La rue sunnite antisyrienne s’est déchaînée ce week-end à Tripoli après que la Sûreté générale, dont le patron est accusé par les salafistes d’être « pro-Hezbollah et pro-Damas », eut arrêté l’un des leurs et démantelé un réseau « terroriste ». Bilan : 3 morts et 27 blessés, et une scène politique survoltée.
Trois morts dont un soldat de l’armée et plus de 27 blessés : tel est le bilan des accrochages qui ont fait suite à l’arrestation samedi dernier d’un islamiste, Chadi Mawlaoui, accusé d’avoir eu des contacts avec une « organisation terroriste ». En soirée, des informations obtenues par L’Orient-Le Jour ont fait état de l’arrestation préalable d’un réseau de six personnes, dont le chef de nationalité jordanienne, auquel Mawlaoui était directement lié.
L’affaire a commencé samedi soir lorsque Chadi Mawlaoui a été arrêté par la Sûreté générale, qui a assuré que son interpellation a eu lieu dans le cadre d’une « enquête sur ses liens avec une organisation terroriste » sans donner plus de précisions.
C’est, semble-t-il, la « manière très inélégante et particulièrement inhumaine » dont a été effectuée l’arrestation de Mawlaoui qui a immédiatement déclenché la colère de la rue salafiste. Ce sont également les rumeurs circulant sur l’existence d’une liste de 20 noms de Libanais ayant pris part aux combats en Syrie, qui sont venues envenimer le climat. Ces informations, révélées en cours de journée par le député de Tripoli Mohammad Kabbara, ont ensuite circulé dans les milieux islamistes. Selon la rumeur, qui n’a pas pu être vérifiée, la liste aurait été remise à la Sûreté générale « qui a été sollicitée par le régime pour effectuer la besogne ».
Par conséquent, l’idée qu’une institution dirigée par un chiite (le général Abbas Ibrahim), accusé de surcroît d’être proche du Hezbollah et de la Syrie, s’en prenne de la sorte à un salafiste « des plus innocents », selon son frère, a été exploitée à fond par la rue sunnite antisyrienne.
Le guet-apens
Dans les faits, Chadi Mawalaoui avait demandé une aide financière auprès de l’association Safadi pour un traitement coûteux requis par l’hôpital où se faisait soigner sa petite fille, gravement malade. Samedi, il a été entraîné dans un traquenard dans les bureaux de l’Association Safadi par un agent de la Sûreté générale, qui s’est fait passer pour un employé de l’association, lui demandant de se présenter pour récupérer l’aide financière qui lui a été consentie. Mawlaoui s’est pointé au rendez-vous, pour être aussitôt intercepté par les agents de la Sûreté, qui s’en sont également pris au directeur de l’association alors qu’il exprimait son agacement face à ce moyen détourné. Le ministre des Finances, Mohammad Safadi, ne s’est d’ailleurs pas privé de faire part de son intention d’intenter un procès contre la Sûreté générale pour avoir porté atteinte à la réputation de son association.
Sitôt après, la famille et les amis de Chadi Mawlaoui se sont donné le mot d’ordre pour protester contre son arrestation et les méthodes employées à cette fin, réclamant sa libération immédiate. Des dizaines d’entre eux se sont rassemblés sur la place principale de Tripoli, rejoignant d’autres manifestants islamistes qui étaient déjà sur place depuis une semaine. Ces derniers protestaient contre la lenteur de la procédure judiciaire dont sont victimes plusieurs prévenus islamistes qui croupissent dans les prisons depuis cinq années, attendant un procès qui tarde à venir. L’affaire des détenus islamistes est ainsi venue se greffer sur celle de Mawlaoui pour former un cocktail explosif, les islamistes ayant décidé de procéder au blocage des principales artères de la ville à partir de leur point de rassemblement, sur la place Ahmad Karamé. Les carrefours de la ville ont été bloqués par des barricades de pneus enflammés.
Les combats font rage à Tripoli
Il aura fallu à peine quelques heures pour que cet incident mette le feu aux poudres, entraînant la ville dans une confrontation devenue traditionnelle entre pro et antisyriens, les alaouites de Jabal Mohsen et les sunnites de Bab Tebbaneh.
