Pour le Bulletin de l'Amérique,
j'ai répondu à quelques questions sur les relations franco-américaines
suite aux récentes annonces faites au sujet de l'Afghanistan par le
président français.
- François Hollande avait annoncé un départ anticipé d'Afghanistan,
avant la fin de l’année 2012. Cela ne sera pas tout à fait le cas.
Est-ce une erreur ?
Vouloir est une chose, pouvoir en est une autre et le faire
convenablement encore une autre. Le 59ème engagement présenté le 26
janvier par le candidat Hollande indiquait « J’engagerai un retrait
immédiat de nos troupes d’Afghanistan : il n’y aura plus de troupes
françaises dans ce pays à la fin de l’année 2012 ». Lors de son discours sur la défense nationale le 11 mars, il indiquait « Nous
accélérons dans les meilleures conditions de sécurité le retrait de nos
forces combattantes pour que, fin 2012, nos soldats soient rentrés ». Beau "principe de réalité"
qui extrait du rêve (jubilatoire chez Freud...) des annonces de
campagne pour rappeler l’existence d’une réalité généralement moins
rose. De manière plus pragmatique, le glissement sémantique était en
partie construit par les avis des militaires français qui remontaient
alors à l’équipe de campagne, réactions soulignant l’impossibilité
matérielle, militaire et diplomatique de respecter de tels engagements.
Il est possible de critiquer l’approche choisie par les dirigeants
socialistes sur les questions de Défense, par contre, il est, à mon
avis, difficile de nier leur « connaissance des dossiers » et leur
maîtrise de bons réseaux au sein de l’appareil de Défense.
Le sommet de l’OTAN à Chicago le 20 et 21 mai puis la récente visite du
président Hollande en Afghanistan permettaient de confirmer les bruits
de couloirs. Les « forces combattantes », malheureux euphémisme
utilisé déjà par le ministre de la Défense Hervé Morin en janvier 2010
et repris depuis, quitteront l’Afghanistan d’ici fin 2012, aidées en
cela par le transfert de la sécurité en Kapisa (et d’une partie de la
formation) aux forces afghanes. Cela se fera sans toutes les armes ni
tous les bagages, ces derniers devraient être rapatriés progressivement
via les rares portes de sortie terrestres, aériennes et peut-être
ferroviaires de ce pays enclavé. Des personnels de la Logistique pour
mener les convois et gérer les envois, du Génie pour ouvrir et sécuriser
les itinéraires, des "Appuis" (Artillerie, Cavalerie) pour les protéger
devraient donc rester jusqu’à courant 2013. Rien ne dit d’ailleurs que
ces unités n’aient pas à mener des actions de feu, malgré leur
dénomination de « non-combattantes »… Enfin, restera au moins
jusqu’en 2014 un hôpital militaire de haut niveau à Kaboul, un bataillon
réduit d’hélicoptères (en particulier pour le transport) et des
formateurs (insérés dans différents dispositifs ou au sein d’écoles
afghanes comme l’Armor Branch School ou le Command and Staff College).
Par rapport à la position défendue par le président sortant, une
différence existe puisque Nicolas Sarkozy souhaitait un départ plus
progressif (seulement 1.000 hommes en 2012 et non 2.000). Cette annonce
avait déjà été accélérée en réaction (était-ce sage ?) à la mort de 4
militaires français (un cinquième succombera en mars de ses blessures)
le 20 janvier 2012. Est-ce que cette différence de 1.000 hommes est une
réelle différence et a une réelle incidence ? Sur les quelques 130.000
personnels de l’ISAF en Afghanistan, est-ce que cela représente une part
réellement significative ? Sans doute non, bien que laisser durant
l’été, pour passer cette délicate saison de combats, un maximum de
forces françaises en appui des forces afghanes aurait apporté plus de
garanties à la transition en cours.
Une vraie continuité avec la présidence précédente existe dans la
difficulté, voire l’incapacité, à gérer les annonces d’un conflit voulu
(et mené) « à bas bruit ». Or, dès qu’il en est fait mention,
cela est dans le champ des perceptions négatives… Ces messages sont à
destination à la fois des militaires eux-mêmes qui ont donc eu droit à
cette récente tournée des popotes, des citoyens français qui demandent
majoritairement un retrait le plus rapide possible, des partenaires
internationaux qui ont, via de délicates pressions, reçu des gages à
Chicago (qu’Hollande était prêt à leur concéder). Alors, est-ce une
erreur ? Sans doute pas dans le fond, et c’est le plus important, mais
des erreurs, il y en a et aura peut-être dans la forme.
