Bernard-Henri Levy continue à voir un souffle de liberté dans la Libye d’après Kadhafi. Il m’arrive de penser qu’il a perdu tout contact avec la réalité. Il n’est pas le seul. Nicolas Sarkozy lui-même s’est rendu à Tripoli, accompagné de David Cameron, et il a voulu y parler avec des accents gaulliens. On peut se demander si l’un et l’autre sont aussi sûrs de ce qu’ils disent, dès lors que le séjour à Tripoli de Sarkozy et Cameron, accompagnés de Lévy, a été très bref, quelques dizaines de minutes, assorti de mesures de sécurité drastiques, et tenu secret jusqu’à la dernière minute.
Nulle question ne sera posée en France, semble-t-il, sur le bien fondé d’une équipée que je persiste à trouver désastreuse.
Et j’ai eu beau chercher dans la presse française, j’ai trouvé fort peu d’éléments décrivant ce qui se passe vraiment dans le pays. Non seulement la guerre n’est pas achevée, et piétine autour des principaux bastions du régime Kadhafi, dont la ville de Syrte, mais Kadhafi et les siens ont disparu dans les sables du désert, et organisent à présent une guerre de guérilla qui pourrait durer très longtemps. Non seulement, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, des armes diverses, dont des missiles antichar et des missiles sol air SA 24, sortent des arsenaux pillés de l’armée libyenne et font leur chemin vers le Sinaï et Gaza, mais on apprend que les Gardes révolutionnaires iraniens viennent eux aussi se servir. Vingt mille SA 24 ont en tout cas disparu. Dès lors qu’il n’y a pas de troupes françaises ou américaines au sol, tout est possible.
Il semble que al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) se soit largement servi. Il semble aussi que les touaregs libyens, qui avaient le soutien de Kadhafi, qui sont appréciés des islamistes, qui ont le pouvoir des armes à Tripoli et Benghazi, et les Africains noirs, se soient repliés vers le Sud et au delà des frontières de la Libye, emportant avec eux leurs propres cargaisons d’armes, et les revendant à qui en veut, dans les pays d’Afrique subsaharienne limitrophes de la Libye, le Niger et le Tchad, où des groupes islamistes sont demandeurs de ce genre de marchandise. Le Soudan, qui a une frontière commune avec la Libye, sert lui-même de plaque tournante dans les trafics divers. Des armes passées par le Soudan sont allées jusqu’en Somalie et jusque dans les bases d’al Qaida au Yemen.
Dans la presse anglaise, qui est moins muselée et moins béate que la presse française, on voit écrire des journalistes qui ont des contacts avec le renseignement militaire, et qui se font l’écho de choses très inquiétantes. Un haut gradé britannique dit, par exemple, que toute l’Afrique du Nord va sans doute devenir une zone très dangereuse pour le transport aérien. Un autre fait part de risques de déstabilisation s’étendant à l’Algérie, qui a soutenu Kadhafi jusqu’au bout, et qu’AQMI ne détesterait pas voir changer de régime, dans une direction plus islamique, bien sûr.
Je garde le meilleur pour la fin : Kadhafi disposait toujours d’armes chimiques, et s’il avait renoncé à ses programmes atomiques, n’en avait pas moins toujours des réserves importantes de yellowcake, concentré d’uranium servant à fabriquer du combustible nucléaire.
Des « rebelles » ont trouvé, en plein désert, des entrepôts contenant des fûts emplis de yellocake. Ils ont pris des photos. Les entrepôts ne sont pas gardés. Tout le joli monde évoqué plus haut peut venir se servir. On ne peut pas faire une arme atomique avec du yellocake, mais c’est une substance hautement radioactive qui permet de faire des bombes sales. Il serait étonnant que des bombes sales ne soient pas fabriquées. Serviront-elles ?
Outre l’installation au pouvoir d’islamistes, l’équipée libyenne de Sarkozy, Cameron et Levy aura donc permis de renforcer les moyens militaires dont disposent al Qaida, al Qaida au Maghreb islamique, le Hamas, et d’autres groupes islamiques subsahariens. Elle aura fait courir le risque de déstabilisation au Niger, au Tchad et, si l’on en croit l’armée britannique, en Algérie. Elle aura renforcé la déstabilisation du Yemen, fait courir des risques accrus à Israël et rendu dangereux le survol de l’Afrique du Nord. Elle aura permis la dissémination de matériaux radioactifs et sans doute d’armes chimiques.
Et tout cela a été fait au nom de la « protection des civils », vous dira-t-on. On parle d’au moins vingt mille morts. Des civils qui n’ont pas réussi à se protéger à temps. Quel souffle de liberté, en effet.
J’ai entendu des gens vanter les mérites de l’équipée libyenne qui aurait été paraît-il bien menée, dans le cadre du droit international et qui aurait vraiment apporté la démocratie. J’ai lu dans un magazine français que la guerre en Irak était l’exemple de ce qu’il ne fallait pas faire, et que l’équipée libyenne était l’exemple de ce qu’il fallait faire. Au vu des résultats, quel exemple en effet. Encore quelques exemples comme celui-là et nous aurons fait de grands pas vers une guerre mondiale. Oser parler de l’ONU comme de l’instance disant le droit international est ubuesque : l’ONU est devenu une gigantesque imposture où les démocraties sont les otages des dictatures et des tyrannies. Oser parler de démocratie est aussi grotesque et inepte que d’oser parler de liberté.
En Irak, l’exemple de ce qu’il ne fallait pas faire, paraît-il, on n’a pas trouvé d’armes de destruction massive parce qu’elles ont été déménagées pendant les trois mois au cours desquels Chirac et Villepin se sont fait les chefs de file du monde islamique, mais on a trouvé du yellowcake, et parce qu’il y avait des troupes au sol, celui-ci a été emmené en lieu sûr. Parce qu’il y avait des troupes au sol, les arsenaux de l’armée irakienne n’ont pas été pillés. Parce qu’il y avait des troupes au sol, des élections libres ont effectivement été organisées.
Des terroristes islamistes se sont acharnés sur l’armée américaine et sur la population irakienne : cela ne risque effectivement pas de se produire en Libye, car là, ce sont des gens qui ont les mêmes idées que les terroristes anti-américains en Irak qui sont au pouvoir.
Quand je lis la presse française, j’hésite entre l’envie de rire et l’envie de pleurer.
Au bout de cinq minutes, j’arrête. J’ai besoin d’oxygène. Je retourne vers la presse israélienne ou celle du monde qui parle anglais. Je respire enfin. Mais vraiment, oui, vraiment, je plains les gens qui lisent la presse française et qui pensent être informés.
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© Guy Millière pour www.Drzz.fr
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