mercredi 2 mai 2012

Mali, un pays pris dans un jeu d'échec

Devant la difficulté croissante d’obtenir des informations sur ce qui se passe réellement au Mali, il nous parait primordial de donner la parole aux vrais connaisseurs de la situation. Dans une interview accordée au programme Democracy Now ! Firoze Manji explique dans les grandes lignes la réalité malienne. Firoze Manji anime le site Pambazuka News qui traite de la justice sociale en Afrique. Ex-directeur d’Amnesty International en Afrique, il vient de publier, en anglais, le livre 'Un livre : Le réveil Africain : les révolutions émergentes.'



Quelques extraits de cette interview :

Amy Goodman : Pouvez-vous nous parler de la signification des propos du Président Malien lorsqu’il dit qu’il démissionne, et quel est l’enjeu derrière tout cela ?

Firoze Manji : Je ne pense pas que cela soit aussi dramatique qu’on veut nous faire croire. Même si le coup d’état n’avait pas eu lieu, il était obligé de se retirer en avril de toute manière. Je ne pense pas qu’il avait beaucoup de choix. Cela faisait probablement partie des négociations avec les officiers militaires qui se sont emparés du pouvoir. Et donc, je n’attacherais pas une grande importance à cela.

Je pense que ce qui est plus sérieux, ce sont les menaces venant des communautés économiques pour l’Occident – ou les Etats Africains Occidentaux, la CEDEAO – qui menacent d’entrer militairement au Mali. Et s’ils le font, cela pourrait causer une situation tragique.

Je pense que ce que nous avons au Mali est une situation très complexe. Vous avez, d’un côté, des officiers de rang moyen démobilisés, qui n’ont pas d’objectifs ou de plan précis de ce qu’ils veulent. On sait qu’ils sont démoralisés par la défaite qu’ils ont essuyée lors du Mouvement National pour la libération des Azawad, que les gens appellent communément Touaregs. Et ils ont actuellement pris la moitié du territoire du Mali. Mais cela est une partie de leur territoire traditionnel. Et ils ont maintenant organisé un cessez-le-feu. Ils ont occupé le territoire. Ils ont gagné ce qu’ils voulaient.

Cependant, la situation est beaucoup plus compliquée, à cause de mouvements comme Al Qaida au Maghreb, AQMI, qui ont été les porteurs de toutes sortes d’activités terroristes – et le porte parole des Nations Unies prétend que c’est le mouvement Azawad qui a perpétué toutes ces attaques terroristes. La réalité est bien différente. Selon des fuites récentes de WikiLeaks, le gouvernement malien a été très proche d’AQMI, dans le but de miner les efforts du peuple Azawad dans leur lutte pour l’indépendance.

Amy Goodman : - Pouvez-vous expliquer comment la Lybie et la chute de Kadhafi entre en ligne de compte et parler de qui sont les rebelles touaregs – pour certains, c’est la première fois dont ils en entendent parler.

Firoze Manji : Oui, Et bien, il y a eu beaucoup d’articles dans les médias, de publications, faisant allusion au fait que Kadhafi était membre de cette rébellion en particulier. Mais en réalité, ce mouvement a été organisé depuis un certain temps. Il y a certainement de nombreuses personnes que Kadhafi a entrainées dans son armée qui est issue de la population appelée Touareg. Et beaucoup d’entre eux sont retournés dans le mouvement après l’effondrement de la Libye. La moitié d’entre eux a certainement rejoint la rébellion touarègue, mais l’autre moitié est en fait à Bamako, la capitale du Mali, et a rejoint l’armée malienne, en prétendant être Maliens. Donc, il n’est pas très clair que ceux qui viennent de Lybie font désormais partie du mouvement de libération nationale.

