Les sites chypriotes et grecs nous alertaient, il y a peu, de l’arrivée imminente de sous-marins nucléaires russes dans leur région. Qu’est-ce à dire ?
Il existe un consensus international sur les droits conjoints de Chypre et d’Israël à développer leur exploitation sous-marine des ressources pétrolières et gazières, dans leur Zone d’Exclusion Economique. L’avertissement russe démontre que, loin d’une compétition contre les entreprises américaine et israélienne, Noble Energy et Delek, la Russie est prête à participer à la protection de ces champs énergétiques. Moscou est intéressé à passer un accord de long terme avec la Grèce et Israël, installant un pipeline entre Athènes, Ashkelon, puis Eilat, vers l’Asie du Sud-Est. Gazprom s’allierait pour contourner le « guichet » imposé par la Turquie. Laquelle tire l’essentiel de sa richesse du noeud de conductions des énergies qui traversent son territoire, depuis l’Asie Centrale.
La véritable concurrence oppose, au contraire, la Turquie à la Russie, sur deux plans : l’accès maritime en Méditerranée et la course au contrôle monopolistique des ressources et de leurs débouchés vers l’Europe et l’Asie. Comme nous l’expliquions, il y a quelques temps , la petite île de Chypre est la clé du contrôle stratégique des côtes syriennes, donc de ses ports, où mouillent les navires russes (à Tartous). Elle est aussi indispensable à l’Europe et à la marine de l’OTAN qui accoste dans ses criques. Non content d’être en froid avec Israël, l’adjoint d’Erdogan, Besir Atalay menace, maintenant, de suspendre tous les accords turcs avec l’Union Européenne, si l’île chypriote occupe la présidence tournante de l’institution bruxelloise, en juillet 2012.
La Turquie islamiste entend démontrer au monde entier sa capacité de nuisance, sur tous les sujets. Et c’est ainsi que, pas à pas et de provocation en provocation, elle construit son superbe isolement, qui risque, bientôt, de la rendre plus « insulaire » que les plages chypriotes…
Ankara joue, aussi un rôle éminemment ambigu, dans l’insurrection syrienne en cours, où il s’agit de se gagner l’estime de l’opposition tout en s’affirmant comme le médiateur indispensable pour le régime d’Assad. Les Russes l’ont compris et flairé le danger d’être mis sur la touche, en cas d’entente (improbable à cette heure) entre les parties. Une délégation de sénateurs russes s’est rendue à Damas, menée par le vice-président du Conseil de la Fédération, Ilias Oumakhanov. Elle réaffirme l’opposition russe à toute « ingérence extérieure » : il faut y lire, bien sûr, le poids des Etats-Unis et de l’Europe, mais aussi leur naïve délégation à Erdogan pour masquer leur impuissance à peser sérieusement sur le destin final d’Assad.
Là encore, la Turquie verrouille les issues et s’impose comme le champion de toute négociation ultérieure. Néanmoins, les membres de l’opposition syrienne ruent dans les brancards et dénoncent un double-jeu turc devenu trop criant : vendredi, les opposants accusaient Erdogan d’avoir livré un officier supérieur déserteur, le Lt. Col. Hussein al-Harmoush aux tortionnaires d’Assad. Peu de temps après, le gradé apparaissait face aux caméras, exploité comme « témoin à charge » contre les ennemis du régime. Il était réfugié politique en Turquie, lorsque son sort a été réglé entre Erdogan, son chef du renseignement, Hakan Fidan et la police secrète syrienne. Un proche, Omar Al Muqdal, témoigne devant CNN, que le colonel avait rendez-vous avec un membre de la sécurité turque. Celui-ci ne l’a jamais ramené au camp de réfugiés où il résidait provisoirement, mais l’a livré aux loups d’Assad. D’autres décèlent des signes évidents de torture dans la prestation imposée devant les écrans de la TV syrienne.
