1) Nicolas Sarkozy semble plus “humain” et plus respectueux de son adversaire depuis sa défaite: dimanche soir il a demandé à ses partisans de respecter François Hollande; aujourd’hui, il l’invite à participer à ses côtés aux cérémonies du 8 mai. Nicolas Sarkozy se montre ainsi ’fair play’ et semble accepter la défaite avec sérénité, annonçant son retrait da la vie politique : que lui arrive-t-il? A-t-il changé?
Chez un animal politique comme Nicolas Sarkozy, il ne faut jamais oublier la stratégie… Il sait qu’il a perdu, mais que ça n’a pas été une défaite cuisante d’un point de vue des chiffres. François Hollande est élu, certes, mais ça n’est pas un raz-de-marée. La France est majoritairement de droite, (faites le compte des voix…), mais elle est aussi majoritairement anti-sarkozyste : il y a un grand refus de la personne de Sarkozy qui s’est surexposé et a écoeuré en s’invitant dans les médias tous les jours avec un nouvel exercice d’énervement. Le libéralisme social-démocrate de Hollande ne fera pas plus de merveille que le libéralisme social-démocrate de Sarkozy. Sarkozy sait que viendra un jour où, déçus de Hollande qui n’aura fait qu’accompagner la crise (en restant dans l’Europe, on ne saurait faire autre chose…), on verra son quinquennat d’un autre oeil. Les passions seront retombées, il y aura des affaires à gauche, inévitablement, un mouvement de balancier s’effectuera : il veut pouvoir être présent pour en saisir l’opportunité. Il va laisser la droite se déchirer, prendre le large un temps, laisser Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon à leurs stratégies respectives. Mais la nature protestataire de ces deux-là, et le difficile ralliement des sociaux-démocrates de droite et de gauche à leurs causes, rendra difficile, voire impossible, leur accès au pouvoir dans cinq ans. Dès lors, il a intérêt à capitaliser dès aujourd’hui en devenant, une fois battu, un président idéal : républicain, pacifié, calme, rassembleur. L’image d’un jour a le pouvoir d’effacer l’effet catastrophique de tant de jours. En activité, Sarkozy fut un président sectaire et militant ; battu, il fut un président vraiment républicain et rassembleur. Il suffira d’utiliser ces images le temps venu, s’il y a lieu…
2) Comment une soirée au Fouquet’s et des vacances passés sur le yacht de Vincent Bolloré, au tout début de son mandat, ont-elles si profondément affecté l’image de Nicolas Sarkozy dans l’opinion publique française? Cette mauvaise image persistante est-elle selon vous la principale cause de sa défaite?
On lui a moins reproché cette soirée et ce bateau en soi que d’avoir dit quelque temps avant l’élection que, s’il était élu, investi du suffrage universel, conscient de la grandeur de la tâche présidentielle, il s’isolerait pour faire un genre de retraite spirituelle susceptible de le préparer à la tâche – probablement une idée de Henri Guaino, sa plume républicaine qui a taché d’être le Malraux de cet homme qui se moquait comme d’une guigne du général de Gaulle… On pouvait supputer un lieu symbolique, un monastère désaffecté de la France profonde, un hôtel modeste dans le désert égyptien, un gîte de haute montagne dans les Pyrénées, au lieu de cela, on eut l’inverse : un mauvais restaurant très chic de l’avenue des Champs-Élysées et le yacht privé d’un ami très riche… Les Français ont immédiatement compris que Sarkozy leur offrait la première trahison de son quinquennat qui en compterait beaucoup d’autres… Si lui a toujours ignoré le sens des symboles, les français, eux, l’ont au plus haut point : ils ne sont jamais remis d’avoir décapité Louis XVI et adorent que leur président se comporte en Roi ! Dès lors, pour ce faire, il doit manifester une connaissance des codes, un respect des symboles – ce qui constitue le b-a-ba de l’art de gouverner !
3) Selon vous, l’élection de 2012 traduit-elle d’abord le rejet de Nicolas Sarkozy ou une véritable adhésion au programme de François Hollande?
C’est incontestablement le rejet de la personne d’un homme qui en a trop fait, qu’on a trop vu. C’est un homme qu’on a vu amoureux d’une femme, s’en séparant, en retrouvant une autre qui avait beaucoup servi, lui faisant un enfant, utilisant habilement cet enfant en choisissant de ne pas le montrer afin de mieux laisser croire qu’il n’entrait aucune stratégie dans cette aventure (ce que contredisent les sondages commandés et payés au prix fort pour mesurer sur le public l’effet de cette palinodie…). C’est un homme qu’on a vu en short, sur un vélo, courant, faisant du footing jusqu’au malaise cardiaque, transpirant, grimpant les marches de l’Elysée en culotte courte, trempé de sueur. C’est un homme qui a monté les Français les uns contre les autres, les riches contre les pauvres, les blancs contre les gens de couleur, les français dits de souche contre les immigrés, les chrétiens contre les musulmans. C’est un homme qui a tout dit et le contraire de tout. C’est un homme qui a beaucoup déçu, y compris ses électeurs. L’élection était dès lors l’occasion de se débarrasser d’un homme qui en a trop fait.