- Dans un article récent, le colonel Goya, directeur d'études à l'IRSEM, évoquait
les risques de voir la France être à l'origine d'un retrait généralisé.
Partagez-vous cette analyse ? Les États-Unis nous le reprochent-ils ?
Objectivement, « Partir sans s’enfuir » est le vrai défi pour
quasiment toutes les nations présentes en Afghanistan. Tout est question
de calendrier, de manière, etc. Ainsi, si certains répondront que le
Canada et les Pays-Bas l’ont bien fait avant la France en 2010 et 2011,
il faut néanmoins rappeler qu’il reste à ce jour en Afghanistan encore
950 militaires canadiens et plus de 500 militaires hollandais. Ce sont
des contributions importantes en formateurs : la France en fera-t-elle
autant, avec un effort stratégique significatif pour, enfin, un retour
sur investissement ? Rien n’est moins sûr…
Ainsi, donnant du grain à moudre pour le traditionnel French Bashing sur les « exploits » militaires français, la France prendra-t-elle le lead
d’une coalition de fuyards trop contents de trouver, en la France, une
solide caution ? À mon avis, non. En effet, ces nations contributrices
sont aussi contraintes que nous par des engagements et des intérêts.
Elles sont face à des choix aussi complexes que les nôtres : peser le
pour et le contre, le poids des opinions, la dette morale suite à
l’engagement de certains, la place des questions de politique interne,
etc. Ainsi, si les choses venaient à évoluer, il ne s’agira sans doute
pas d’une course à celui qui sortira le premier. Tous les départs
progressifs devront juste être faits avec la manière. L’ISAF, force
militaire sous commandement de l’OTAN et sous mandat ONU, est elle-même
bien appelée à rentrer dans l’Histoire en 2014. Si le gouvernement
afghan (élu en 2014 ou peut-être en 2013) le demande, elle cédera sa
place à une mission différente, axée sur la coopération et
l’assistance.
Donc, oui, la France pourrait être désigné comme un bouc émissaire, mais
il est aussi possible que les faits lui donnent d’une certaine façon
raison en étant finalement plus raisonnable que la moyenne (attendons
néanmoins le rude été pour valider l’hypothèse).
- Les relations franco-américaines vont-elles en pâtir ?
À mon sens, l’Afghanistan n’étant plus le centre d’intérêt numéro 1 des
stratèges militaires américains. Ils sont plus portés, par exemple, sur
la zone Pacifique ou sur la compensation des effets de la crise
économique. Il faut en finir, le mieux possible, avec l’Afghanistan. Les
décisions françaises ne s’apparentent pas en conséquence à un casus belli diplomatique sur un sujet d’importance.
D’ailleurs, y a-t-il des raisons d’en avoir un ? Pour la France comme
pour les États-Unis la face du pas de deux à Chicago est à peu près
sauvée. Le président français a pris en compte les récriminations
américaines très officiellement et aussi très publiquement énoncées. Les
positions américaines et françaises étant finalement assez
compréhensives des besoins de chacun. N’est-ce pas le propre d’un allié,
peut-être pas docile mais pas totalement obtus ? Dans le futur,
François Hollande est sur bien d’autres sujets de politique
internationale (en particulier la gouvernance économique mondiale) plus
attendu au tournant par les Américains.
De plus, malgré des défauts propres à la France, les États-Unis auraient
plutôt tout à gagner à analyser lucidement ce test grandeur nature
(pari de mettre en avant les forces de sécurité afghanes dans la
province stratégique qu’est la Kapisa couplé avec ce retrait). Ils
pourraient du même coup s’inspirer de la posture française qui, avec de
l’avance sur les militaires américains, a depuis des mois glissée (il
est vrai, en partie avec une accélération du fait des événements) d’une
posture de combat à une posture de conseil et d’assistance. Autant de
raisons pour lesquelles les relations franco-américaines, au moins dans
le domaine militaire, pourraient se renforcer plutôt que se distendre.
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