Ce double-jeu permanent des services turcs prend, même, des allures de crise interne : jeudi dernier, Erdogan a accusé, à nouveau, Israël, d’être à l’origine de la diffusion, dans tous les grands médias turcs, d’enregistrements, théoriquement « secrets », des négociations tenues par le chef du renseignement, Hakan Fidan avec les responsables du PKK. Jusqu’alors, le Gouvernement niait toute approche de cet ordre avec un groupe réputé « terroriste ». Plutôt que de se justifier de ce changement de cap et de répondre aux mises en cause des partis d’opposition, le démagogue Erdogan s’est contenté de rejeter la faute interne sur un pays-tiers : le problème, pour lui, n’est donc pas le contenu de ces bandes qui mettent en question sa probité et sa posture officielle, mais qui les a fait publier. La vieille théorie conspirationniste qui galope dans les rues moyen-orientales durera quelques temps. Elle n’empêchera jamais Erdogan d’avoir des comptes à rendre à son peuple. Il dit vouloir défendre bec et ongles son protégé Fidan, martelant que cet homme a été désigné comme pro-iranien par « les Sionistes » et que c’est la raison du « complot ». Barak, en effet, l’avait mentionné comme un risque de transmission d’informations sensibles jusqu’alors partagées entre Ankara et Jérusalem, aux Mollahs de Téhéran. Ce n’est un secret pour personne que Fidan est devenu, depuis son poste d’observateur nucléaire, à Vienne, un intime des « négociateurs » iraniens sur le nucléaire et qu’il est à l’origine de « l’offre » turco-brésilienne destinée à contourner les sanctions.
Deux leaders de l’opposition nationaliste, Kemal Kılıcdaroglu et Devlet Bahceli, ont exigé la démission immédiate de Tayyip Erdogan et de son protégé, pour atteinte aux intérêts de l’Etat. C’est que, d’un côté comme de l’autre, on ne plaisante pas avec l’autonomie ni la stigmatisation officielle, au moins, des dirigeants des groupes armés kurdes.
Erdogan accuse aussi Israël d’avoir livré des drones aux équipements électroniques incomplets, après avoir chassé ses experts en aéronautique. Ils ne lui sont d’aucune utilité contre les Kurdes des montagnes. Incapable de réduire ce petit peuple rebelle, ce n’est pas, non plus, demain, qu’il osera s’opposer aux sous-marins russes, aux marines et aviations israélo-greco-chypriotes, appuyées en sous-main, par l’Europe et les Etats-Unis.
A cela s’ajoute la confirmation de la crise « à la Grecque » qui menace l’économie turque sous le règne de l’AKP islamiste. Guy Bechor confirmait, dans Ynetnews du jeudi 15 septembre, bien des données que nous avancions dès le 4 du même mois . Le déficit budgétaire grec est à 10%, celui de la Turquie, à 9, 5%. C’est donc une question de semaines ou d’heures, avant que la façade de santé économique insolente ne s’écaille. Comparativement, celui d’Israël se situe entre 3 à 2% dans l’année en cours. La « croissance » turque est affaire de manipulation financière. Les banques ont concédé des prêts à des taux défiant toute concurrence. A ce tarif-là, entreprises et populations ont emprunté des sommes colossales, pour des biens durables ou immédiatement consommables. Elles vivent donc à crédit. C’est ainsi qu’Erdogan s’est acheté un électorat, plutôt que celui-ci n’a adhéré à son programme islamiste et défiant à l’égard d’un monde extérieur qu’il ne pourra bientôt plus rembourser. Désormais, le déficit ainsi entretenu frise les 10%, où les voyants rouges ont commencé à s’allumer. La dette externe a doublé en 18 mois, en pleine période électorale favorable à Erdogan. Oui, mais voilà, il va bien falloir, à un moment donné, passer à la caisse et rendre des comptes. Le taux de chômage grimpe à 13%, la monnaie locale se dévalue vis-à-vis du dollar, la bourse d’Ankara a perdu 40% de sa valeur au cours des 6 derniers mois.
Dès les 1ers signes de sa débandade économique, ses opposants, les journalistes bâillonnés, les avocats jetés en prison, les militaires condamnés injustement pour « complot », les leaders de l’opposition, fonderont sur le cercle rapproché du Gourou islamiste régional et, semaines après semaines, le mettront en pièces.
Il aura alors, perdu la face en Méditerranée, vraisemblablement à l’égard des montagnes kurdes, puisque sans technologie pour les vaincre, il aura perdu ses alliances avec la Syrie et l’Iran, n’aura entraîné que le prurit de la rue égyptienne, chauffée à blanc contre Israël, durant des générations, se sera mis l’Europe et la Russie à dos.
Peut-être, alors, lui restera t-il l’issue de l’exil pour échapper à un procès, dernière fashion victim d’un possible « Printemps turc » ?
Par Marc Brzustowski
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