qui disaient que, parmi les rebelles de Benghazi, se trouvaient des extrémistes liés à al-Qaeda.
Scandaleux ! Vociférait-il. Il avait été lui-même à Benghazi et avait vu de ses propres yeux que les gens sur place étaient tous des démocrates libéraux qui voulaient simplement goûter aux joies d’élections libres dans une harmonie multiculturelle. Pas bien longtemps après, Benghazi libérée envoyait des combattants islamistes pour déstabiliser le Mali, recrutait des islamistes pour combattre en Syrie et assassinait l’ambassadeur US.
Cette tournure des évènements n’a aucunement perturbé la star médiatique que les Français appellent « BHL ». Bien que largement discrédité et même détesté en France, son influence perdure.
En 2010, un auteur, Jacob Cohen, a publié un roman « Le Printemps des Sayanim ». Malgré les mises en garde habituelles, ce roman était un « roman à clés ». Le personnage principal, appelé MST, y est décrit ainsi par un diplomate israélien à Paris : « MST nous est d’une importance capitale. Il vaut plus qu’une centaine de sayanim. […] Il couvre pour nous une grande partie du terrain à gauche. Comme il « critique » Israël, sa parole est prise au sérieux. Ainsi nous pouvons placer nos intérêts dans de nombreux médias. […] En plus, cet homme a des réseaux incroyables, dans les milieux les plus influents en Europe, en Amérique. Il peut appeler Sarkozy quand il veut, ou le roi du Maroc, ou le président de la Commission européenne. […] »
Aucun lecteur français n’aurait de mal à reconnaître BHL même si, bien sûr, tout ceci n’est que de la fiction.
Mais la question mérite d’être posée : pourquoi le véritable BHL a-t-il montré autant d’empressement à renverser les gouvernements en Libye et en Syrie ? Même si les pays tombent en lambeaux ?
Peut-être que ce flamboyant dilettante pense que ces guerres sont bonnes pour Israël. Son dévouement à Israël est aussi flagrant que ses chemises blanches déboutonnées ou sa coiffure. Peut-être rêve-t-il que, si les pays environnants sont désespérément en ruines, « la seule démocratie du Moyen orient » serait le dernier arbre encore debout de la forêt.
Mais même les services de renseignement israéliens, principale source de l’analyse américaine sur les événements dans la région, doutent que les armes chimiques d’Assad représentent une menace pour Israël.
Giora Inbar, ancien chef d’une unité de liaison de l’armée israélienne dans le sud Liban, a été cité par Times of Israël, le 27 août, « il n’y a aucune raison qu’Assad attaque Israël ».
Inbar a dit que le service de renseignement militaire israélien avait fait de la collecte de renseignements en Syrie une priorité, qu’il était très bien informé, et qu’on lui faisait largement confiance. Les Etats-Unis étaient « au courant » des renseignements israéliens sur les agissements du régime syrien, « et se fiaient à eux ».
Pourtant, les officiels Israéliens évitent de monter l’incident en épingle comme l’a fait John Kerry, qui insistait sur le meurtre délibéré d’enfants.
Le New York Times, mardi, a cité un officiel israélien selon qui : « Il est très probable qu’il y a eu une sorte d’erreur de manipulation […] Je ne crois pas qu’ils voulaient tuer autant de gens, surtout autant d’enfants. Peut-être voulaient-ils frapper un endroit ou provoquer un certain effet et le résultat à dépassé leurs prévisions. »
Tout ceci n’est que spéculation. Mais l’hypothèse le plus plausible jusqu’à présent est qu’il s’agit d’un accident. Des sources rebelles elles-mêmes ont été citées, déclarant que l’incident s’est produit lorsqu’ils ont eux-mêmes fait une erreur de manipulation d’armes chimiques fournies par l’Arabie Saoudite. Dans ce cas, les victimes seraient un « dommage collatéral », chose fréquente dans une guerre. La guerre est une série de conséquences involontaires. La conséquence involontaire la plus flagrante d’éventuelles frappes aériennes US contre la Syrie, sera l’effondrement total de ce qui reste de sentiments pro-américains dans le monde, et un retour de bâton furieux contre Israël, qui est largement perçu comme ce qui influence la politique US au Moyen orient. Certains Israéliens en ont parfaitement conscience.
Le New York Times a cité l’ancien ambassadeur israélien aux Etats-Unis, Itamar Rabinovich, qui, en guise de mise en garde, a déclaré que ce serait « une erreur de trop jouer la carte des intérêts israéliens » en frappant la Syrie. « Il n’est pas bon pour Israël que l’Américain moyen se mette dans la tête que les soldats sont de nouveau envoyés à la guerre pour Israël. Ils doivent y être envoyés pour l’Amérique. »
Mais si ce n’est pas pour Israël, alors pourquoi envoyer des soldats, ou des missiles, du tout ?