Un soldat libanais, Fayçal Hussein Abdallah, qui se trouvait sur le rond-point de Mallouleh à Tripoli, alors qu’il se dirigeait vers le Akkar pour rejoindre son poste, a été touché par le tir d’un « sniper ». Il est mort sur le coup.
Les combats, qui se sont poursuivis tard dans la soirée, avaient fait, jusqu’à l’heure d’aller sous presse, trois morts et plus de 27 blessés dont certains graves. Un calme précaire régnait hier en soirée.
L’armée, qui a annoncé dans un communiqué l’envoi de renforts dans la ville, a vraisemblablement eu tout le mal du monde à investir les deux quartiers en guerre. Après une tentative d’incursion sur les lieux, la troupe a essuyé des tirs nourris qui l’ont poussée à riposter en direction des éléments armés, dont certains ont été blessés. Les soldats se sont alors repliés, reportant l’opération à un moment plus propice. Chose jamais vue auparavant, des enfants de 11 ans, armés et encagoulés, ont été remarqués dans le quartier sunnite de Bab Tebbaneh. C’est dire le degré de la mobilisation confessionnelle engendrée par cette affaire.
De réunion en réunion (voir par ailleurs), les politiques n’auront réussi en fin de soirée qu’à convaincre les salafistes de lever le camp momentanément, abondant en promesses multiples pour œuvrer notamment à accélérer le processus judiciaire relatif aux détenus islamistes. Sur ce dernier point, il a été décidé d’exhorter dès aujourd’hui le CDR à accélérer la construction du bâtiment qui doit abriter le procès de près de 300 islamistes.
Quant à Chadi Mawlaoui, « il ne sera pas libéré », a assuré le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel. Sur le plan sécuritaire toutefois, il a été décidé d’envoyer sur les lieux dès aujourd’hui 150 éléments relevant des FSI, l’armée devant simplement servir de soutien arrière.
« Si, d’ici à demain matin, Chadi n’est pas libéré, nous réinvestirons la rue et bloquerons même l’axe menant à Beyrouth », a affirmé son frère Nizar qui a fait état d’un ultimatum donné par les islamistes aux responsables pour libérer le prévenu, faute de quoi l’escalade sera au rendez-vous.
Il faudra donc attendre de voir aujourd’hui quel sera le dénouement de cette affaire et si les autorités vont finir par se plier aux desiderata des islamistes qui, pour la seconde fois consécutive, prennent les rues en otages pour protester contre l’arrestation d’un des leurs.
La première fois, rappelons-le, les services de renseignements de l’armée ont dû se soumettre aux injonctions du Premier ministre Nagib Mikati pour remettre en liberté un prédicateur islamiste au « dossier bien lourd », soupçonné d’avoir des liens dans l’affaire du réseau fondamentaliste démantelé au sein de l’armée.
Des précédents dangereux
Des sources sécuritaires ont d’ailleurs relevé le danger d’un tel comportement qui risque de créer des précédents, « les islamistes se mobilisant et menaçant toutes les fois qu’un des leurs est arrêté, créant ainsi un contrepoids aux forces de l’ordre ».
Interrogée par L’Orient-Le Jour, une source au sein de la Sûreté générale a affirmé que le prévenu est « un récidiviste qui vient d’être relâché de la prison de Roumieh où il a été détenu plusieurs années durant ». « Ses liens avec el-Qaëda sont indiscutables », assure la source.
À la question de savoir si les autorités syriennes avaient sollicité la Sûreté pour exécuter cette tâche, le responsable affirme que « la direction de l’institution sécuritaire ne reçoit des directives de personne », soulignant que la seule considération prise en cause « est la sécurité du pays ». « Que la justice se prononce donc », a ajouté la source qui a toutefois reconnu les irrégularités de la méthode d’arrestation, assurant que « les agents qui ont pris l’initiative seront sanctionnés », une décision qui sera entérinée en cours de soirée.
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