Édité par Hélène Decommer
Des enfants regardent passer un convoi militaire à Ségou, au Mali, le 22/01/13 (Delay/AP/SIPA)
1- Sachant que la déstabilisation du Mali est intimement liée, selon moi [1], à la façon dont feu Mammouar Khadafi a été chassé – un euphémisme – du pouvoir, la communauté internationale devrait réfléchir à la façon de "liquider" les dictateurs, sans causer de dommages ni à leurs propres peuples ni aux pays voisins. La même conclusion provisoire était à tirer des interventions des États-Unis de Georges Bush Junior en Irak et en Afghanistan. C’est la leçon de base.
2- Les puissants de ce monde pourraient, parallèlement, prêter une oreille plus attentive aux analyses des chefs d’Etat africains, si pauvres et si dépendants (d’eux) soient-ils. En effet, dès le début des engagements militaires en Libye, le président Idriss Déby Itno du Tchad avait sonné le tocsin quant aux risques de prolifération d’armes redoutables dans les pays environnants, par les soins des islamistes.
3- Les dirigeants africains sont enfin convaincus que, dès 1963, il aurait fallu doter l’Organisation de l’unité africaine (OUA), aujourd’hui Union africaine (UA), d’une armée fédérale forte, à même de se déployer, dans l’intervalle de vingt-quatre heures, dans n’importe pays du continent, afin de rétablir la légalité et parer à tout conflit.
4- La vision ou l’image de la France en Afrique s’est, considérablement, transformée voire transfigurée. Jusqu’au Rwanda, pays qui eut, en 2006, l’outrecuidance de rompre ses relations diplomatiques avec la France, on applaudit à l’intervention française, tout en reconnaissant les faiblesses de l’UA, par la voix de sa ministre des Affaires étrangères.
5- Nous, intellectuels africains, sommes devenus aphones sur les accusations d’impérialisme, de néo-colonialisme et de recolonisation de la France. Ces gros mots sont mis, provisoirement, sous le boisseau. "A cheval donné, on ne regarde point de l’œil." A intervention salutaire, on ne colle point d’étiquette. On en est reconnaissant, on en loue les vertus. Ce que s’évertuent à faire nos collègues maliens, forcés de renier, de façon implicite, la charge qu’ils avaient lancée contre le président Sarkozy au sujet de sa "vision de l’Homme africain".
6- La Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a réalisé à quel point l’essentiel de ses activités, dans la gestion de la crise malienne, se résume à des "réunions" et à des "sommets" sans décisions ni actions, cependant que le problème malien prend de l’ampleur. Plus de trois semaines après le début de l’intervention française, ses troupes peinent à débarquer au Mali, alors que les soldats tchadiens, venus de très loin, sont déjà opérationnels sur le terrain !
7- L’Algérie pourrait déployer d’immenses efforts pour sortir de cette diplomatie plombée par l’histoire coloniale et barricadée par la "souveraineté nationale". Les cris des jeunes Algériennes et Algériens, selon lesquels "l’histoire est enfermée dans les livres" se heurtent à ce mur, patiemment bâti depuis cinquante ans. Elle a dû embarquer dans "l’aventure malienne" de la France, après la sanglante prise d’otages islamiste d’In Abenas, faute d’avoir raisonné suivant la réalité contemporaine. Conséquences : pendant des mois, Algériennes et Algériens supporteront les vrombissements des chasseurs français.
8- Le Mali et le Burkina Faso, des voisins, vivent un retour de bâton historique. Ces deux pays avaient été les premiers, à l’heure des "indépendances" de 1960, à exiger l’évacuation des bases de l’armée française de leurs territoires respectifs. Voilà, aujourd’hui, les Maliennes et les Maliens obligés d’accueillir, et dans l’enthousiasme, le retour de l’armée française sur leur sol ! Voilà le gouvernement burkinabé qui accorde, avec gêne et pudeur, l’autorisation à l’armée de l’ex-puissance coloniale d’y stationner soldats et matériels de guerre !
9- Les islamistes auraient besoin de quelques cours de sciences politiques et d’études stratégiques : non seulement, dans leurs expéditions, ils courent vers une mort certaine, un suicide, mais encore, leurs actions, non pesées, produisent des résultats contraires à leurs objectifs initiaux. En effet, prétendant faire le djihad (Guerre sainte) à l’Occident, ils lui procurent une occasion en or de s’installer militairement dans leurs bases, pour un bail indéterminé. Ainsi, les États-Unis, qui avaient en vain cherché un pays africain pour abriter le Commandement de l'armée américaine pour l'Afrique (AFRICOM), se voient proposer, par le Niger, le droit de positionner leurs drones à sa frontière avec le Mali, l’Algérie et la Libye. A la barbe des islamistes…
[1] Analyse différente de celle de Bernard-Henri Lévy dans "Le Point" 2016 du jeudi 24 janvier 2013, p. 142 : "Non, la Libye n’est pas responsable du Mali"
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