Et la meilleure manière de prévenir un retour de bâton contre Israël et ses partisans serait d’interrompre tout le projet de recourir à la force militaire américaine contre la Syrie.
Mais quoi qu’il arrive, l’aventurier téméraire Bernard-Henri Lévy pourra se retirer dans son villa-palais à Marrakech, pour réfléchir à de nouvelles manigances.
Diana Johnstone
3 Septembre 2013
Les mêmes qui nous ont entraîné dans la guerre en Irak, pardi !
Le 27 août, le Foreign Policy Initiative (FPI), une réincarnation du Project for the New American Century (PNAC) qui a dicté à Bush II sa politique étrangère désastreuse, a transmis son ordre de route à Obama. Dans une lettre ouverte au président, le FPI a insisté pour « une riposte décisive à l’emploi récent et massif d’armes chimiques par le dictateur syrien Bashar al-Assad ».
Les « experts en politique étrangère » néocons ont laissé tomber le pathos destiné à provoquer un sentiment de culpabilité chez les Américains ordinaires parce qu’ils restent assis devant la télé à « ne rien faire ». Leur argument s’appuie plutôt sur une projection de puissance. Une fois la « ligne rouge » définie par Obama, il se doit de réagir pour « montrer au monde ».
« Sans réaction, les attaques croissantes par armes chimiques du régime d’Assad montrera au monde que les lignes rouges de l’Amérique ne sont que des menaces creuses ».
Le FPI a dit à Obama que les Etats-Unis devaient envisager « des frappes militaires directes contre les piliers du régime Assad, » et non simplement se débarrasser de la menace d’armes chimiques, « mais aussi miner ou détruire les capacités aériennes du régime Assad et autres moyens militaires traditionnels de commettre des atrocités contre des civils non-combattants. »
Dans le même temps, « les Etats-Unis devraient accélérer leurs efforts pour équiper, former et armer les éléments modérés de l’opposition armée syrienne, avec l’objectif de les renforcer suffisamment pour gagner aussi bien contre le régime Assad que contre la présence croissante de factions rebelles liées à Al-Qaeda et autres extrémistes dans le pays. » Les Etats-Unis devraient « aider à modeler et influencer les fondations d’une Syrie post-Assad ».
Bref, il est demandé un changement de régime en bonne et due forme, de se débarrasser à la fois du régime actuel et de sa principale opposition armée, et mettre au pouvoir de supposés « éléments modérés de l’opposition armée syrienne, » qui, de l’avis général, sont les plus faibles sur le terrain.
Ainsi, après avoir échoué à produire des résultats aussi agréables et modérés en Irak ou en Afghanistan, il faudrait recommencer encore et encore.
Les noms les plus familiers parmi les 78 signataires sont Elliott Abrams, Max Boot, Douglas J. Feith, Robert Kagan, Lawrence F. Kaplan, Joseph I. Lieberman, Martin Peretz, et Karl Rove. Aucune surprise.
La nouveauté dans la liste est la signature de Bernard-Henri Lévy.
Ce qui n’est pas non plus une surprise, si l’on y réfléchit. Après tout, Bernard-Herni Lévy est largement crédité d’avoir convaincu l’ancien président français Nicolas Sarkozy de mener l’assaut qui allait renverser Kaddafhi et plonger la Libye dans son chaos actuel. Après une telle prouesse, le Dandy Parisien se sent naturellement en droit de dire au Président des Etats-Unis ce qu’il doit faire.
Je me rappelle très bien des réactions de fausse indignation de Bernard-Henri Lévy qui lui servent de bouclier habituel devant des critiques qui disaient que, parmi les rebelles de Benghazi, se trouvaient des extrémistes liés à al-Qaeda.
Scandaleux ! Vociférait-il. Il avait été lui-même à Benghazi et avait vu de ses propres yeux que les gens sur place étaient tous des démocrates libéraux qui voulaient simplement goûter aux joies d’élections libres dans une harmonie multiculturelle. Pas bien longtemps après, Benghazi libérée envoyait des combattants islamistes pour déstabiliser le Mali, recrutait des islamistes pour combattre en Syrie et assassinait l’ambassadeur US.
Cette tournure des évènements n’a aucunement perturbé la star médiatique que les Français appellent « BHL ». Bien que largement discrédité et même détesté en France, son influence perdure.