Personne ne lui a reproché de mal gérer la crise, et chacun sait in petto que Hollande aura du mal à faire mieux. Mais ils préfèrent chez Hollande ce qu’il a l’habileté d’afficher : le calme, la sérénité, la pondération, la mesure, la sérénité, la placidité… Il n’a jamais voulu boxer contre Sarkozy qui n’a cessé de vouloir le pugilat. Il a eu l’habileté de le faire une seule fois, lors du débat entre les deux tours, et de montrer que, s’il avait voulu, il aurait pu boxer lui aussi – il l’a d’ailleurs emporté. Il a ainsi parfait son image d’anti-Sarkozy emblématique. Il a plus gagné avec ça, le changement de style, qu’avec son programme, le changement de politique. D’ailleurs, les électeurs le savent : ils voulaient eux aussi leur printemps arabe avec un « Sarkozy dégage ». La suite, c’est autre chose : nous aurons un président de la république en effet plus calme, il n’aura pas de mal, mais il ne sera pas moins libéral que son prédécesseur.
4) Qu’est-ce qu’un “président normal” ? Est-ce “l’homme sans qualités”?
L’habileté de François Hollande (c’est probablement sa qualité majeure – et son défaut majeur aussi…) est d’avoir compris qu’à part la marge technique sur laquelle il pouvait politiquement se distinguer de Sarkozy, il creuserait sa différence en jouant sur le style : faute d’une rupture politique avec le libéralisme, (François Hollande est un libéral pur jus depuis plus de trente ans qui a engagé la France dans l’impasse sociale dans laquelle nous sommes…) il lui fallait marquer sa différence sur le personnage, la personne. Mais n’oubliez pas que l’étymologie de personne, c’est le masque… Hollande a joué « l’homme normal » afin de laisser entendre que Sarkozy était « un président anormal »… Pour ma part, je crois que pour accéder à cette fonction, il ne faut pas être normal ! Encore moins vouloir devenir président de la république quand on a l’âge de jouer au train électrique ce qui, je vous le rappelle, était le cas de Sarkozy et de Hollande…
5) Discernez-vous dans le programme de Hollande une pensée, une doctrine politique ? Auriez-vous envie de l’interroger, comme vous aviez interrogé Nicolas Sarkozy pour “Philosophie Magazine” ?
Les programmes sont fondamentalement, essentiellement les mêmes. C’est à la marge qu’ils se distinguent. Or, l’exercice du pouvoir érodera cette marge. Par exemple, dès son élection, Barak Obama a invité François Hollande à venir à la Maison Blanche. Personne n’imagine que c’est pour lui offrir du champagne… Le président des Etats-unis ne veut pas que la France quitte l’Afghanistan ; François Hollande en a fait une promesse de campagne. Si la France quitte l’Alliance, d’autres pays le feront : les USA ne peuvent le permettre. Qui va gagner ? Le candidat investi par le parti socialiste (qui a bien pris soin de ne mettre aucun logo du PS sur ses affiches…) devenu président, ou le président d’un petit pays qui fera face au président d’un grand pays qui dispose de moyens de rétorsions économiques contre la France si elle se rebelle ?
Même remarque avec Angela Merkel qui invite très vite François Hollande une fois élu : pour le champagne ? Sûrement pas, là non plus. Mais pour signaler qu’il n’y aura pas de re négociation des traités européens – ce que souhaite le candidat devenu président. François Hollande réussira t –il à obtenir d’une vingtaine de pays qu’ils se rangent à son option ? Quel moyen aura-t-il pour obtenir ça ? Aucun… Il ne dispose pas de la carte majeure qui serait celle de quitter cette Europe-là – il défend cette machine bureaucratique libérale depuis son origine…
Par ailleurs, le débat avec François Hollande a déjà eu lieu… Pour le Nouvel Observateur daté du 26 mai au 1° juin 2011… Le titre était : « Le candidat et le philosophe »… Pendant une heure et demie, François Hollande a évité toute prise de position qui fâche… A cette occasion, j’ai mesuré l’habileté du personnage qui passe d’autant mieux qu’il est d’un caractère affable, gentil, courtois, poli. Je retiens qu’à la question que je lui posais : « Un livre a-t-il changé votre vie ? ». Il m’a répondu : Le Petit Prince de Saint Exupéry… Puis, s’apercevant tout de même du trouble, après un temps de silence, habile, il a ajouté : « et Marcuse aussi »… « Marcuse » n’étant pas un livre, mais un genre de signal libertaire construit susceptible de compenser le côté guimauve instinctif de Saint-Ex… À la relecture, tout cela a été lissé dans de belles formules… Mais Le Petit prince est resté tempéré par « le Marcuse d’Eros et civilisation ». J’avais alors conclu avec ironie : « Il nous faudra donc voter pour un candidat-freudo marxiste ! Bonne nouvelle » – il a souri… Il est élu.
6) Comment expliquez vous que l’élection de Hollande suscite autant d’intérêt et d’espoir en Europe ?
Parce que les médias, qui font l’opinion publique, nous abreuvent avec ça depuis des années à coup de débats, de sondages, de « unes » de presse spectaculaires, de tables rondes, d’éditoriaux sentencieux, de montage en épingle des détails de la vie de ce marigot de la politique politicienne… Quant à l’espoir, n’exagérons rien : François Hollande n’a pas les moyens de sortir la France et l’Europe de la crise avec ses petits bras de social-démocrate qui a voté oui à Maastricht en 1992, oui à l’euro en 2002, oui au Traité Constitutionnel en 2005, oui au traité de Lisbonne proposé par Sarkozy en 2007 (qui méprisait la décision souveraine du peuple qui avait voté non…) et qui a moins pour modèle Jaurès que Jacques Delors… N’est pas de Gaulle qui veut !
Aurora Bergamini – Mai 2012
ANSA-Bureau de correspondance de Paris
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