En ce qui concerne les Touaregs, ce sont des gens qui ont occupé de larges régions d’Afrique. Ils se situent au Maroc, en Mauritanie, au Burkina Faso. Ce que nous devons comprendre, c’est que ce sont des bergers de bétail. Ce sont des gens qui sont nomades traditionnellement, qui bougent, et qui ont été incorporés au Mali à cause du gouvernement colonial français, qui a tout simplement divisé le territoire en fonction des ressources qu’il voulait exploiter. Et il faut se rappeler que le Mali a de très bonnes sources d’or, aussi bien que de gaz et de pétrole.

Donc, les Touaregs sont reliés à une grande communauté de gens qui s’étend du Nord de l’Afrique à beaucoup d’autres parties d’Afrique de l’Ouest. Ils demandent à avoir leur propre Etat, ce qui n’est pas déraisonnable, et ils sont nombreux à essayer de former un mouvement pour libérer leur territoire. La communauté internationale à renié leurs attentes. Ils ont été reniés par le gouvernement français. Dans les faits, les Etats-Unis ont une présence militaire dans cette zone, appelée AFRICOM. Et il n’y a pas doute qu’ils sont actifs pour empêcher les agissements du mouvement de libération nationale, le mouvement des Azawed, pour les empêcher d’atteindre une quelconque forme d’indépendance.

Amy Goodman : Quelle est la relation entre la formation américaine AFRICOM et la formation africaine, le CEDEAO, les nations africaines, et l’organisation des Etats d’Afrique de l’Ouest ?

Firoze Manji : Officiellement, aucun des pays africains, à part le Libéria, et plus récemment, la Libye, ont officiellement accepté la présence de AFRICOM et de la présence militaire en Afrique. Bien que les positions officielles soient ainsi, en pratique, AFRICOM a été présente dans cette région depuis de nombreuses années. Ils ont certainement été actifs en Algérie, au nord du Mali, et ils ont certainement une présence dans d’autres pays africains. Imaginez que les troupes kenyanes occupent une partie des Etats Unis, je ne pense pas que la population américaine sera contente. Et je pense que la population africaine a la même réponse : elle refuse la présence de troupes étrangères sur son territoire.

Amy Goodman : Et comment le Mali entre-t-il en ligne de compte dans ce qui se passé au Sénégal ?

Firoze Manji : L’ex-président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a tenté de changer la constitution pour la 16ème fois pour s’assurer de remporter les élections avec plus de 25 pourcent des votes. Et les jeunes gens sont sortis dans les rues, et il y a eu de nombreuses manifestations. Ces protestations ont mené à une situation où un changement de la constitution n’était tout simplement pas possible. Et c’est ce qui a mis en place un bon contexte pour des élections réussies au Sénégal, ce qui a mené à la tête de la présidence Macky Sall. Et donc, c’est une immense victoire.

Mais je pense que c’est une partie d’un phénomène plus large, qui est en train de passer à travers le continent, qui vient du fait que les trente dernières années, notre peuple a perdu tous les gains de l’indépendance. Les Africains ont été habitués à avoir des soins de santé gratuits, une éducation gratuite, l’accès à l’eau, leurs propres infrastructures de télécommunication et de communication. Toutes ces choses gagnées avec l’indépendance ont été perdues, et cela à cause de l’application de ce que j’appelle les politiques néolibérales, qui ont été imposés à de nombreux pays africains par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale.

Et donc, nous avons une situation dans la plupart de l’Afrique où les règles sont souvent non respectées par les sociétés multinationales. Et je pense qu’il y a un mécontentement grandissant du fait que les gens sentent qu’ils n’ont pas les moyens de déterminer leur propre destinée. Et donc, l’autodétermination est devenue un dynamisme vital à travers le continent. Et je pense que la montée du Mouvement National pour la libération des Azawad, que les gens appellent les Touaregs, cela fait partie du même processus de sentiment de perte d’autodétermination.

Traduit de l’anglais par Fatma Kassoul pour Investig'Action michelcollon.info
Source : Democracynow 

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