En 2010, un auteur, Jacob Cohen, a publié un roman « Le Printemps des Sayanim ». Malgré les mises en garde habituelles, ce roman était un « roman à clés ». Le personnage principal, appelé MST, y est décrit ainsi par un diplomate israélien à Paris : « MST nous est d’une importance capitale. Il vaut plus qu’une centaine de sayanim. […] Il couvre pour nous une grande partie du terrain à gauche. Comme il « critique » Israël, sa parole est prise au sérieux. Ainsi nous pouvons placer nos intérêts dans de nombreux médias. […] En plus, cet homme a des réseaux incroyables, dans les milieux les plus influents en Europe, en Amérique. Il peut appeler Sarkozy quand il veut, ou le roi du Maroc, ou le président de la Commission européenne. […] »
Aucun lecteur français n’aurait de mal à reconnaître BHL même si, bien sûr, tout ceci n’est que de la fiction.
Mais la question mérite d’être posée : pourquoi le véritable BHL a-t-il montré autant d’empressement à renverser les gouvernements en Libye et en Syrie ? Même si les pays tombent en lambeaux ?
Peut-être que ce flamboyant dilettante pense que ces guerres sont bonnes pour Israël. Son dévouement à Israël est aussi flagrant que ses chemises blanches déboutonnées ou sa coiffure. Peut-être rêve-t-il que, si les pays environnants sont désespérément en ruines, « la seule démocratie du Moyen orient » serait le dernier arbre encore debout de la forêt.
Mais même les services de renseignement israéliens, principale source de l’analyse américaine sur les événements dans la région, doutent que les armes chimiques d’Assad représentent une menace pour Israël.
Giora Inbar, ancien chef d’une unité de liaison de l’armée israélienne dans le sud Liban, a été cité par Times of Israël, le 27 août, « il n’y a aucune raison qu’Assad attaque Israël ».
Inbar a dit que le service de renseignement militaire israélien avait fait de la collecte de renseignements en Syrie une priorité, qu’il était très bien informé, et qu’on lui faisait largement confiance. Les Etats-Unis étaient « au courant » des renseignements israéliens sur les agissements du régime syrien, « et se fiaient à eux ».
Pourtant, les officiels Israéliens évitent de monter l’incident en épingle comme l’a fait John Kerry, qui insistait sur le meurtre délibéré d’enfants.
Le New York Times, mardi, a cité un officiel israélien selon qui : « Il est très probable qu’il y a eu une sorte d’erreur de manipulation […] Je ne crois pas qu’ils voulaient tuer autant de gens, surtout autant d’enfants. Peut-être voulaient-ils frapper un endroit ou provoquer un certain effet et le résultat à dépassé leurs prévisions. »
Tout ceci n’est que spéculation. Mais l’hypothèse le plus plausible jusqu’à présent est qu’il s’agit d’un accident. Des sources rebelles elles-mêmes ont été citées, déclarant que l’incident s’est produit lorsqu’ils ont eux-mêmes fait une erreur de manipulation d’armes chimiques fournies par l’Arabie Saoudite. Dans ce cas, les victimes seraient un « dommage collatéral », chose fréquente dans une guerre. La guerre est une série de conséquences involontaires. La conséquence involontaire la plus flagrante d’éventuelles frappes aériennes US contre la Syrie, sera l’effondrement total de ce qui reste de sentiments pro-américains dans le monde, et un retour de bâton furieux contre Israël, qui est largement perçu comme ce qui influence la politique US au Moyen orient. Certains Israéliens en ont parfaitement conscience.
Le New York Times a cité l’ancien ambassadeur israélien aux Etats-Unis, Itamar Rabinovich, qui, en guise de mise en garde, a déclaré que ce serait « une erreur de trop jouer la carte des intérêts israéliens » en frappant la Syrie. « Il n’est pas bon pour Israël que l’Américain moyen se mette dans la tête que les soldats sont de nouveau envoyés à la guerre pour Israël. Ils doivent y être envoyés pour l’Amérique. »
Mais si ce n’est pas pour Israël, alors pourquoi envoyer des soldats, ou des missiles, du tout ?
Et la meilleure manière de prévenir un retour de bâton contre Israël et ses partisans serait d’interrompre tout le projet de recourir à la force militaire américaine contre la Syrie.
Mais quoi qu’il arrive, l’aventurier téméraire Bernard-Henri Lévy pourra se retirer dans son villa-palais à Marrakech, pour réfléchir à de nouvelles manigances.
Diana Johnstone
3 Septembre 2013
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